La Direction générale des impôts et domaines précise que la remise gracieuse d’argents aux entreprises est une procédure légale prévue. Et alors ? Sommes-nous tentés de lui dire. Plus qu’un simple argument de légalité, c’est l’opportunité de dispense d’impôt qui interpelle à plus d’un titre. Cette mesure brouille l’orientation budgétaire annoncée urbi et orbi à l’effet que le gouvernement met la priorité sur l’amélioration des conditions sociales des ruraux et des défavorisés ainsi que sur la réparation des injustices qu’ils subissent. En plus, cette largesse remet en cause la volonté affichée par le gouvernement de miser davantage sur les ressources nationales pour financer l’économie nationale.
Il ne s’agit pas d’opposer les entreprises aux particuliers dans la prise en compte des enjeux de développement, mais un choix clair des cibles prioritaires s’impose dans le déroulement de l’action publique. Certes, les investisseurs se confondent aux travailleurs tant les intérêts particuliers et les demandes sociales sont imbriqués. Mais, s’il faut s’en tenir à la révélation faite par le syndicat des agents des impôts et domaines, le Port Autonome de Dakar a bénéficié d’une remise gracieuse alors qu’il a engrangé un bénéfice de 28 milliards. Cela suffit largement à caractériser cette libéralité de grave et d’insensée en raison de la solidarité espérée en faveur des couches sociales défavorisées.
Tout comme la baisse d’impôt accordée auparavant aux travailleurs et aux amnisties fiscales déjà concédées aux potentats de la presse, cette obscure remise d’impôt porte l’estocade à la justice sociale. C’est la promesse d’équité entre les citoyens qui s’en retrouve vidée, bafouée et marchandée. Tout comme l’amnistie fiscale, recours ultime, elle doit s’agir d’une mesure conjoncturelle dont l’objectif est d’effacer les infractions fiscales repérées ou prévues. En principe, elle constitue une incitation pour certains contribuables défaillants à se mettre volontairement en règle avec la loi fiscale sans que leur attitude puisse leur être opposée.
Dès lors, comment comprendre que les entreprises de presse aient pu en bénéficier d’amnistie fiscale 2 fois de suite en l’espace de 2 ans ? Si prompt à fustiger le pouvoir en place, le patron de Walf temporise, il ne dénonce pas ouvertement cette légale trahison baptisée remise gracieuse. Sinon, comment concilier fermeté aux autres et faveur pour soi en la même matière ? Les marges de prélèvement fiscal ainsi concédées se répercutent pourtant sur les plus démunis, jusqu’à la vendeuse de cacahuète. Comme quoi, le volontarisme sénégalais, c’est aussi : après moi le déluge.
Une politique fiscale cohérente et juste doit s’inspirer du principe d’égalité et de la participation des plus nantis qui ont tiré profit de la communauté toute entière. Les entreprises privées, alimentées jusque-là par le concours des ressources publiques notamment par l’investissement public dans l’éducation, doivent consentir au retour de l’ascenseur. Leur vocation de création d’emplois ne peut servir d’alibi à l’éhontée décharge fiscale. En réalité, cette politique publique cinquantenaire, tantôt subie des bailleurs étrangers tantôt cynique de gains électoralistes, postule en définitive ceci : privatiser les profits et mutualiser les pertes.
L’argument passe-partout qui consiste à favoriser les saintes entreprises, créatrices de richesses, ne tient pas la route. L’application de la baisse d’impôt sur le prix du sucre, produit par la CSS, depuis avril 2012, s’est traduite en perte de recettes fiscales estimée à plusieurs milliards. Un an après, la crise du sucre a persisté et a démontré l’inefficacité de la décision du Gouvernement. Le tourisme sénégalais avait fait de la baisse de la TVA une exigence de survie alors que son problème tenait essentiellement de la compétitivité des offres d’hébergement.
Il s’agit d’une question politique, d’une réclame d’un projet clair dans l’orientation budgétaire qui mérite échanges et palabres. Basta ! C’en est assez des tâtonnements, des regrets et des excuses. Nous en voulons pour notre argent. « Les sénégalais parlent beaucoup et ne travaillent pas assez », disent encore les élus d’aujourd’hui, assimilés gâtés et pourris. Qu’ils nous disent pour qui ils roulent, qu’ils s’expliquent souvent et clairement, on saura alors à quoi s’en tenir. Nous parlerons moins quand nous verrons cohérence et droiture dans les démarches d’administration et de politique publiques. Autrement, ils nous entendront encore gémir de confusions et de craintes.
Birame Waltako Ndiaye
waltacko@gmail.com
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