Tout débat qui porte sur les questions liées à la nationalité, à l’ethnie et aux croyances religieuses doit être mené avec beaucoup de délicatesse, autrement cela pourrait brûler un pays, y compris le nôtre réputé pour sa cohésion sociale.
Malheureusement, nous avons cette fâcheuse tendance à souvent entretenir de faux débats, mais aussi et surtout, face à des sujets sérieux, d’escamoter le débat avec des amalgames faciles et des raccourcis douteux tout en allant siphonner les idées en vogue ailleurs.
Il en est ainsi de la question relative à l’inéligibilité à la Présidence de la République pour toute personne n’ayant pas « exclusivement » la nationalité sénégalaise. Puisqu’en France la bi-nationalité est en vogue, avec la loi qui prévoit de déchoir de leur nationalité française les bi nationaux auteurs de crimes et délits terroristes, certains croient qu’il est aussi de bon ton que nous ayons au Sénégal un débat tropicalisé sur le même thème.
Ils ont donc mis en épingle un article de la Constitution qui dispose que « tout candidat à la Présidence de la République doit être exclusivement de nationalité sénégalaise ».
Les uns crient au scandale, soutenant que « le Sénégal est en train de perdre sa tradition de pays de la Téranga ». Les autres préviennent contre le péril ivoirien avec la « sénégalité », une version sénégalaise de « l’ivoirité ». Pour certains enfin, ceux qui ont choisi d’être bi-nationaux se trouvent ainsi lésés. Les plus téméraires tentent même d’instiller dans le débat l’idée qu’en réalité cette disposition constitutionnelle n’a qu’une seule cible : Karim Wade. C’est en tout cas, ce qu’a tenté de démontrer son père, l’ancien Président de la République dans sa tribune « Aux observateurs de la scène politique sénégalaise : Bi et double nationalité ».
Dans son texte, après de longs développements sur la différence à faire entre la bi-nationalité et la double nationalité, Me Abdoulaye Wade finit par expliquer qu’avec cette disposition constitutionnelle, son fils Karim et beaucoup d’autres Sénégalais nés à l’étranger, devenus donc également citoyens de pays tiers malgré eux, se trouvent discriminés parce que ne pouvant pas être candidats à l’élection présidentielle, s’il ne renonce pas à l’autre nationalité qui leur a été « imposée ».
Partons du principe que Wade a raison, que Karim Wade et toutes les personnes dans sa situation sont victimes d’injustice. Pourquoi alors lui Abdoulaye Wade a fait inscrire cette disposition dans la Constitution qu’il a proposée aux Sénégalais en 2001 ? Pourquoi c’est seulement maintenant, après son départ du pouvoir, que lui Wade et tous ceux qui crient au scandale, se rendent comptent que cette loi est une injustice et une discrimination à l’égard de toutes les personnes qui ont plusieurs nationalités ?
Plus loin, l’ancien Président souligne une autre « injustice » en faisant remarquer que « personne ne peut prouver qu’il est de nationalité exclusivement sénégalaise car cela supposerait que l’on apportât la preuve qu’on n’a aucune autre nationalité, donc présenter autant de documents de non nationalité qu’il y a d’Etats membres des Nations-Unies, ce qui est impossible », avant d’ajouter que « le terme ‘exclusivement’ introduit une impossibilité car si on peut prouver qu’on n’est pas français, belge ou autre, on ne peut pas prouver qu’on est exclusivement belge, allemand, sénégalais ou français ». Là aussi Wade, qui a été, sans interruption, candidat à l’élection présidentielle de 1974 à 2012, oublie ou refuse de préciser que la loi ne demande pas aux candidats de « présenter un document de non nationalité », mais de faire une déclaration sur l’honneur qu’ils n’ont aucune autre nationalité que la sénégalaise. En effet selon le Code électoral, en son article LO. 114, « la déclaration de candidature doit être accompagnée d’une déclaration sur l’honneur par laquelle le candidat atteste…qu’il est exclusivement de nationalité sénégalaise..». S’il est besoin d’une « preuve », c’est celle-ci que la loi exige des candidats.
L’ancien président demande aussi « comment justifier que l’on singularise un candidat plutôt qu’un autre et qu’on lui demande, lui seul, de prouver qu’il n’a aucune autre nationalité que sénégalaise ? ». S’il parle bien de son fils Karim Wade ici, c’est juste parce que, jusqu’à preuve du contraire, il est le seul, parmi les candidats encore déclarés pour la prochaine élection présidentielle, à avoir brandi sa deuxième nationalité pour porter plainte contre le Sénégal devant la justice française, parce qu’étant citoyen français. Ce qui est d’ailleurs son droit le plus absolu.
Par conséquent en quoi est-il injuste et discriminatoire de le prendre aux mots et de rappeler au Parti Démocratique Sénégalais que le candidat qu’il a investi en mars 2015 pour la prochaine élection présidentielle est, pour le moment au regard de la loi, inéligible ?
Il est aussi important de rappeler, au vu de la tournure qui est en train d’être donnée au débat, que la disposition qui réserve la candidature à la Présidence de la République aux personnes « exclusivement de nationalité sénégalaise », n’est pas nouvelle, contrairement à ce que certains commentaires bien orientés tendent à le faire croire. Il s’agit en réalité de l’article 28 de l’actuelle Constitution sénégalaise adoptée par référendum en 2001. La loi dans ces dispositions actuelles est donc l’œuvre d’Abdoulaye Wade, celui là même qui se plaint aujourd’hui qu’elle est injuste et discriminatoire pour son fils. Mieux il faut remonter à 1992 pour voir la mention « tout candidat à la Présidence de la République doit être exclusivement de nationalité sénégalaise », ajoutée à la Constitution de 1963 (Article 23) à travers la Loi 92-14 du 15 janvier 1992 portant révision de la Constitution. Et dans l’exposé des motifs, il est précisé que c’est la commission nationale de la réforme du code électoral qui a « souhaité que les candidats à la Présidence de la République n’aient pas d’autre nationalité que la nationalité sénégalaise ».
Il faut rappeler ici que ce code électoral réputé « consensuel » avait été produit à la suite des travaux d’une Commission cellulaire dirigée par Kéba Mbaye et où quasiment tous les partis politiques étaient représentés. C’est dire que cette disposition, non seulement date de longtemps, mais elle est aussi le fruit d’une concertation de la classe politique sénégalaise, le PDS y compris.
Comment donc certains prestidigitateurs intellectuels pensent-ils pouvoir théoriser et convaincre qu’une loi adoptée il y a 24 ans l’a été dans le but de compromettre les chances d’un candidat investi en 2015 pour une élection qui aura lieu en 2017 ou en 2019 ?
L’autre grossière erreur dans ce débat est de vouloir faire la comparaison avec « l’ivoirité ». Il s’agit là, sinon d’une mauvaise foi au moins d’une maladresse intellectuelle dans la mesure où l’article 28 de la Constitution du Sénégal ne définit pas qui est Sénégalais ou ne l’est. Il détermine juste quel Sénégalais est apte, ou pas, à être candidat à la Présidence de la République. D’ailleurs, pourquoi ceux qui parlent d’injustice et de discrimination ne notent pas que les militaires en exercice, par exemple, ne peuvent pas non plus être candidats ?
Au demeurant, il convient de préciser que le Sénégal n’est pas le seul pays à mettre la nationalité parmi les critères d’éligibilité à la Présidence de la République. A titre de comparaison, là où aux Etats-Unis il faut être Américain de naissance pour pouvoir être candidat, dans notre pays une personne peut ne pas être Sénégalaise de naissance et être éligible à la Présidence de la République. Par exemple, toujours dans le cas des Etats-Unis, Madeleine Albright ancienne Secrétaire d’Etat et Arnold Schwarzenegger ancien gouverneur de la Californie, ne peuvent pas être candidats à l’élection présidentielle dans leur pays parce que n’étant pas Américains de naissance. Au Sénégal quel que soit le lieu de naissance, même si c’est la planète Mars, pourvu que la personne soit « exclusivement de nationalité sénégalaise », elle peut être éligible à la Présidence de la République.
Si maintenant certains pensent que cette disposition n’est pas en phase avec l’évolution du temps, il faudra alors poser autrement le débat mais pas tel qu’il est en train d’être entretenu aujourd’hui.
Samba Dialimpa Badji
Journaliste