Le Sénégal est le pays qui a le plus grand nombre de partis politiques au monde : 255 à ce jour. A titre de comparaison, les USA en ont 25, la France 54, le Nigeria 31, la Côte d’Ivoire 130, le Congo 155.
En interne, ces formations politiques fonctionnent à peu près de la même façon : il y a un chef-fondateur inamovible dont la seule volonté compte. Les militants ne cotisent jamais, le chef est le seul bailleur. L’idéologie y est seulement théorique : le Parti socialiste au pouvoir de 1960 à 2000 a bien appliqué les plans ultra libéraux du FMI et la Banque mondiale tandis que le Parti démocratique sénégalais (PDS, 2000-2012) faisait plus que les socialistes en généralisant la bourse universitaire, par exemple. L’Alliance pour la République (APR) qui gouverne depuis 2012 est dirigé par un ancien militant communiste converti au libéralisme du PDS pendant le règne de ce dernier et qui ne parle plus d’idéologie aujourd’hui. Les autres partis qui n’ont jamais exercé la magistrature suprême épousent l’idéologie du pouvoir qu’ils soutiennent pour en tirer des subsides de postes ou de cash.
Les partis politiques sont des associations dont l’objectif ultime est de conquérir et exercer le pouvoir. Certains savent qu’ils ne pourront jamais conquérir le pouvoir et se contentent dès lors de soutenir le parti au pouvoir, quel qu’il soit. Cela est une des facettes de la transhumance politicienne car certains partis politiques ne pourraient jamais supporter les rigueurs de l’opposition en Afrique, le parti ne générant aucune recette propre pour son animation et son affirmation face au pouvoir. Jouer son rôle de véritable opposant, c’est harceler le pouvoir, mettre à nu ses contradictions et ses insuffisances. On ne peut pas le faire si on n’a pas le courage et les moyens de cette politique.
D’où les partis politiques peuvent-ils tirer leurs moyens d’existence alors que les militants ne cotisent pas et l’Etat ne verse aucune subvention, le Sénégal n’ayant de loi spécifique sur le financement des partis ? Les partis au pouvoir ont les leviers que permettent leur position du moment : caisses noires, militants positionnés comme ministres, directeurs et administrateurs. Les partis dans l’opposition n’ont pas d’autre choix que la cour au parti au pouvoir ou accepter de l’argent de n’importe quelle provenance, y compris de l’étranger, ce qui est banni par la loi qui les fonde, qui sanctionne un tel comportement par la dissolution pure et simple.
L’affaire Lamine Diack peut être vue sous cet angle. Si l’ancien président de l’IAFF a pu allègrement financer tous les partis s’opposant au pouvoir de Wade lors des élections de 2012, c’est parce que les partis de l’opposition ne peuvent se payer le luxe de refuser de l’argent. Problème ici : cet argent vient de Russie et tombe sous le coup de la loi : tous les treize partis qui en ont touché doivent être dissouts (articles 2 à 5 de la loi n° 81-17 du 6 mai 1981modifiée par de la loi n°89-36 du 12 octobre 1989).
Même le parti présidentiel est dans l’illégalité
Autre motif de dissolution de nos partis politiques : la loi leur impose de déposer, au plus tard, « le 31 janvier de chaque année le compte financier de l’exercice écoulé ; ce compte doit faire apparaître que le parti politique ne bénéficie d’autres ressources que celles provenant des cotisations, dons et legs des adhérents et sympathisants nationaux et des bénéfices réalisés à l’occasion de manifestations ». Même l’APR du président de la République ne sacrifie pas à ce rituel. La raison ? « C’est un problème de culture, nous n’avons pas cette culture », avoue l’administrateur du parti présidentiel.
Pourquoi les partis qui ont touché l’argent de Lamine Diack et ceux qui ne présentent jamais leurs comptes financiers ne sont pas dissouts ? C’est sans doute un problème de culture. Le ministre de l’Intérieur qui devrait prononcer la dissolution est lui-même responsable politique à Podor du parti au pouvoir qui fait partie des brebis galeuses à bannir. Seule la Cour suprême pourrait, dès lors, prononcer un jugement de dissolution.
Nous avons une culture de politique politicienne de beaux textes et de belles paroles que nos dirigeants piétinent sans vergogne.
La profusion et la prolifération de partis politiques au Sénégal sont symptomatiques d’une triste réalité : la rationalité, le travail et les vertus sont remplacés par le racolage politicien, les lois qui ne concernent pas les puissants du moment et les beaux textes et belles paroles très éloignés des réalités du 25e pays le plus pauvre au monde mais première puissance politicienne du globe.
Mamadou Sy Tounkara
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