Le Conseil constitutionnel n’a pas suivi le Président de la République dans sa « volonté » de réduire son mandat de 7 à 5 ans et de se l’appliquer.
De l’avis des cinq Sages,
cette réduction ne peut pas s’appliquer au mandat en cours et doit être supprimée du projet qui lui a été soumis. Toute la journée du 17 février 2016, il n’était question que de cette décision du Conseil constitutionnel et du choix sans équivoque du Président de la République de s’y conformer.
De nombreux observateurs semblent surpris et/ou déçus de cette tournure des événements et les commentaires vont bon train. C’est loin d’être mon cas car, au fur et à mesure que les années s’écoulaient, je constatais, avec nombre d’autres compatriotes, que ses plus proches affichaient publiquement leur désaccord avec le Président de la République. Le député Moustapha Cissé Lo, le Dr Cheikh Kanté et le « griot » du prince Farba Ngom se distinguaient dans ce lot. Le président Sall ne manquait pas de les recadrer de temps en temps mais sans succès. Ils continuaient toujours de plus belle leurs vives contestations du choix présidentiel.
Nous vivons quand même au Sénégal, avec un régime politique où les pouvoirs du Président de la République sont exorbitants. Il a pratiquement droit de vie et de mort sur ses militants et sur ses alliés. Il est surtout détenteur du décret et gère de façon discrétionnaire des fonds politiques substantiels. S’il avait vraiment la volonté de faire taire les récalcitrants et de respecter l’engagement qu’il avait pris, il en viendrait facilement à bout. Au lieu de cela, il a laissé faire, comme s’ il y a avait un deal entre eux. Rien n’est à exclure. Il s’y ajoute que le Président de la République a réitéré son engagement entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2012. La promesse était déjà, en bonne place, dans son programme le « Yoonu Yokkute ». En tous les cas, son engagement ferme à réduire son mandat et à se l’appliquer s’il était élu, lui a valu des voix, certainement beaucoup de voix. Elu le 25 mars 2012, il réaffirme sa promesse, son engagement, lors de son installation officielle comme quatrième Président de la République du Sénégal. Il en fera autant lors de son adresse à la Nation le 3 avril 2012. Il répétera le même engagement devant les présidents François Hollande et Barak Obama. Ce qui lui a valu, de leur part, de vives félicitations.
Il convient de rappeler quand même le ton chaque fois affirmatif de son engagement : « Je réduirai mon mandat et me l’appliquerai » disait-il sans équivoque. Pas une fois, il n’a dit « j’envisage ou j’ai l’intention de réduire mon mandat et de ma l’appliquer si . . . . ». Il donnait donc l’impression d’être sûr de son fait. Quatre longues années après, pendant que les Sénégalais commençaient vraiment à perdre patience, il révèle, à leur grande surprise, qu’il va demander l’avis du Conseil constitutionnel.
Des observateurs et non des moindres avancent qu’il connaissait déjà la position du Conseil constitutionnel. Vrai ou faux ? Les Sénégalaises et les Sénégalais apprécieront. Macky Sall est un homme du sérail (libéral). Le fonctionnement de l’Etat et de ses institutions ne devrait plus avoir de secrets pour lui. Il sait, en particulier, qu’il avait besoin de l’avis du Conseil constitutionnel avant de soumettre un projet de référendum au peuple sénégalais. Devenu officiellement Président de la République, il devait requérir, même de façon officieuse, l’avis des « Sages » sur son projet. Pourquoi a-t-il préféré attendre quatre ans après ? Cette question en appelle d’ailleurs de nombreuses autres.
Un adage conseille de remuer plusieurs fois la langue avant de parler, surtout quand il s’agit de prendre un engagement comme celui du candidat Macky Sall. Le Sénégal compte des constitutionnalistes de talent à qui il pouvait demander à tout moment leur avis. Il en connaissait suffisamment, avec les différentes stations qu’il a eu à occuper de 2000 à 2008. Il a milité surtout dans le même parti et travaillé dans le même gouvernement que le Pr Serigne Diop, l’un des meilleurs constitutionnalistes du Sénégal. Ce dernier lui aurait sûrement donné des conseils utiles qui nous éviteraient les quatre années que nous avons consacrées à des palabres inutiles au détriment du travail.
Le candidat, puis le président Macky Sall ne pouvait pas ignorer toutes ces opportunités-là. Peut-être, faisait-il du cinéma avec nous. A quelles fins ? Il est difficile d’imaginer ce qui se passe dans la tête des politiciens sénégalais, surtout quand ils visent le pouvoir. Ils sont prêts à tout pour y arriver et y rester le plus longtemps possible, par tous les moyens. Si le Président Macky Sall savait, et il savait sûrement, il a réussi son coup, au grand bonheur des membres de son clan qui occupent des stations importantes, où ils resteront encore trois bonnes années, si le président Sall leur garde sa confiance. Ces hommes et ces femmes de pouvoir sont sûrement en train de jubiler.
Il ne devrait pas en être autant de leur champion. Il est sorti d’une longue et grande guerre où il n’a gagné qu’une petite bataille. Sa victoire – si victoire il y a –, est une victoire à la Pyrrhus. La grande guerre, c’est le côté moral de l’aventure où il s’est engagé, en même temps que tout le pays. Il a fait une promesse ferme, plusieurs fois renouvelée à l’occasion de cérémonies solennelles ou de voyages officiels dans deux grandes démocraties comme la France et les Etats-Unis. Il nous a donné fermement sa parole qu’il n’a pas respectée, peu importe pour quelle raison. Il a fait ce qu’on appelle désormais le wax waxeet au Sénégal. Ce wax waxeet est même plus grave que celui de son prédécesseur qui l’avait fait, le temps d’un meeting.
Ce qui est plus grave encore, c’est que le président Macky Sall n’en est pas à son premier wax waxeet. Il en a fait, et encore, et encore. Il nous promettait, une fois élu, de nommer un gouvernement de 25 membres. Il en est aujourd’hui avec 39, sans compter les ministres d’Etat et des ministres conseillers dont personne ne connaît le nombre exact. N’est-ce pas lui qui portait en bandoulière sa promesse de mettre en œuvre, une fois élu, « une politique transparente, sobre et vertueuse » ? Et du slogan « La Patrie avant le parti » ? Qu’est-il resté aujourd’hui de ces engagements qui avaient pourtant soulevé tant d’espoir du côté de nos compatriotes qui refusent encore de se rendre à l’évidence : la promesse des politiciens n’engage que ceux qui y croient.
La mouvance présidentielle fait beaucoup de bruit et use de tous les artifices pour nous convaincre que la rupture et la transparence promises sont au rendez-vous. Nous en doutons légitimement et reviendrons plus largement sur cette question dans une autre contribution. En attendant, nous ne sentons la transparence ni dans les marchés publics où la pratique du gré à gré se porte toujours comme un charme, ni dans le choix des politiques, des femmes et des hommes qui nous gouvernent. Dix-sept (17) milliards de francs CFA pour réhabiliter le Building administratif ! Plus de cinquante milliards (50) pour construire le Centre international Abdou Diouf (CIAD) ! Quatre cent dix-huit (418) pour réaliser une autoroute (Ila Touba) de 112 kilomètres sur un terrain plat, sablonneux et pratiquement sans obstacle ! Sept cent cinquante quatre (754) pour réhabiliter le chemin de fer Dakar-Kidira ! Cinq cent sept (507) pour construire un Train Express régional de 54 kilomètres, un TGV électrique roulant à 160 km/heure et devant relier l’AIDB-Dakar et inversement, à une pointe de 160 km/heure. Une telle vitesse pour un train qui doit s’arrêter à quatorze gares entre ses deux destinations ! Quand aura-t-il l’opportunité de développer cette vitesse presque vertigineuse ? Et puis, de l’AIBD, on peut rejoindre facilement Dakar et inversement en 40-50 minutes sur l’autoroute à péage. Donc, pourquoi autant d’empressement pour ce très coûteux train ?
Je pouvais continuer à citer de nombreux autres projets à coût de plusieurs centaines de milliards de francs. Je sais que pour construire un pays, il faut des infrastructures. Le problème, c’est la pertinence, les coûts et les conditions dans lesquelles ils ont été attribués et à quelles entreprises ils l’ont été. Des compatriotes, qui sont des spécialistes en la matière, dénoncent toujours la nébulosité qui entoure ces marchés publics. On n’a pas d’ailleurs besoin d’être spécialiste de ces questions-là pour savoir que la transparence promise est encore loin d’être au rendez-vous. Ni, par ailleurs, la sobriété, ni la vertu. Il suffit pour s’en convaincre de rencontrer les cortèges présidentiels. Ce sont souvent des files interminables de 4×4, 8×8, Range Rover, Mercedes les plus luxueuses, etc., tous avides de carburant. Quand on compare ses cortèges à ceux d’un François Hollande, on a le sentiment que c’est le Sénégal qui est le pays développé, et la France le pays sous-développé. Je passe sous silence les déjeuners ou dîners gargantuesques donnés à la Présidence de la République. La sobriété et la rupture ne s’accommodent pas, non plus, de fonds politiques de huit à dix milliards alloués chaque année au Président de la République « qui en fait ce veut, sans rendre compte à personne ». Des milliards servant prioritairement à entretenir son entourage, son parti et d’autres partis alliés, des chefs religieux, etc. Ils sont aussi utilisés pour débaucher des membres d’autres partis, même appartenant à la mouvance présidentielle. Cette pratique, la détestable transhumance, devenue une spécificité sénégalaise (voir le Petit Larousse illustré), est officiellement bénie par le Président de la République qui la pratique même à l’occasion des présentations de condoléances. La transhumance et de nombreuses autres pratiques, sont incompatibles avec la vertu. Je n’insisterai pas sur le slogan creux « La Patrie avant le parti ». C’est exactement le contraire que nous vivons tous les jours. Ce n’est un secret pour personne.
Donc, le dernier wax waxeet du Président de la République, même couvert par l’avis du Conseil constitutionnel, a surpris, déçu et indigné de nombreux compatriotes. Tout indique qu’il a attendu le dernier moment pour soumettre son projet au Conseil et que, probablement, il savait d’avance l’avis qui lui serait donné. Cet avis ne devrait cependant ni surprendre, ni indigner, si on considère que le wax waxeet, c’est bien dans ses habitudes, dans sa gouvernance. Nous l’avons illustré à suffisance dans ce texte.
Maintenant, se pose la question de savoir quelle position adopter face au Projet de Constitution amaigri qu’il va nous présenter. Quel intérêt présente-il pour nous, délesté qu’il est de ce qui en faisait pratiquement la substantifique moelle : la disposition d’écourter son mandat de 7 à 5 ans et de se l’appliquer ? Quel intérêt puisque son contenu se résume à « ce qu’il a jugé bon » du projet de la Commission nationale de Réforme des Institutions (CNRI) ? Il appartient à chacun, à chacune d’entre nous de se déterminer par rapport à ces questions-là et de décider du sort qu’il (elle) va réserver au projet de Constitution qui nous sera soumis le 20 mars 2016.
Dakar, le 18 février 2016
Mody NIANG