On a beau regarder, scruter, il devient difficile de comprendre certains de nos compatriotes. Les qualités finissent par être requalifiées en défauts. L’on vous reproche la ponctualité, le sérieux, la fidélité, la loyauté pour vous suggérer de ne considérer que l’intérêt matériel et personnel. L’on trouve plus facilement une tribune pour dire du mal de quelqu’un que pour présenter un modèle, une référence. Untel usurpe une fonction ou une image avec autant d’habileté qu’on lui donnerait le bon Dieu sans confession. L’on devient bête et méchant sans trop savoir pourquoi. L’on trouve un malin plaisir à dénigrer tout guide, spirituel ou temporel, serait-il exempt de tout reproche. On souhaite l’échec aux autres, le cœur aveugle et insensible. L’on repousse la main du noyé qui cherche à s’accrocher désespérément à un sauveur. Pour daigner aider son prochain, on attend qu’il soit au bord du précipice et qu’il crie fort : au secours ! A-t-on pleine conscience des conséquences de tels actes ?
Devenue rares parce que presque abandonnées et esseulées, générosité et solidarité ont pris le chemin de l’exode. Le mal semble prendre l’avantage sur le bien. Est-ce une mode ou la manifestation extrême de l’absurdité? Sénégalais, quelle mouche nous a donc piqués?
Le monde à l’envers
Quand les enfants désobéissent à leurs parents, quand les élèves agressent leurs maîtres, quand les cadets s’attaquent aux aînés, quand les femmes n’écoutent plus leur époux, quand les employés saccagent leur outil de travail, quand des garnements apostrophent leur guide. ET ce n’est pas tout : quand la trahison est préférée à la fidélité, quand les méchants se dissimilent sous la peau des sages, quand le seul habit suffit à faire le moine, quand on s’acharne contre son bienfaiteur…Nous vous laissons deviner la suite. Mais qui trompe-t-on ? A malin, malin et demi. Pourtant, ils disent tous ne pas souhaiter le chaos, même s’ils font tout pour. Comment continuer à jouer à se faire peur, préparer le trou qui nous servira de tombe, scier la branche sur laquelle on est assis sans le savoir ? Ignorance ne saurait être plus grande et plus inquiétante.
C’est le monde à l’envers. Des minorités provoquent la majorité, les voleurs crient au voleur et ce, après d’autres qui n’ont commis de crime que d’avoir voulu gérer avec plus de rigueur. Le pire, c’est quand le syndicalisme de mauvais aloi, l’argent-roi et la meurtrière ambition politique font jonction, se rejoignant dans un axe du mal. Alors, au diable les bonnes performances en matière de gestion! Seuls l’ambition et l’intérêt personnels servent d’objectifs. Le bilan, on verra après. A quoi cela sert-il de changer les hommes si le système demeure ? Aider un dirigeant, c’est réussir la mission qu’il vous confie pour lui permettre de présenter un bilan reluisant. Qu’il s’agisse d’établissement public ou d’entreprise privée, c’est par les performances dans la gestion que l’on doit être jugé.
La véritable rupture, apte à produire l’émergence économique souhaitée, commence par l’émergence des mentalités. Pour cela, il ne faudrait pas négliger la piste de l’émergence politique. Malheureusement, nos mentalités ne se sont pas encore émancipées du « lambi golo, ku jóg daanu». En effet, comme dans une course de médiocres, au lieu de chercher à être le premier à franchir la ligne d’arrivée, l’on excelle plutôt dans l’art du croc-en-jambe pour empêcher les meilleurs d’être en tête de peloton. C’est dire que dans cet océan, aucun poisson n’a le droit de sortir la tête de l’eau, d’émerger.
Presque tout devient banal : les insultes, l’inceste, la drogue, la prison. Idem pour le viol, la pédophilie, l’infanticide, le parricide, le fratricide parfois pour des peccadilles (une vache, un tee shirt, une pièce de monnaie) et les détournements de deniers publics. Jetons un coup d’œil sur les deux extrémités de cette chaîne humaine qu’est notre chère société: s’y trouvent nos enfants et nos morts, autrement dit l’avenir et le passé. Les premiers squattent la rue, obligés de quémander pour manger tandis que les tombes des derniers sont profanées. Quelle mouche nous a donc piqués ? Qui pour s’en émouvoir, si ce n’est du bout des lèvres ? A-t-on encore une once de capacité d’indignation ? Nous sommes tous interpellés mais pendant ce temps, que disent les artistes, les écrivains, les universitaires, les politiques, nos représentants élus, la société civile et «militaire»? Et si chacun pensait que se sont les autres (gaa ñi) qui sont concernés, qui doivent mener le combat, mais pas soi-même ? Qu’il ne faudrait intervenir qu’en dernier lieu pour récolter les fruits de l’engagement d’autres, qualifiés de « fous » ou «audacieux» quand ils entamaient le processus? Nous sommes de ceux qui pensent qu’une main ne se tend pas uniquement pour recevoir, elle doit se tendre aussi pour donner.
Se ressaisir face au paroxysme
Se ressaisir, c’est le maître-mot car, si on ne s’attaque pas à de paisibles citoyens, on en commandite l’acte, tapis dans l’ombre. Et voilà que, ultime paradoxe, certains individus qui n’ont aucune culture ou expertise avérée sont choisis sur treize (13) millions de compatriotes pour analyser, disséquer l’actualité, donc influencer leur auditoire, le public. Aucune enquête de moralité, aucun CV validé et confirmé. Y a-il-il jamais eu un prix pour épicuriens, amateurs de belle vie ? La fréquentation assidue d’endroits huppés a un coût que seul le chantage pourrait aider à satisfaire. Et l’on est tenté de s’y adonner pour maintenir ce standing. Et l’on peut se chercher un métier parallèle, une occupation hebdomadaire comme couverture en y mettant les moyens que cela exige. Ils sont juste briefés avant de monter sur le ring (pardon, le plateau). Demandons-leur seulement leur cursus : aucun haut fait si ce n’est s’attaquer à de paisibles citoyens, l’invective à la bouche. Comme un chien méchant à qui son maître dit : « attaque ! ». Comment quelqu’un qui n’a jamais été étudiant peut-il se permettre de contredire un professeur agrégé sur un sujet relevant de la compétence de ce dernier ? C’est le nouveau taalibe (élève) qui contredit le sëriñ (maître) dès le premier cours. Ce chroniqueur d’un genre nouveau n’a pas jugé utile de s’adonner d’abord à l’apprentissage de son filon (nouveau créneau). C’est faire preuve de témérité mais manquer d’humilité. S’occuper de lingerie à l’université, qui somme toute est une noble tâche, ne fait pas de nous des universitaires. C’est comme quelqu’un qui, bien que n’ayant jamais été un sportif, se sentant honni partout, convoquerait un virtuel apprentissage des arts martiaux par peur d’être lynché à la moindre promenade en ville.
Certains ne doivent leur triste réputation qu’à la virulence de leurs propos, ces mercenaires des temps modernes, piratant des plateaux auxquels ils n’auraient jamais dû accéder en temps normal. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils ne doivent leur notoriété qu’au seul goût du tapage. Ils ne peuvent montrer du doigt une seule réalisation à leur actif, qui soit utile à leur pays et à leurs congénères. Ils vont jusqu’à usurper un niveau de diplôme qu’ils ne pensent pas avoir, même dans leurs rêves les plus fous. Qu’ils citent un seul condisciple de la classe de Terminale, voire du niveau DFEM? C’est à se demander s’il y a eu un casting avec des termes de référence objectifs. A comparer leur trajectoire à celle des gens auxquels ils s’attaquent, on se rend compte qu’il n y a pas photo. Il ne faut pas donner des allumettes à un singe dans une forêt dense. Ce serait faire preuve de complicité coupable, active et passive à la fois, d’association de malfaiteurs fournissant les armes destinées à l’attaque de personnes ciblées individuellement et /ou de toute une profession.
Nous pensons que les Sénégalais méritent mieux, qu’ils ont droit à plus de respect de la part des media. Démultiplier le mal en le diffusant n’est pas une bonne prouesse. C’est valable pour les images obscènes. La liberté a une limite: la sauvegarde de l’ordre public et des bonnes mœurs, la protection de l’intérêt général. Malheureusement, notre société est de plus en plus gagnée par une mauvaise graine plus prompte à détruire qu’à construire. Des voleurs crient au voleur après d’honorables concitoyens. Ils mentent et calomnient, avouant sans gêne : «damay sos rek» parfois sous le couvert d’autres, lâchement assis dans les coulisses, leur fourbissant les armes du crime. Face à la justice, ils nient et se renient. Ces bêtes sauvages, lâchées dans la nature, sont prêtes à tuer au propre comme au figuré, si elles n’arrivent pas à vous inciter à tordre le cou aux lois et règlements et leur donner leur part du « butin national ». Si vous êtes un faiblard, c’est eux qui épluchent les oignons et c’est vous qui pleurez, comme disait Coluche. N’est-il pas venu, le moment de lister les fauves et de leur préparer une cage, de les mettre sous anesthésie générale ou en hibernation ? Un jour, ils perdront leurs crocs, leur venin et deviendront des ex. Mais point de loi du talion ! Si nous ne pouvons changer les mauvais en bons, qu’ils ne nous changent pas en mauvais. Ils auraient gagné le combat et nous ne leur offrirons pas ce plaisir. Cependant, quand les mauvais n’hésitent pas à se liguer, pourquoi les bons ne le feraient-ils pas ?
Autre trait pernicieux de la société : l’absence de circonspection qui conduit à la médisance. Méchanceté, quand tu nous tiens ! L’on se délecte du malheur des uns. Affaire Lamine DIACK, victime d’un revers de fortune. Ce dernier pourrait être le père de bon nombre d’entre nous. A-t-on pensé à ses enfants et petits enfants ? Est-ce que tout ce qu’il a fait de bon sur plusieurs années doit être balayé d’un revers de main ? En faisant référence aux Assises Nationales et en comparaison avec sa participation, peut-on en déduire que toutes les épouses devraient demander désormais à leur mari d’où provient l’argent de la dépense ? Tous les employés devraient-ils demander à leurs patrons d’où ils tirent le salaire qu’ils leur versent à la fin de chaque mois ? Les parents devraient-ils regarder par deux fois l’argent que leur envoient leurs enfants? Même les métiers de la culture ont contribué aux dites Assises en versant une somme modeste. L’honorable Président Amadou Mahtar MBOW et les participants avaient voulu que les Assises ne soient financées que par des Sénégalais et qu’il n’y ait aucun centime provenant d’ailleurs. Aussi, quand on est conscient de ses actes, doit-on en assume certes la responsabilité mais n’accablons pas davantage notre compatriote et suivons d’abord l’issue des affaires FIFA. A-t-on beaucoup entendu les Français enfoncer PLATINI ? Il est facile de défaire des compatriotes et l’on s’y complait. Et si l’on s’exerçait à faire d’autres que nous-mêmes, à construire des modèles, à soutenir ceux qui ont du potentiel à revendre? Et si, tels des chasseurs de têtes (bien faites), et sans distinction politique, ethnique, géographique, ou religieuse, on ciblait ceux qui se sont distingués dans divers domaines ? On serait très agréablement surpris de la qualité du résultat au bénéfice du peuple sénégalais. On a le devoir et le droit de nourrir un rêve pour notre pays.
Se ressaisir et résister, voilà l’antidote au venin du serpent qui, s’il rampait et frappait à l’improviste auparavant, le fait maintenant à visage découvert, sous la protection d’un lobby. Mais les Sénégalais ont de qui et quoi tenir. On nous tue, on ne nous déshonore pas!
Savoir résister
Il faut savoir préparer le terrain de la résistance morale autrement. On prépare certes des plans, on fixe des objectifs et on croît savoir où on va mais on ne fait jamais cas de la rampe de lancement, du socle d’où on part : la culture. Tel un dernier bastion, elle doit être imprenable. N’est-ce pas ce qui nous reste quand on a tout perdu ? Revisitons-la, prêts à nous y ancrer. Nous avons l’impérieux devoir de protéger le legs de nos ancêtres (Mame Cheikh Oumar Foutiyou, Maodo Malick, Cheikh Ahmadou Bamba, Baye NIASS, Limamou Laye, Bou Kounta, Lat Dior, Alboury NDIAYE, Valdiodio NDIAYE, Cheikh Anta DIOP et tant d’autres qui on su, chacun, résister au mal envahissant et faire don de soi). Puisons nos dernières ressources dans ce qu’ils nous ont légué et nous serons plus forts, plus résistants.
Pour vivre en société, la tolérance doit certes être de mise, car si certains sont des vicieux, d’autres sont probablement malades. Mais tout de même, s’il est de bon ton de protéger les minorités, a fortiori la majorité. Les minorités atteintes de déviance ou minées par une mode qui prête à équivoque ne doivent pas provoquer la majorité. Ce serait le monde à l’envers. Récemment, dans la ville de Kaolack, leur attitude de provocation en a créé une autre, faite de défiance à l’égard de l’autorité policière. Elles doivent respecter les lieux d’éducation, de culte, bref, tous les lieux publics si elles ne veulent ou ne peuvent changer en mieux. Si tout le monde les rejoignait, l’humanité serait éteinte il y a belle lurette et toutes ces personnes ne seraient donc pas nées, question de bon sens.
Pour nous préparer un chemin bien pavé, nos anciens, rois comme guides spirituels, se sont battus contre la colonisation et toute forme de mal. Et nous, alors ? Sommes-nous dignes de leur héritage? Nous nous battons contre quoi (le mal) et pour quoi (l’honneur)? Mouille-t-on assez le maillot? Ne serait-ce que d’avoir essayé et pour que leur sacrifice ne soit vain. La colonisation n’existe plus sur le papier certes mais, vicieuse et de manière insidieuse, elle emprunte le boulevard de l’économie et de la culture. C’est par la culture, au sens réarmement moral et intellectuel, que viendra la meilleure réponse à cette invasion. Pour être à l’avant-garde de cette résistance culturelle, il faut que les artistes et les gens de lettres soient mieux cultivés. C’est la locomotive qui doit porter les wagons et pas l’inverse.
S’adressant à nos amis artistes, nous dirons qu’il ya tellement plus positif, pour un homme, que des boucles d’oreille et un pantalon qui tombe. Il suffit juste de se rappeler qu’il n’y a guère longtemps, l’on jurait par le fameux « sama geñoog baay». C’est dire quelle valeur on lui donnait. Les enfants nous regardent, allant jusqu’à copier l’attitude des adultes mais, pour un élève, il n’y a pas pire malheur qu’un mauvais professeur. Après tout, s’il ne restait qu’une cause à défendre, laquelle serait prioritaire si ce n’est celle de nos enfants ? Notre attitude laissera deviner la voie que nous voulons qu’ils suivent. Ne laissons pas tout entre les mains de l’Etat, aidons-le à nous aider. A chacun sa responsabilité sur terre et Dieu lui demandera certainement quelle était l’utilité de son passage ici-bas. Voilà pourquoi nous avons le devoir de rêver et de contribuer éternellement à bâtir un Sénégal meilleur dans un monde amélioré. Comme le disait si bien le penseur, je suis homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger. C’est déjà justifier tout engagement au service de l’être humain, bâti sur la générosité, la solidarité et le respect de nos valeurs. Pourquoi ne pas se retrouver autour d’une Convention pour l’Ethique et les Valeurs (CEV), comme la sève nourricière ?
Biram Ndeck NDIAYE
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