J’avais décidé dans un premier temps de ne jamais écrire sur « l’Affaire Lamine Diack » pour deux raisons principales : D’abord parce que l’homme en question bénéficiait, de ma part, d’un capital de respect, fondé sur des préjugés favorables, qui risquent de s’effilocher avec le scandale de la corruption et de l’antidopage.
Deuxièmement, parce que l’Affaire est d’une gravité telle qu’ à force d’en parler, on court le risque de ternir l’image de notre propre pays. Cependant, les ramifications de cette « Affaire » sont telles que nos institutions sont aujourd’hui menacées par les dégâts collatéraux qu’engendrerait le scandale.
Tenez, le journal en ligne PressAfrik, dans sa livraison du lundi 21 décembre 2015 nous apprend que les fameuses « Assises nationales » auraient été financées, en partie, par l’argent sale découlant de la sueur des coureurs russes et des « autorisations frauduleuses à se doper », vendues à la Fédération russe d’Athlétisme ! PressAfrik, rapporte que le Comité de pilotage des « Assises nationales » aurait reçu plusieurs fois des chèques de 15 millions de francs Cfa de la part du « mécène » dont le moins qu’on puisse dire est que l’argent qu’il donnait gracieusement est manifestement d’origine illicite…La question qui se est de savoir, comment peut-on oser nous vendre des « Assises » estampillées « nationales », alors que celles-ci sont entièrement ou partiellement financées par l’argent de Vladimir Vladimirovitch Poutine, de la lointaine Russie?
Je ne me permettrai pas pour autant de penser, un seul instant, que nos pauvres « Assisards » étaient au courant de l’origine illicite de cette manne ! Mais, s’ils l’ignoraient, cela voudrait également dire qu’ils se seraient laissé berner par des politiciens revanchards qui avaient un agenda différent du leur ! D’autant que, pour expliquer la motivation de la cabale contre le régime Wade, Monsieur Lamine Diack a mis en avant « la destruction du stade Assane Diouf » ! Le sieur Diack aurait bien pu bénéficier de circonstances atténuantes si son geste était motivé par le désir de libérer le monde paysan, pour trouver des emplois aux jeunes ou pour défendre des principes de liberté et d’indépendance si chers aux Sénégalais. Mais de tout cela, il n’en est rien ! En tout état de cause, cette affaire Lamine Diack, bien qu’étant loin d’avoir révélé tous ses secrets, aura quand même le mérite d’avoir éclairci davantage le landerneau politique sénégalais.
Le concept fallacieux de NTS « Nouveau type de Sénégalais » s’avère n’être qu’un des multiples beaux slogans, jadis agités, pour mieux camoufler de petites idées fourrées une grande camisole. Pendant que certains observateurs soupçonnaient des ONG d’être les principales sources de financement du Groupe, voilà que l’Affaire Diack balance un autre bailleur des « Y’en a marristes » ! Des sites révèlent que l’aveu avait été fait depuis longtemps par les intéressés eux-mêmes en citant nommément Lamine Diack … Il est douloureux de constater que la manipulation des consciences est –malheureusement-une denrée abondante en Afrique notamment au pays de la Téranga.
Beaucoup de Sénégalais n’ont jamais imaginé qu’à travers le fameux cri de guerre « Wade dégage ! », se cachait la main du très lointain Vladimir Poutine ! Mais à y réfléchir de près, l’on comprend aisément que ceux qui sont capables de fabriquer des terroristes, pour les combattre après, sont suffisamment cyniques pour exporter des « révoltes » enveloppés dans des draps tachetés, via nos frontières poreuses et accessibles à tous ceux qui nous apportent des Euros, des Dollars ou des Roubles.
S’il faut reconnaître que le Président Wade a quelque peu prêté le flanc en donnant l’impression de vouloir introniser son fils Karim, et en refusant de le décharger-au moment opportun- de toutes responsabilités gouvernementales, il faut aussi admettre que l’opposition d’alors avait également excellé dans l’art de la manipulation en prêchant le faux pour mieux susciter et exacerber le courroux des populations contre le régime du Pape du Sopi..
Sur un autre registre, il importe de noter, qu’à l’instar de la plupart de mes compatriotes, le soutien que l’Etat du Sénégal a récemment apporté à Lamine Diack, lors de la mise en examen de ce dernier, a paru un peu trop incohérent ! Comment peut-on instaurer la Crei (Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite) et l’Ofnac (Office national de Lutte contre la Fraude et la Corruption) dans son propre pays et dire, au nom de l’Etat, que nous soutenons, un haut fonctionnaire international, accusé publiquement de corruption et de blanchiment aggravé ?
En dépit de l’existence du principe de la présomption d’innocence, j’estime que l’Etat du Sénégal devait adopter une posture de réserve et se limiter à suivre le dossier avec intérêt… Sinon, après les aveux circonstanciés du mis en cause, l’Etat aurait dû reprendre la parole, non pas pour innocenter qui que ce soit, mais plutôt pour décliner sa nouvelle position face à la tournure que prenait le dossier, en réaffirmant, comme on aimait le faire dans d’autres circonstances, « Que le Président Macky Sall ne protègera personne »… Quand on traque, chez soi, des biens mal acquis, il devient incongru d’apporter « son soutien » à un présumé coupable de corruption et de blanchiment aggravé, fut-il un bailleur d’un printemps à l’africaine…
Pour dire vrai, l’Affaire Lamine Diack risque de servir de déclic à un séisme qui emportera des caciques, jusque-là tenus à l’écart des troubles politiques.
En dépit des élucubrations de leur porte-parole, le Parti socialiste(Ps) et ses potentiels candidats à la prochaine présidentielle, pâtiront, à n’en pas douter, des dégâts collatéraux de ce scandale gravissime. D’autres personnalités ou structures de la fameuse société civile, risquent également d’être emportées ou au moins entachées, par la vague déferlante de cette Affaire. Ce pourrait être le cas notamment du Mouvement M-23dont l’ancien président doit prendre la parole pour éclairer notre lanterne sur cette nébuleuse.
Il faut toutefois reconnaître que les gros perdants dans cette « Affaire », restent- indiscutablement- les « Assisards », qui ont tant vanté le caractère « national » de leurs travaux et ont beaucoup insisté sur la nécessaire restauration des valeurs dans le pays de Ndiadiane! Or, à la lumière des aveux de Lamine Diack him self,-l’aveu étant la mère des preuves- il s’avère que les « Assises » auraient largement bénéficié de l’argent du dopage et de la corruption !
Il est, dès lors, évident, que le peuple sénégalais si fier, n’acceptera jamais de se doter d’une réforme institutionnelle, concoctée grâce à un financement plus que douteux. D’où la nécessité de démonter, dans les meilleurs délais, que la CNRI que présidait le très respectueux Amadou Makhtar Mbow n’a pas été inspirée par les fameuses « Assises »…A cet égard, il sied d’avoir le courage de jeter tout le produit de l’argent sale, dans la poubelle de Mbeubeuss. Car, une démocratie saine ne peut être bâtie qu’avec des moyens sains et vertueux.
J’espère que le Président Macky Sall prendra toutes ses responsabilités et usera de toutes les prérogatives que lui confère la Constitution pour épargner le Sénégal d’une réformer constitutionnelle qui nécessitera, sous peu, d’être réformée. Nous estimons également que compte tenu de la gravité de l’Affaire Lamine Diack, la prochaine réforme institutionnelle ne manquera pas de mettre des garde-fous, afin que nos élections ne se gagnent plus avec de l’argent, mais plutôt, par l’expression libre et démocratique du peuple souverain du Sénégal : «Je vous ai dit qu’il fallait à cette période gagner la »bataille de Dakar », c’est-à-dire renverser le pouvoir en place… Il fallait pour cela financer notamment le déplacement des jeunes afin de battre campagne, sensibiliser les gens à la citoyenneté. (…) J’avais donc besoin de financements pour louer les véhicules, des salles de meetings, pour fabriquer des tracts dans tous les villages et tous les quartiers de la ville… Quand j’ai sollicité une aide de la part de Balakhnichev, je lui ai dit que pour gagner les élections, il me faudrait environ 1,5 million d’euros. » aurait clamé, l’ex Président de l’IAAF, notre compatriote Lamine Diack face au juge teigneux Renaud Van Ruymbeck !
La logique et le bon sens voudraient que l’on n’ait pas besoin d’avoir une telle somme pour gagner des élections, dans une vraie démocratie, surtout si l’on est citoyen d’un Etat qui fait partie des 25 pays les plus pauvres de la Planète !
Si la prochaine réforme constitutionnelle élimine l’usage abusif de l’argent-souvent sale-dans nos compétitions électorales et permet de mettre en avant la valeur intrinsèque des candidats, ce serait déjà une réforme vraiment consolidante…
De même, il sera nécessaire, au vu de ce qui e passe à l’Assemblée nationale, de revoir la mainmise des partis politiques sur l’investiture des candidats à la députation, afin de permettre d’élire, pour une fois, des députés qui se réclameraient du peuple et non plus de leurs chefs de partis.
En définitive, si l’Affaire Lamine Diack, qui apparaît si terrifiante, nous donne l’opportunité de régler de manière conséquente, les tares fondamentales de notre démocratie montante, elle serait alors, une affaire vraiment positive pour le Sénégal.
Il appartient ainsi au chef de l’Etat, de saisir cette belle occasion pour amorcer une réforme, non pas politicienne, de nos institutions, mais une réforme objective et en profondeur.
J’espère, en attendant, que le Président de la République, nous gratifiera d’un avant-goût de cette réforme, lors de sa prochaine adresse à la nation à l’occasion du nouvel an grégorien.
Mamadou Bamba NDIAYE
Ancien Ministre des Affaires Religieuses