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Toubab – Toubablou

Toubab – Toubablou

Sommes-nous obligés de rouler les « r » et de mâcher les « m » en parlant français ?

Cette question, du reste triviale, m’est venue à l’esprit en tombant par hasard ce matin sur une de ces (nombreuses) émissions matinales d’une télévision nationale de la place. L’accent délibérément « parisien » et forcé des présentatrices, des chroniqueur(se)s et invité(e)s, le manque évident de naturel dans leur élocution et prononciation, m’ont paru assez ironiques pour ne pas dire plus.

Des remarques similaires pouvant d’ailleurs être faites dans bien d’autres médias et programmes. Notamment un JT d’une autre télévision miroir où l’on éprouverait, me disé-je un jour, un certain mal à deviner, en entendant uniquement la voix du présentateur, que c’est bien un sénégalais « bon teint » qui mâchait si goulûment ses « ch » et sirotait si langoureusement ses « s ». Tellement, dans cette nouvelle langue si particulière des nouveau types de sénégalais, les « en » deviennent des « aan » (bien = biaan, bienvenue = biaanvenue), les « e » des « euuuu » (Nous sommes = Nous sommeuuuuu), les « r » littéralement avalés (le président de la République = le p’esidaant de laa ‘epublique), nos propres patronymes déformés ou mal prononcés pour mieux ressembler aux célèbres reporters de Canal (Ñang = Niaaang), en plus d’autres heureuses trouvailles de la fertile imagination daka’oise.

Qu’est-ce qui peut expliquer ce genre de comportements ? Le complexe culturel de la langue des « élites » ? Un certain désir de sophistication et de raffinement (surtout chez les jeunes femmes « émancipées ») ? L’ambition (psychologique) de s’élever vers les classes aisées, réputées plus instruites, plus « branchées », maîtrisant mieux la langue du « maître » ? De paraître « intellectuel » ? De se conformer à la mode ? Un marqueur social ?

Ce « français-françaislou » ridicule de nombre de nos concitoyens devient même plus frappant lorsqu’ils prétendent utiliser leur langue maternelle. Surtout à la suite de notre fameuse formule transitoire nationale bien connue des politiques « Su ngeen ma mayee, ma wax ko ci wolof ». En guise de wolof, justement, la plupart d’entre nous n’utiliseront même pas 10% de termes appartenant à cette langue. En dehors des expressions, articles et mots de liaison, des termes pourtant bien connus en wolof et disponibles sont retraduits.

« Le Chef du Gouvernement dafa appeler au civisme de tous les citoyens. C’est pourquoi suñu coordination politique répondre à cet appel solennel du chef de l’Etat. Ñu placer manifestation bi sous le haut patronage de son Excellence, Monsieur le Premier ministre, ak celui de la première dame… » Un massacre, que dis-je, un véritable génocide linguistique ! Un crime contre nos humanités, me disé-je. Aussi.

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Chez les jeunes dakaroises moom, c’est bien pire. C’est comme si l’usage de termes français ou naturalisés, dans leur pidgin quotidien, était désormais devenu un « must » pour paraître « in ». En matière de mode, de recettes de cuisine, de beauté, la règle veut apparemment que l’on se sophistiquasse le plus possible. Loo sophistiquer rekk doyoul.

« Recettou cuisine bi mooy nga faire bouillir un litre d’eau, ajouter si une pincée de sel ak quelques cuillerées d’huile d’olive. Nga laisser ko mou mijoter à petit feu pendant quelques minutes. Man ngaa desseeroo jus de mangue bou niou parfumer à l’essence de banane (…) Ngir sa teint raffiné, man ngaa utiliser gaamou huiles naturelles bii. Dee ko mélanger ak un peu d’huile de karité, pour enlever say boutons (…) Taille-basse bi da niou koo garnir avec du satin mauve brodé bou lisse ak bazin bou rouge magenta, pour mou am apparence bou classe et chic…» Tout cela avec, en supplément, siouplait, l’accent francilien ci-dessus décrit, garni de ses fameux « aaan », « euuu » et « cheu ». Cheuteuteut.

Je sais bien. Il ne faut pas injustement et maladroitement mettre tous nos compatriotes « accentués » dans le même panier des « accentueurs ». Car il en existe, naturellement, qui le font naturellement. Soit, parce qu’étant nés et ayant grandi dans un tel environnement linguistique. De plus en plus de jeunes parents sénégalais préférant en effet parler français avec leurs progénitures (pour des raisons scolaires ou autres) au détriment de leur langue maternelle. Soit, parce qu’ayant étudié et acquis l’essentiel de leurs connaissances dans cette langue. Ce qui fait de celle-ci la langue avec laquelle ils se sentent le plus à l’aise dans leurs réflexions et idées.

Je sais bien, aussi, que la globalisation des idées et des destins de la modernité, l’intensification des échanges culturels, dans ce « rendez-vous du donner et du recevoir », font qu’il soit presqu’illusoire de s’opposer aux processus de « métissages » et d’influence en cours. La seule question méritant d’être posée étant, cependant, le caractère souvent unilatéral de ces influences, l’ampleur de celles-ci et l’évolution des civilisations dominées qui « reçoivent » actuellement beaucoup plus qu’elles ne « donnent ». Seront-elles condamnées à se fondre totalement dans le moule des autres ? Sans aucune possibilité d’originalité ou d’identité propre ?

Je sais aussi que, autant l’habit ne fait-il pas le marabout, autant la seule langue ne fait forcément pas de nous des « toubabs ». Contrairement à certains préjugés faciles. Il existe, en effet, de plus en plus de sénégalais instruits et usant abondamment et parfaitement de cette langue, mais dont le cœur et l’âme sont loin d’être assimilés. Au contraire, les « intellectuels » les plus profonds et les plus clairvoyants sont aujourd’hui ceux qui réclament le plus hardiment leur propre identité et le retour harmonieux à leurs fondamentaux. Peut-être était-ce pour cela que le Prophète (PSL) recommandait aux croyants de maîtriser les mots des autres peuples pour se prémunir contre leurs maux. Tellement la langue et la culture peuvent s’entremêler. Aleyhi salatou wa salam.

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Il m’a ainsi toujours paru étrange que des sénégalais, musulmans et censés être croyants, s’exprimassent, sans apparemment en réaliser la portée, avec des formules issues de l’histoire anticléricale de France, qui contredisent ou raillent même leur foi de « charbonnier ». Comment un musulman, censé croire aux attributs divin et au credo de l’Islam, peut-il recommander « Il ne faut pas s’attendre à un miracle » (ha bon ? Et la Toute-puissance divine dans tout ça ? Et les invocations à Dieu, ça sert à quoi ? ), « ils ne savent plus à quel saint se vouer » (Et Serigne Touba ?), « j’ai mis de l’eau dans mon vin » (sangara moom, avec ou sans eau, daganoul ; c’est un fait), « ses intentions n’étaient pas très catholiques » (ben, elles peuvent être musulmanes non ?), « il ne faut pas prendre les promesses du Président pour parole d’Evangile » (gaa !), « il a avait juré tous ses dieux qu’il respecterait ses engagements » (moo takhit, un Seul Dieu aurait suffit amplement dans le Tawhid), « vous allez passer une soirée d’enfer avec nous » (ngontoug safara deh moom, na niou ci Yalla mousseul).

Quoi alors de plus étonnant que, à chaque fois que nos politiques ou intellos veulent asséner, au cours d’un débat passionné, un argument massue, auquel l’on ne serait autorisé à répliquer que par un « sadakha Lahoul Azim » penaud, ils usent de la fameuse formule fétiche, censée être plus solide même, scientifiquement parlant, que les théorèmes de Pythagore et d’Euclide réunis : « Même en France…» Parlez-leur de l’inanité de l’avis décisionnel du Conseil Constitutionnel, ils invoqueront un important précédent de son homologue français. « Même en France, lorsqu’il fallut, en 68, au Général De Gaulle convoquer un référendum…» Contestez devant eux l’opportunité de la non introduction des œuvres des grandes figures historiques du Sénégal à l’école, ils vous citeront des passages entiers de Rousseau ou de Jules Ferry sur leur conception de l’éducation des jeunes et de l’école « républicaine et laïque ». Tout en étant souvent incapables de traduire ces concepts dans leur propre langue locale. « Même en France, l’on ne verrait jamais un français de France, faire appel aux œuvres de nos ancêtres, à l’histoire du Sénégal ou à nos manières de faire ou de parler, pour légitimer quoi que ce soit chez eux…». Pardi, ils ne les connaissent même po. Xalaas !

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Un fait qui ne manque toutefois pas de paraître paradoxal à l’observateur social attentif, parallèlement à cette invasion du franwolof et à ce complexe d’infériorité qui ne dit pas son nom, est la non maîtrise de plus en plus manifeste du français par ces locuteurs. La plupart de nos « prononciateurs » étant en réalité de vrais « nillards » émoticône smile Si si, c’est très sérieux. Et ceci, à tous les niveaux, toutes les classes et catégories professionnelles du pays. Des ministres de la République aux honorables députés, des journalistes aux artistes ou grands sportifs, des universitaires aux doctorants ou étudiants. L’hécatombe n’est pas moins sanglante que Thiaroye 44. Au point que ‘on pourrait même entonner, avec les masses militantes, le fameux cantique de la mort politique de Voltaire au Sénégal : « Français dee naaaaa : soul nagn koooo ! Français dee naaaaa : soul nagn koooo ! ».

Lorsque l’on note avec effarement qu’un ministère entier de la République du Sénégal et l’ensemble de ses démembrements régaliens et experts réunis ne peuvent même pas déceler une faute sur la devise sacrée de cette même République, on peut douter de la mauvaise « foie » (mot féminin, donc se terminant avec « e ») de ceux qui veulent encore maintenir cette langue comme notre langue officielle. Lorsque même les hommes d’Etat les plus illustres et les plus prestigieux journalistes du pays de Senghor suggèrent désormais, dans leurs contributions, que « impertinent » est subitement devenu le contraire de « pertinent », que « or que » est grammaticalement licite, que « tort » s’écrit « tord », avec un unanimisme touchant, il devient plus qu’urgent de s’interroger sur la pertinence de ces torts à la langue de Molière et, partant, de notre allégeance séculaire à l’Académie française.

Décidément, notre cas est plus que critique. Dégou niou toubab, dégou niou arabe, dégou niou sakh souniou propre làkk. Mais bon, l’essentiel est toujours de se faire comprendre. Même sans foie ni loie ?

M’enfin…

 

 

A. Aziz MBACKE Majalis
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