La langue française se parle, s’écrit et se porte mal dans les médias ; ces derniers seraient même « les mauvais élèves » (sic) de leur langue de travail. Ce constat a été fait à l’occasion de la Journée de la langue française dans les médias, célébrée le 16 mars de chaque année afin de promouvoir l’utilisation de la langue française dans l’audiovisuel. Cette journée du français dans les médias est elle-même une étape dans la Semaine de la langue française célébrée du 12 au 20 mars. Une mission que le site Rfi.fr juge « difficile, face à l’expansion planétaire de l’anglais et à la mauvaise utilisation de la langue de Rabelais et de Baudelaire dans les médias ».
De grandes écoles de journalisme ont cru avoir trouvé la solution dans l’inscription à leurs programmes des cours de français (grammaire et orthographe) Une tradition d’avec laquelle le Cesti (institut de journalisme de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar) n’a jamais rompu. Ces cours y sont dénommés « Expression écrite » (il y a aussi ceux d’ »Expression orale » dont le défunt Lucien Lemoine fut l’icône ; Lemoine et son « fil de soie » que beaucoup de journalistes de nos radios ignorent).
La question est si préoccupante qu’elle a été traitée pendant une demi-journée lors des assises de la presse françaises tenues à Tours du 9 au 11 mars (voir notre « Avis d’inexpert » de la semaine dernière).
De ceux qui se navrent le plus de la misère du français dans les médias, il y a un ancien chef correcteur du Monde, enseignant formateur en école de journalisme et auteur de plus de cinquante ouvrages sur la langue française et la culture générale, Jean-Pierre Colignon.
Dans un avis d’inexpert portant en titre « Nous journalistes et le français », publié sur le site www.seneplus.com du 3 avril 2014, et dont nous reproduisons de larges extraits dans cette chronique, nous exprimions les mêmes préoccupations.
« Fatou Thiam de la Tfm s’est pendue ». Grande aura été le choc subi par les connaisseurs du bon français en lisant cette annonce dans la presse. Choqués à l’idée que la vedette de télévision se soit suicidée par pendaison au lieu de s’être mariée (comme le journaliste a voulu le dire sans connaître la valeur ni le sens des mots), c’est-à-dire en se passant la corde au cou.
« L’une et l’autre expression ne signifient pas du tout la même chose. Nous l’avons déjà dit ici, dans un numéro de cette chronique. Ne jouons pas avec le français dont les constructions sont, par moments, subtiles ; ne faisons pas porter à cette langue nos propres contresens. Il s’en multiplie, surtout dans la presse dans laquelle on n’est pas du tout disposé à respecter le bon usage et le sens de certains mots ».
« Nombre de journalistes usent du français comme langue de travail sans être disposés (avec humilité) à respecter le bon usage de cette langue. Peu leur importent les rectifications instructives apportées par la Leçon de français de la radio Rfm. C’est à croire qu’ils sont ravis de parler ou d’écrire du mauvais français et narguer ainsi les puristes ».
« J’ai souvent dit et le soutiens avec fermeté que, dans ce Sénégal de Senghor, parler un bon français vous rend suspect ; suspect d’être un assimilé, un hors-sujet qui ne connaît même pas l’heure (une heure qui serait aux langues nationales), surtout au wolof dont la locution plus ou moins parfaite ouvre les portes du journalisme et de quelque radio ou télé assez démagogues pour croire que le taux d’audience se dope avec les excentriques et les tonitruants qui ont pris les auditeurs à l’usure ».
« Cela fait partie des réalités du journalisme à la sénégalaise. Des individus y sont parvenus, s’y sont «installés» (pour reprendre le mot du juriste Cheikh Bamba Niang, corédacteur du controversé projet de nouveau code de la presse lors de l’atelier des 27 et 28 mars 2014 dernier au Cesti sur ce texte) et se sont érigés en «références», disons plutôt en fleurons de la tourbe ».
« (…) Nous continuons à déplorer ce nouvel usage (tantôt fautif, tantôt inapproprié) que nous journalistes faisons du français. «Dézinguer», «recadrer», «ça craint grave», «balèze» ; en plus des expressions passe-partout et/ou argotiques, on en lit un peu de tout dans les journaux ».
« N’oublions pas les métaphores, les périphrases, les circonlocutions : «hume l’air de la liberté» (alors qu’il aurait été plus simple de dire libre), «les camarades d’Ousmane Tanor Dieng», (alors qu’il aurait été tellement plus simple de dire les socialistes), «le quatrième président du Sénégal, alors qu’il aurait été plus simple de dire Macky Sall »…
« N’oublions pas non plus les «au niveau de» utilisé n’importe comment, notamment quand il s’agit, par exemple, de dire «je vais au niveau de la boutique» alors qu’il suffit de dire «je vais à la boutique». Et il y a ce «par rapport à»… Plus usité par les syndicalistes et les étudiants, mais qui déborde de manière fâcheuse sur un terrain où il ne devrait pas se retrouver ».
« La concision est une des vertus fortes de l’écriture journalistique et recommandée aux journalistes, (débutants comme confirmés. Il y a juste un effort à faire ; et une considération à avoir pour ses lecteurs) surtout les écoliers, lycéens, collégiens, étudiants pour qu’ils n’en arrivent pas dans leur usage du français que la presse l’a écrit donc, c’est la bonne orthographe, excusez la tautologie ».
« L’écriture journalistique doit être simple sans être banale ; elle ne doit pas vouloir charmer les universitaires et les intellectuels jusqu’à donner le tournis aux semi-analphabètes. Le journaliste doit écrire pour tous, se faire comprendre des «moyennement-instruits» sans rebuter les «hautement-instruits». Et c’est ainsi que nous estimons que, dans son écriture, le journaliste doit être comme un nageur entre deux eaux.
Pour finir, rappelons ce titre de « Une » d’un journal : « Un cadavre découvert mort… « C’est si énorme qu’on le partage sur les réseaux sociaux comme Facebook.
Jean Meïssa Diop