Le débat relatif à la réduction du mandat présidentiel porte désormais sur la portée de l’avis du Conseil Constitutionnel. De nombreux constitutionnalistes et spécialistes en droit se sont prononcés sur le sujet. L’expression qui se dégage fait apparaître une nette majorité partageant l’idée selon laquelle l’avis du Conseil Constitutionnel revêt un caractère « consultatif ». Il s’agit là d’une tendance claire, sans équivoque.
Ce faisant, Il y a lieu d’aborder le contenu de l’avis afférant à la rétroactivité du mandat présidentiel en cours.
De manière générale, la non rétroactivité des lois constitue un principe essentiel du droit parce que s’attachant à la sécurité juridique des actes. L’article 2 du code civil français précise « la loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ». Toutefois, la non rétroactivité n’est pas un principe absolu (sauf en matière pénale). Par ailleurs, la non rétroactivité n’a pas une valeur constitutionnelle.
Une abondante jurisprudence apporte un éclairage sur la position des juges constitutionnels face à ce sujet.
Dans une décision rendue le 08 décembre 2006, la Cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne (Bundesverfassungsgericht) a validé le principe de la rétroactivité, dans le cadre d’une réforme du droit de la nationalité, en étendant la portée de la nouvelle loi à des faits antérieurs à sa promulgation.
Dans le même sillage, le Conseil Constitutionnel Français, selon une jurisprudence constante admet parfaitement le principe de la rétroactivité d’une loi, tout en définissant le cadre de son application : « La validation d’une disposition rétroactive doit répondre à un motif d’intérêt général suffisant, en outre l’acte modifié ou validé ne doit méconnaitre aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le but général visé soit lui-même de valeur constitutionnelle ; enfin la portée de la modification ou de la validation doit être strictement définie » (N°2006-545 DC).
Dans les cas précités, les juges constitutionnels n’ont pas retenu le principe général de sécurité juridique dans les décisions rendues.
La vision française de la rétroactivité liée à la notion « d’Intérêt Général Suffisant » nous intéresse particulièrement puisque les chartes fondamentales de la France et du Sénégal sont quasi-similaires, mis à part quelques nuances mineures.
La question posée est de savoir si dans le cas d’espèce de la réduction du mandat présidentiel en cours, le juge constitutionnel sénégalais pourrait invoquer la notion « d’Intérêt Général Suffisant » pour motiver son avis.
De notre point de vue, la réponse est clairement oui, par la réunion de 4 éléments cumulatifs, dont un seul peut suffire à asseoir la motivation du juge constitutionnel :
1. Primo, le contenu de l’exposé des motifs du projet de révision constitutionnelle qui fait référence à « la maturité démocratique sénégalaise, à la mise en place de réformes visant à moderniser le régime politique, à renforcer la bonne gouvernance, à consolider l’Etat de droit et la réputation de la démocratie sénégalaise» suffit à lui seul pour justifier d’un « Intérêt Général Suffisant ». Tous les points énumérés relèvent incontestablement de la défense de « l’Intérêt Général », au stade le plus élevé qui soit.
2. Secundo, la réduction du mandat présidentiel traduit l’expression de 2 volontés : la volonté du Chef de l’Etat de réduire le mandat en cours (avec la saisine officielle du Conseil Constitutionnel, les 5 Sages disposent désormais d’un document écrit attestant de l’engagement ferme et irrévocable de Macky Sall) et la volonté d’une majorité de sénégalais aspirant à cette réforme. La rencontre de 2 volontés (le Président au suffrage universel direct et le peuple, détenteur de la souveraineté) justifie incontestablement d’un « Intérêt Général Suffisant ».
3. Tierto, même si tout le monde s’accorde sur le fait que « ne doivent être pris en compte que des éléments de droit », les évènements extrêmement graves qui se sont déroulés en 2012, après que le Conseil Constitutionnel ait validé la candidature controversée de l’Ex Président Wade ne peuvent être éludés par les Sages. La préservation de l’ordre public et la paix républicaine constituent un motif légitime et justifient le principe de « d’Intérêt Général Suffisant ».
Quarto, le cas de Moustapha Niasse est encore présent dans tous les mémoires. Alors qu’en 2012, le mandat du Président de l’assemblée nationale était d’un an, renouvelable (du fait de la loi Sada N’Diaye), ce mandat a été ramené à 5 ans (une rétroactivité de fait). Il paraît impossible de justifier, pour ce cas précis, que ce qui est valable pour Moustapha Niasse (2éme personnage de l’Etat) n’est pas applicable à Macky Sall. Rétroactivité dans un sens et pas dans l’autre ? Difficile à croire.
En conclusion, un avis favorable du Conseil Constitutionnel, portant sur le point 6 du projet de révision constitutionnelle (réduction du mandat en cours) serait parfaitement fondé en droit. D’un point de vue juridique, Il est tout à fait admis de donner à une loi un caractère rétroactif, sauf dans le domaine pénal (la rétroactivité est admise pour la loi pénale douce).
L’intérêt d’un avis favorable du Conseil Constitutionnel sur la rétroactivité est double :
* D’une part, il établirait une concordance entre la volonté du Président de réduire son mandat et l’avis rendu par les Sages, (il convient de souligner que depuis la saisine officielle du Conseil Constitutionnel par le Chef de l’Etat, l’utilisation de l’expression « promesse de Macky Sall » est devenue caduque).
* D’autre part, il préserverait la crédibilité du Conseil Constitutionnel, en évitant que le Président passe outre son avis, dans l’hypothèse où celui-ci serait défavorable à la réforme portant réduction du mandat en cours.
Seybani SOUGOU
sougouparis@yahoo.fr