Ayant longtemps été un jardin fécond de confrontation d’idées et un espace de proposition et d’avant-garde, le champ du débat démocratique sénégalais est de plus en plus perverti par des controverses politiques d’arrière-garde et de bas niveau qui mettent en apnée les questions essentielles qui cernent et concernent la vie de la Nation. Les sujets démocratiques ainsi demeurent momentanés et occasionnels au détriment des questions pour lesquelles les Sénégalais attendent toujours des réponses.
La démocratie est un système qui, par nature, par vocation et par principe, assure la participation des citoyens aux choix politiques et garantit aux gouvernés la possibilité de choisir et de contrôler leurs gouvernants ou les remplace de manière pacifique lorsque cela s’avère opportun. Mais cela n’est possible qu’à partir d’un débat d’idées fécond qui figure parmi les principaux instruments de participation démocratique et politique et qui permet de séparer le bon grain de l’ivraie.
Mais, dans un système démocratique sérieux, aucune avancée n’est possible sans l’étude et la connaissance des problèmes réels de la communauté, des données de faits et des diverses propositions de solutions formulées dans les débats par les acteurs politiques.
Malheureusement, au Sénégal, cette valeur démocratique s’effiloche en raison d’une émergence d’un débat politique sec et bas essentiellement articulé autour de questions de personnes et de parti et jamais des problèmes réels qui cernent et concernent la vie nationale.
Le champ social est en ébullition ; le monde rural est dans l’impasse ; des citoyens meurent sur la circulation à cause d’infrastructures routières défectueuses ; le marché social est asphyxié par des prix commerciaux informels qui garrotent la bourse familiale ; l’enseignement public est encore en apnée ; les maux sociaux s’étirent et la nation sanglote, sanglote, sanglote…
Mais le débat public fait abstraction de ces problèmes, se laissant paralyser par des sujets politiciens d’arrière-garde qui avilissent la conception publique du jeu politique.
Le plus cocasse est que ce sont des hommes d’Etat, Ministres de la République, ou des acteurs haut placés du jeu politique qui engagent ce débat démocratique d’une modicité et d’une vilénie si criarde qu’il laisse indifférent le citoyen ordinaire.
Si ce n’est un débat sur la légitimité ou non d’une candidature, c’est une controverse sur la possession d’une double nationalité, ou une querelle médiatique sur les prérogatives du Maire de Dakar ou du Ministre du Renouveau urbain, des sujets abordés avec une légèreté et une désinvolture qui rendent bien compte des intentions subjectives et partisanes de ceux qui les abordent.
Les vraies questions occultées
Ceux qui exercent des responsabilités politiques et ceux qui occupent le débat démocratique oublient toujours, pour des questions purement politiciennes, la dimension morale de leurs charges publiques.
Cette dimension consiste à partager le sort du peuple et à chercher, à partir de débats libres, riches et ouverts, la solution des problèmes sociaux. Dans cette perspective, un débat démocratique signifie une discussion contradictoire qui fait appel aux vertus favorisant la pratique de la politique dans un esprit de service public et non de militantisme politicien.
Malheureusement, le débat politique sénégalais s’inscrit dans une dynamique vile et politicienne. Pour preuve, aucun débat d’envergure et de haute facture n’est encore abordé sur la situation du monde rural qui étouffe, ni sur ces citoyens anonymes qui meurent sur les routes nationales à causes de constructions mauvaises, ni l’insalubrité qui infeste le monde urbain, ni sur les effets pervers de l’industrialisation.
Finalement, c’est la démocratie et le débat libre qui en est son auxiliaire qui sont altérés. L’obsession d’un 2ndmandat pour le pouvoir et ses ouailles et la volonté de déstabiliser ce pouvoir pour l’opposition ainsi que l’option d’une certaine classe médiatique d’entretenir ce débat populiste et infécond sont la cause de la bassesse du débat démocratique actuel.
En réalité, tout débat démocratique se rabaisse lorsqu’il s’inspire de subjectivisme partisan et politicien et s’accompagne de liens étroits entre les partis obsédés par la future élection et les animateurs obnubilés par la conquête de sinécure ou la conservation de pantoufles.
Quand les beaux esprits tombent bas
Il est insolite de voir, au Sénégal, de haut cadres et de grands intellectuels tomber bas dans le débat démocratique, un débat qu’ils deviennent eux-mêmes incapables de hausser au niveau des questions d’intérêt national qui galvanisent le peuple et le porte de l’avant.
Dans les démocraties civilisées, un débat public sérieux s’articule de questions liées à la vie sociale et surtout au bien commun considéré comme fin et critère de régulation de la politique.
Mais, au Sénégal, le débat politique est toujours circonstanciel. Il n’est jamais porté sur des sujets de haute teneur. Déjà, après le débat sur le voile intégral, ce fut ensuite un débat sur l’affaire Lamine Diack ; aujourd’hui c’est un débat sur la double nationalité. Ce débat va bientôt s’épuiser pour laisser la place à un autre sujet de rue.
C’est finalement la démocratie des médiatisés et non des citoyens. Une telle démocratie perd son pilori essentiel qui est le bien commun, l’intérêt national et l’essor collectif. Elle dépouille la politique de toutes ses valeurs et amène les citoyens à s’en désintéresser. Et c’est dommage !
Madior SALLA