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Prévenir Le Terrorisme Au Sénégal

Prévenir Le Terrorisme Au Sénégal

La dernière semaine du mois d’octobre a été marquée par une vague d’arrestations d’imams et de citoyens ordinaires soupçonnés d’apologie du terrorisme dans différentes régions du Sénégal. Le Sénégal qui jusque-là n’a jamais été inquiété par le terrorisme, vient officiellement de rejoindre la longue liste des pays qui vivent en permanence sous la hantise du terrorisme.

Ces événements ont cependant non seulement changé les habitudes de la population sénégalaise, mais aussi ont profondément changé la perception de la menace qu’avait le gouvernement. En 2012, les autorités sénégalaises avaient affirmé qu’il n’y avait pas de cellule terroriste dans le pays. Le discours a évolué depuis 2013 et les événements récents montrent que le danger est bien réel.

Un destin singulier en Afrique de l’Ouest

Le Sénégal a un destin particulier en Afrique de l’Ouest pour être l’un des rares pays dans la sous-région à ne jamais connaitre un coup d’Etat un ou d’une quelconque instabilité majeure depuis son accession à l’indépendance en 1960.

Contrairement à de nombreux pays de la sous-région comme le Nigeria et la Côte d’Ivoire qui ont connu des affrontements interreligieux entre musulmans et chrétiens. Le Sénégal par-delà , a réussi à renforcer sa cohésion sociale. Les musulmans qui représentent 94% et les chrétiens 5% de la population vivent dans une parfaite symbiose et harmonie. Et cette cohabitation pacifique fait souvent référence à l’échelle sous régionale voire internationale.

En outre, le Sénégal a réussi à maintenir sa souveraineté au moment où de nombreux pays de la région sombraient dans le chaos suite à l’embrasement du conflit dans le Mano River dans les années 90.

Pourtant cette trajectoire exceptionnelle du Sénégal dans une région éternellement instable a de nombreuses explications.

Cette prouesse s’explique tout d’abord par le fait que le Sénégal bénéficie d’une armée bien formée. En dépit de ses moyens limités, l’armée a toujours cherché à assurer la souveraineté sénégalaise. De plus, cette grande muette sénégalaise est connue pour être républicaine. Ses dirigeants se sont toujours abstenus à s’immiscer dans les affaires politiques du pays.

Cette longue période de stabilité s’explique également en raison de l’Islam soufi, régulé par les confréries, pratiqué par la majorité de la population. Contrairement au wahhabisme qui favorise le fondamentalisme et l’intolérance envers les autres religions, le soufisme encourage la coexistence pacifique, le respect mutuel et le dialogue interreligieux.

Le Sénégal est connu comme un des pays de soufisme dans lequel de nombreux bastions religieux tels que le Mouridisme, la Tidianiyya (qu’elle soit orthodoxe ou représentée par la Fayda Ibrahimiyya), la Qadiriya, le Layenne cohabitent dans l’harmonie. Les dirigeants de ces forteresses religieuses respectives accordent une grande importance à la paix et la stabilité du pays. Ils enseignent et prodiguent des conseils à leurs disciples qui leur vouent un amour incommensurable.

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Mais le Sénégal n’est pas à l’abri du terrorisme …

Malgré cette apparente stabilité, le Sénégal n’est pas à l’abri du terrorisme. Si pendant longtemps certaines autorités sénégalaises ont toujours nié la vulnérabilité du pays, aujourd’hui, il est plus permis de douter que Dakar est dans le collimateur des djihadiste. Les récents événements dans le pays donnent du crédit à cette hypothèse. Le nombre de sénégalais officiellement recrutés dans les rangs de l’Etat islamique en Syrie ou en Libye est estimé à 5. Jamais dans l’histoire du Sénégal l’on a enregistré un aussi grand nombre de combattants sénégalais dans les rangs des groupes terroristes.

La dernière de la vague de départ des jeunes Djihadistes sénégalais remontait au 17 novembre 2015 quand Sadio Gassama, un jeune étudiant à l’Université de Dakar, a annoncé sur sa page Facebook qu’il avait rejoint l’Etat islamique en Libye afin d’y ‘accomplir le «djihadisme médicale ». Ces départs indiquent clairement que les relais de certains groupes djihadistes sont bien implantés au Sénégal et que le processus d’endoctrinement de nombreux jeunes sénégalais semble avoir commencé il y’a longtemps.

En outre, dans sa logique d’expansion de ses activités à travers le monde, l’Etat islamique encourage ses combattants à retourner dans leurs pays respectifs après avoir reçu une bonne formation de guerre asymétrique et de maniement des engins d’explosifs, afin de poursuivre le Jihad. Le retour de ces jeunes sénégalais au bercail pourrait constituer une réelle menace pour la sécurité nationale.

L’arrestation de l’imam Alioune Badara Ndao de Kaolack et de Makhtar Diokhané au Niger n’a pas fini de révéler tous ses secrets. Selon les premières investigations, Makhtar Diokhané est un représentant de la secte Boko Haram au Sénégal. Le raid sur sa maison à Kaolack et la mise sous écoute de ses conversations téléphoniques ont en outre révélé que Makhtar Diokhane qui était un ancien disciple de l’Imam Alioune Ndao était en contact avec certains membres du groupe terroriste Boko Hara appelé aujourd’hui l’Etat islamique en Afrique de l’Ouest. Ces enquêtes ont également révélé que certains Sénégalais ont déjà rejoint cette nébuleuse dans le septentrion Nigérian.

Le Sénégal est devenu une destination populaire pour de nombreux Occidentaux qui apprécient sa stabilité légendaire. Beaucoup d’étrangers, en particulier Francais se sont installés au Sénégal notamment dans les villes côtières comme Dakar, Saly, Mbour ou Saint Louis. De même, de nombreuses entreprises étrangères et les organisations internationales sont basées au Sénégal, le pays de la «Téranga», qui signifie hospitalité en wolof.

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Dans leur mission de s’en prendre aux Occidentaux ou de s’attaquer à leurs intérêts, il est clair que le Sénégal reste une cible privilégiée et que toute faille pourrait être exploitée par les terroristes en représailles de l’intervention Serval dirigée par les Français au Mali et dans laquelle le Sénégal est activement impliqué. En outre, avec le contexte de sécurité régionale actuel caractérisé par la résurgence des attaques terroristes au Mali, une situation sécuritaire précaire en Guinée-Bissau et l’expansion croissante de l’Etat islamique en Afrique de l’Ouest, il est évident que le Sénégal ne peut pas être un îlot de paix dans un océan d’instabilité.

Quelques recommandations

Le terrorisme est un fléau mondial qui n’épargne aucun pays. Le Sénégal vient de connaitre sa première alerte réelle. Il est donc important d’encadrer cette étape cruciale, car elle marque une transition d’un pays « apparemment oublié » par des terroristes pour celui qui est sous la menace. Certes, le gouvernement sénégalais a fait des efforts allant dans ce sens. Le budget de la défense a été augmenté de façon significative. Aussi, le Sénégal a été engagé dans des coopérations multilatérales et bilatérales afin d’enrayer la menace terroriste. C’est d’ailleurs dans cette optique que le Sénégal, avec l’aide financière de la France, a lancé l’opération « Karangé » qui signifie protection en wolof, dans le cadre du plan d’action contre le terrorisme.

Cependant, il est important de garder à l’esprit que l’histoire contemporaine a montré que de nombreux pays sont devenus aujourd’hui la cible privilégiée de djihadistes parce que n’ayant pas pu apporter une réponse adéquate aux premières heures de la lutte contre le terrorisme.

La résurgence de Boko Haram en 2009 est le résultat d’une approche excessivement centrée sur l’ennemi, dont son leader charismatique Muhamed Yusuf a été tué de manière extrajudiciaire.

La lutte contre le terrorisme dans un pays ne doit pas être calquée sur la lutte contre le terrorisme d’un autre pays. Chaque pays a sa propre situation socio-économique, donc la réponse devrait être faite en conséquence. Au Sénégal, les mesures les plus urgentes à prendre ne devraient pas être l’interdiction de la burqa. La mauvaise communication qui a accompagné ces mesures a créé un sentiment de « burqaphobie » dans le pays. Il a été relayé par de nombreux médias locaux que deux femmes portant la burqa étaient déjà été tabassée dans les rues de Dakar. Le gouvernement sénégalais devrait aborder cette question spécifique afin d’éviter que justice populaire ne degenere. Une indécision ne ferait que créer l’anarchie, ce qui pourrait en outre conduire à des affrontements inter communautaires.

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Pourtant, la vraie potentielle menace au Sénégal n’est pas les femmes avec la burqa mais plutôt les enfants mendiants aussi appelés talibés au Sénégal. Ces enfants défavorisés, sans protection parentale et gouvernemental constituent aujourd’hui une véritable menace pour la sécurité. Leur nombre ne cesse d’accroitre chaque année. Ils ont été estimés à environ 300, 000 dispersés tout autour du territoire sénégalais. Pour la seule région de Dakar, ils sont estimés autour de 54 837.

En situation de crise, les enfants sont les plus vulnérables. Ils sont souvent instrumentalisés. Dans certains cas, ils sont utilisés comme esclaves sexuels et d’autres comme enfants soldats. Comme au Nigeria, où les jeunes filles sont inconsciemment utilisées par Boko Haram pour mener des attaques à la bombe avec leurs ceintures d’explosifs, les djihadistes pourraient facilement instrumentaliser ces pauvres enfants pour mener des attentats à Dakar ou dans toute la région du Sénégal pour mieux avoir un impact comme ils aiment le faire dans toutes les attaques.

La mendicité de ces enfants a été interdite à plusieurs reprises, mais après chaque pression de chefs religieux, le gouvernement fait marche arrière de peur d’être sanctionné pendant les élections. Au Sénégal, les chefs religieux sont connus pour être puissants, respectés et très influents. Cependant, je crois que lorsque la sécurité nationale est menacée, les questions politiques devraient être reléguées au second plan.

Le gouvernement devrait également s’assurer de la bonne réglementation et un contrôle strict des services de transferts d’argent qui n’ont cessé de proliférer ces 3 dernières années dans le pays. Les services de transfert d’argent locaux pourraient être utilisés comme un canal important pour financer le terrorisme ou pour blanchiment d’argent.

Pour prévenir efficacement le terrorisme, le gouvernement sénégalais devrait opter pour une approche centrée sur la population, c’est à dire en impliquant à plus grande échelle la population et la société civile dans la collecte d’informations.

Une bonne prévention du terrorisme au Sénégal nécessite un équilibre entre les mesures politiques, sociales et sécuritaires. Et le Sénégal ne réussira cette phase critique que si l’énorme somme d’argent dépensée dans l’achat d’armement soit également allouée pour éliminer la pauvreté. Le Sénégal a également besoin de mettre en œuvre une justice pénale efficace.

 

Mouhamadou KANE

Doctorant en Relations Internationales, Jilin University, P.R Chine

Email : pispaneka@gmail.com

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