On est au Sénégal, ce pays spécial peuplé de gens spécieux qui fonctionne avec ces règles non-écrites qui sont au-dessus de la Constitution, ce livre que peu de gens connaissent et ne veulent connaître. La preuve, les constitutionnalistes, on les compte avec les doigts d’une seule main, et ils ne sont utiles et utilisés que de temps en temps.
Je ne sais pas, si vous avez visité un service de l’Administration ou d’une entreprise de Sénégalais bon teint. Si vous entrez dans ces lieux, à part les apparences illustrées par les plaquettes sur les portes des bureaux, l’endroit le plus important, occupé par l’homme le plus couru, dont il ne faut pas se faire l’ennemi, c’est le bureau du trésorier. La particularité de ce bureau : il y trône un coffre lourdaud que même Bombardier ne pourrait bouger d’un micron, et dans ce coffre, les sous de la maison. L’ARGENT, que les Sénégalais ont dû confondre avec le messie cité dans tous les Livres qui doit revenir pour la rédemption, vénéré par les Sénégalais qui croient en lui, plus qu’à autre chose, se trouve là, et est géré par un monsieur tout aussi important, presque vénéré, en tous cas, chouchouté et très fréquenté. Cet homme, le Trésorier, quand il éternue, tout le service s’enrhume. Il arrive généralement après tout le monde, même le Directeur. Il est passé au Trésor ou à la banque, devait engager des bons ou rentrer dans des fonds. De toute façon personne ne pensera à lui reprocher ses retards, le Directeur en premier.
D’habitude, à son arrivée, il s’enferme un moment qui peut sembler long aux collègues, mais, chacun guette le bruit de sa porte qui dira que la voie est libre. La première à l’appeler, c’est la secrétaire du patron. « Est-il disposé à répondre au Directeur ? Il demandait après lui ». De retour du bureau du patron, commence le défilé.
La collègue de la comptabilité :« Ah Mr Diouf, comment va la petite famille ? et Papito ? (Papito, c’est le petit dernier de Mr Diouf) C’est quand même un garçon intelligent et son école est vraiment bonne. Ok, à tout à l’heure ».
L’agent du service courrier :« Tiens, Mr Diouf, suis passé tout à l’heure, mais on m’a dit que vous étiez pas encore là, j’espère que tout va bien ? Par ces temps qui courent, c’est la grippe qui sévit, j’ai un bon remède avec moi, je vous l’apporte tout à l’heure ».
Mme du service social« Mr Diouf, je passais vous amener votre carte de parrainage de notre soirée de gala, donc, à tout-à l’heure, je vois que vous êtes un peu occupé ».
La matinée d’un Trésorier se résume à des « tout à l’heure » pleins de sous-entendus. Tout-à–l’heure, c’est à la descente. « Ah, Mr Diouf, je ne voulais pas vous déranger avec l’heure matinale, mais Dieu sait que, si vous me faites pas un ‘’Bon’’, je n’aurai même pas le billet pour rentrer » et ainsi de suite. Les audiences des collègues se poursuivent jusqu’à 17h.
17h30, dans la salle d’attente, les amis d’enfance qui sont généralement des cousins, des frères et sœurs, les nouveaux amis et quelques deux ou trois personnes qui ont entendu quelque part, que ‘’C’est un bienfaiteur’’.
Dehors, au parking, là, où est garée la nouvelle voiture. Le laveur qui a pris une importance proportionnelle à la rutilante 4/4 qui crie quand il l’astique trop fort, les mendiants professionnels qui ne prennent pas des pièces, les snippers du portefeuille qui jouent les utilités, d’anciennes connaissances qui n’ont pu entrer parce que le vigile les avait retenus.
En cours de route. Bébé qui appelle parce qu’elle est au salon et que « tu avais promis de passer me prendre », mais vu que « tu ne peux pas venir, tu peux toujours me l’envoyer. Mais à quand papa chéri ? bisous bisous !!!
A la maison : Mme Diouf, entourée de ses griots de location, qui hurle sur son Iphone 6 sur son chauffeur qui était allé prendre les enfants, mais devait faire un crochet chez Bijou, pour récupérer les cheveux naturels et la gamme venus tout droit de New – York et dès qu’elle a fini vous sonne. Sa tante qui t’attendait « elle a déjeuné ici et voudrait rentrer, mais pas sans te voir, l’Imam aussi, est là ».
Au Sénégal, celui qui gère un coffre, à part bien sûr, celui d’une banque ou d’un Libano-Syrien, doit être très fort.
Tu dois être très fort pour ne pas puiser dans le… coffre. Auquel cas, tu deviens un pestiféré, marginalisé par le monde entier, et si tu quittes ce poste après toutes les dénonciations dont tu feras l’objet à travers les rapports très défavorables de ta hiérarchie, tu ne deviendras plus rien. Un bon congélo à te les geler te servira de bureau jusqu’à la fin de ta carrière.
Tu dois être très fort aussi pour puiser dans le… coffre. Parce qu’il te faudra emporter le coffre lui-même. Dans ta fuite éperdue, tache de ne pas rater le bon chemin à l’intersection, car l’un mène vers les sanctuaires des boubous blancs, l’autre, vers les robes noires. Les boubous blancs vont te dépouiller partiellement et t’accorderont l’asile, les robes noires te suceront totalement et te payeront un ticket de vacances là, où personne ne veut aller.
La force tirée d’un coffre-fort est vraiment éphémère.
Mais que voulez-vous, on est au Sénégal, pays spécial, peuplé d’hommes spécieux qui tiennent à leur heure de gloire.
Alioune NDAO
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