Les politiciens de la mouvance présidentielle sont mis en demeure de faire triompher le oui, les partis alliés sommés de s’aligner ou de quitter la barque présidentielle.
Jamais processus de réforme démocratique n’aura été enfanté si douloureusement et de manière aussi autoritaire !
Entre les menaces présidentielles, le «ma tey» de la deuxième personnalité de l’Etat et l’état d’urgence au niveau de la maison du Parti socialiste, on est loin d’une démarche consensuelle plus appropriée pour l’adoption du projet de réformes constitutionnelles proposé par le chef de l’Etat.
Et c’est bien pour cela que le débat en cours, censé porter sur le référendum, s’apparente plutôt à un dialogue de sourds.
Le camp du Non
Les organisations de la société civile et d’autres acteurs de la révolution citoyenne de 2011-2012, parmi lesquelles le M23, le COS/M23, Senegaal bi ñubëgg, Y’en a marre, la Raddho, choquées par le reniement du Président Macky sur la réduction de la durée de son mandat, l’affaissement de son autorité morale qui en a résulté, et dépitées par le caractère insignifiant des réformes proposées appellent à voter Non au référendum. Et cela, d’autant plus que la plupart d’entre elles étaient parties prenantes du processus des Assises nationales. Elles ont également appris, tout au long des quatre dernières années, à se méfier du régime de Macky Sall, qu’ils accusent d’être peu soucieux des droits humains et d’être impliqué dans certaines affaires assez douteuses, comme celles de Petrotim ou de la Banque de Dakar.
Pour ce qui est des forces d’opposition provenant essentiellement de l’ancienne majorité, qui à l’époque était hostile à la dynamique des Assises nationales, elles appellent également à voter Non avec un argumentaire des plus fallacieux, entre refus de la laïcité et accusations non prouvées sur la volonté du pouvoir de promouvoir l’homosexualité. De ce point de vue, le Parti démocratique sénégalais et ses alliés semblent s’opposer au référendum dans une perspective d’extrême droite.
Enfin, une des rares organisations de gauche avec le Rnd/Dialo Diop et Tekki, à avoir refusé le diktat de Macky Sall est Yoonu askan wi, qui préconise le vote négatif et en appelle à l’application des conclusions des Assises nationales et des recommandations de la Cnri.
Malgré la désapprobation générale suscitée par le reniement présidentiel sur la réduction de la durée du mandat, seules deux formations politiques significatives, appartenant à la Coalition Benno bokk yaakaar, se sont désolidarisées de la démarche du président de la République. Il s’agit, notamment du Mrds et de Bës du ñakk, qui déjà aux Législatives de 2012, avaient fait preuve de la même audace politique, avec un succès remarquable.
Les partisans du Oui
Tous les autres partis ont obtempéré face aux injonctions présidentielles, avec les conséquences fâcheuses que l’on sait.
C’est ainsi que le week-end dernier, le siège du Parti socialiste a été le théâtre d’affrontements qui sont venus confirmer ce que le Peuple sénégalais pressentait depuis un certain moment, à savoir que la majorité des leaders de la Coalition Benno bokk yaakaar étaient devenus des pantins à la merci du pouvoir d’Etat. En effet, c’est bien à l’ombre des baïonnettes de la police «apériste» que les délibérations d’une association privée – que constitue tout parti politique – se sont tenues. Ailleurs et partout où cela était possible, c’est par des méthodes plus subtiles que des majorités mécaniques auraient été fabriquées.
Cette crise au sein du plus vieux parti sénégalais, qui se vante, depuis quelques années, d’avoir un fonctionnement démocratique et des procédures éprouvées de désignation de ses dirigeants est vraisemblablement à mettre sur le compte d’une gouvernance marquée par la servilité et la duplicité.
Que dire de l’Alliance des forces de progrès, victime de son excès de zèle à vouloir soutenir une candidature à une élection présidentielle finalement reportée à 2019 ? Les dirigeants de cette formation politique ne pouvaient certes pas s’attendre au retentissant wax waxeet présidentiel ! Qu’adviendra-t-il après les élections législatives de 2017, quand leur secrétaire général ne sera plus président de l’Assemblée nationale ? Dans tous les cas, leur parti, victime d’une scission, sortira affaibli d’une alliance politique, au sein de laquelle la lutte des places semble primer sur les convergences programmatiques.
Enfin, comment comprendre que des partis membres de la Confédération pour la démocratie et le socialisme, qui a souverainement adopté les conclusions des Assises nationales comme plateforme minimale, en soient réduits à soutenir les reniements de leur allié de Président ? Ils auront en effet réussi, une fois encore, grâce aux vertus d’une dialectique instrumentalisée et d’un simulacre de réquisitoire contre le Prince, à différer l’heure de vérité au sein de leurs formations politiques, selon la fameuse maxime : «Un tien vaut mieux que deux tu l’auras !»
L’Apr, ennemi public numéro 1
Au total, on a de plus en plus l’impression que le président de la République, clé de voûte des institutions, qui devait être le garant de la paix sociale et de l’unité nationale, constitue la première menace de troubles à l’ordre public dans notre pays.
Initiateur de réformes «subversives» comme celle portant sur l’Acte 3 de la décentralisation, refusant d’appliquer les accords signés avec les partenaires sociaux, il s’engage dans une démarche solitaire, aux confins de l’autisme, avec comme résultat, une tension sociopolitique exacerbée. De fait, le premier magistrat de la Nation, à cause de son style managérial autoritaire, est en train de réduire progressivement la base sociale de son pouvoir, pourtant reconnu comme étant l’un des mieux élus dans notre pays depuis son accession à l’indépendance, en 1960.
Cet état de fait résulte de l’absence d’appropriation par les masses populaires, y compris les militants de base des formations politiques alliées, de la démarche politique de Benno bokk yaakaar, qui loin d’être une véritable coalition politique reposant sur des fondements programmatiques, se résume à un club de leaders. Ces derniers, s’appuyant sur des «nomenklaturas fidélisées» sont chargés de répercuter et de faire entériner toutes les fantaisies présidentielles par leurs partis.
Quelle réponse au référendum de Macky ?
Notre conviction est qu’il s’agira, lors du prochain référendum, de sanctionner politiquement le président de la République, président de l’Apr, sans s’inscrire dans la perspective revancharde et destructrice des héritiers du wadisme.
Il va de soi que l’exigence de rupture, qui avait présidé à la tenue des Assises nationales, n’a pas été prise en compte par le projet de réforme constitutionnelle, dont les quinze propositions sont caractérisées plus par leur insuffisance que par leur nocivité.
Dès lors, la seule attitude raisonnable aurait dû être d’empêcher la tenue d’un référendum rendu obsolète par le reniement présidentiel, jusqu’à ce que les conditions pour de vastes concertations inclusives soient réunies. A défaut, un boycott massif des opérations électorales du 20 mars prochain aurait le mérite d’ôter toute légitimité à ce référendum-alibi et à son initiateur, sans compromettre l’adoption de points tels que la réduction du mandat présidentiel, la participation des candidats indépendants à tous les types d’élections etc.
Cette déroute politique de la majorité présidentielle marquera un tournant dans la gouvernance cahoteuse de l’Alliance pour la République, qui sera alors contrainte d’initier les ruptures venues à maturité, telles qu’elles avaient été identifiées lors des Assises nationales.
A défaut, notre pays serait plongé dans une crise politique gravissime aux conséquences incalculables.
Dr Mohamed Lamine LY
Membre du comité central du Pit-Sénégal