Ils ont sauvé leurs sept ans, et c’était pour eux le plus important. Le « oui » l’a en effet remporté avec 1 357 412 voix, soit 62,70 % des suffrages exprimés. Mais la victoire est modeste, si on considère le taux d’abstention très élevé : plus de 60 %. En d’autres termes, sur un peu plus 5 500 000 inscrits, seuls 2 184 311 ont voté. Les vainqueurs s’empressent de comparer avec les référendums en Europe où les mêmes taux d’abstention élevés sont récurrents. C’est vraiment aller trop loin. Si comparaison était raison, ils devraient comparer avec les référendums sénégalais de 1963, 1970 et 2001, dont les taux de participation sont de loin supérieurs à celui du 20 mars 2016. Il convient de noter également que les présidents Senghor et Wade s’étaient bien moins impliqués que le président Sall, qui a mis toute la République au service de la campagne électorale qu’il a débutée huit jours avant l’ouverture officielle, avec tous les moyens de l’Etat en bandoulière.
Leur victoire a été aussi notablement assombrie par leur défaite cuisante dans tout le pays mouride (Touba, Mbacké, Darou Mouhty, Darou Salam, Darou Marnane, Diourbel), malgré les visites de proximité du Président de la République et les centaines de millions de francs CFA que lui-même et les responsables locaux de Bennoo Bokk Yaakaar (BBY) y ont déversés. On a entendu d’ailleurs des militants républicains charger copieusement un responsable APR de Mbacké, pour n’avoir pas distribué les fonds destinés à acheter les consciences.
Cette déroute qu’ils ont encore en travers de la gorge, ils l’imputent au seul député Moustapha Cissé Lo et à ses méthodes. Sans doute, y a-t-il joué un rôle, mais un rôle pas du tout déterminant. Il faut chercher ailleurs l’explication de leur revers. Il s’est créé dans la ville sainte une « Union des associations mbacké-mbacké et organisations religieuses pour le triomphe du non à Touba ». Cette « Union » regroupe un grand nombre de petits fils et de petites filles de Serigne Touba Khadim Rassoul, qui en ont marre de voir la ville sainte se désacraliser de plus en plus par le fait de politiciens véreux et de leurs suppôts locaux. Ils se sont donc rebiffés et ont fait une campagne active pour le non, qui a triomphé malgré les millions de francs distribués. En créant Touba, Cheikh Ahmadou Bamba Khadim Rassoul lui a donné une vocation de ville proprement spirituelle. Les révoltés du 20 mars 2016 ont voulu mettre un terme à la volonté affichée par des politiciens de l’intérieur comme de l’extérieur de détourner la ville sainte de cette vocation. Celle-ci ne saurait surtout être un refuge pour délinquants à col blanc.
Malgré le faible taux de participation et la défaite cuisante en pays mouride, le « oui » a gagné et le président Sall a sa constitution. Et après ? Une fois que celle-ci sera promulguée et appliquée, la Démocratie et la Gouvernance seront-elles renforcées, consolidées, comme l’affirment le Porte-parole du Gouvernement et ses camarades ? Personnellement, je ne le crois pas du tout. Le premier pilier sur lequel repose la Démocratie, c’est l’équilibre des pouvoirs. Il en est la colonne vertébrale. Or, la constitution adoptée le 20 mars est loin de réaliser cet équilibre. Comme je l’ai indiqué dans ma précédente contribution, nous nous retrouvons, après la victoire du « oui », avec un président qui a les mêmes pouvoirs que ces prédécesseurs, un président qui, de son palais, oriente la marche de l’Assemblée nationale et de la Justice. Comme son « père » auquel il succède, il reste le seul maître à bord et le manifeste par son comportement et ses propos de tous les jours. Le pouvoir d’évaluer les politiques publiques octroyé à l’Assemblée nationale n’y changera rien.
Nos députés n’exercent qu’épisodiquement et de façon superficielle leur pouvoir de contrôle de l’action gouvernementale. Comment pourront-ils alors exercer celui d’évaluer les politiques publiques ? Jusqu’à preuve du contraire, ils resteront les députés du Président de la République plus que du peuple, pour la majorité d’entre eux tout au moins. C’est le Président de la République, Président de l’APR et de la coalition BBY qui dresse la liste des membres du Bureau de l’Assemblée nationale. C’est lui qui dressera celle des candidats aux élections législatives de 2017. C’est encore lui qui a tenu sans gêne les propos ci-après : « A chaque fois que Moustapha Diakhaté fait l’objet de critiques et autres attaques dans sa mission parlementaire que je lui ai confiée, il vient me dire : ‘’Monsieur le Président, reprenez ce que vous m’avez confié pour le donner à ceux qui pensent qu’ils en ont beaucoup plus besoin que moi’’.» Il était allé présenter ses condoléances à M. Diakhaté, Président du Groupe parlementaire de BBY. Alors, que peut-on attendre de nos députés, si l’un des plus responsables d’entre eux a un tel comportement vis-à-vis du Président de la République ? Que peut-on attendre d’eux, quand leur Président les supplie d’assister aux importantes séances plénières ? « Nous sommes 150, il n’est pas normal que 40 fassent le travail alors que le programme est distribué depuis 15 jours. Certains restent chez eux, d’autres viennent à 18 heures et partent à 18 heures 20 », martèle-t-il. Il regrette surtout l’absentéisme des vice-présidents lors du vote du budget des ministères. Le jour du vote de celui du Ministère de la Promotion des Investissements, du Partenariat et du Développement des Services de l’Etat, le mercredi 25 novembre 2015, les travaux n’ont pas pu démarrer après trois quarts d’heure d’attente, aucun des huit vice-présidents n’étant présent. De guerre lasse, le Président lance aux députés absentéistes : « De grâce, il faut venir, il s’agit du budget de la Nation ». La Démocratie sera-t-elle renforcée avec de tels députés ?
Il convient d’abord de diminuer leur nombre, comme celui du bureau de l’Assemblée nationale. Une centaine de députés suffirait, sur une population de 12 à 13 millions d’habitants. Et surtout pour le travail qu’ils font. En particulier, pour qu’ils cessent d’être des députés du Président de la République, le mode de scrutin doit être modifié. L’idéal serait qu’ils soient élus sur la base d’une liste locale, dressée sur place. Kolda, Louga, Kédougou, Mbacké, Nioro, etc., auraient ainsi leurs députés qui résideraient sur place. Ils se feraient représenter à Dakar, le temps du vote d’une loi nationale. Pour leur prise en charge, des perdiems leur seraient distribués. De tels députés, au service de leurs localités et du pays tout entier, pourraient alors contribuer à renforcer la Démocratie et la Gouvernance. Un seul article de la Constitution n’y suffit pas.
Il ne suffit pas, non plus, pour rendre notre Justice indépendante. La constitution du Président Sall porte le nombre des membres du Conseil constitutionnel de cinq (5) à sept (7), deux d’entre eux étant proposés par le Président de l’Assemblée nationale. Elle élargit aussi ses compétences. Pour autant, notre Justice sera-t-elle indépendante ? Je ne le crois pas du tout, le Président de la République continuant de présider le Conseil supérieur de la Magistrature et de gérer directement la carrière des magistrats, et le Parquet de dépendre du Garde des sceaux Ministre de la Justice. Plusieurs dizaines de dossiers sur le blanchiment d’argent mettant en cause des hommes et des femmes bien connus dorment dans les tiroirs du Parquet, attendant l’ordre du Garde des Sceaux qui ne viendra sûrement jamais. Tous les ans, l’Inspection générale d’Etat et la Cour des comptes épinglent des compatriotes dans leurs rapports. Les délinquants potentiels ne risquent aucune sanction, le Président de la République mettant le coude sur les plus compromettants des dossiers. Si notre Justice était vraiment indépendante, elle se serait saisie de ces dossiers-là et de nombreux autres (Anoci, Monument de la Renaissance africaine, Fesman, etc.). Elle s’intéresserait aux centaines et centaines de millions de francs qui ont été distribués pendant la toute dernière campagne électorale. Le président Sarkozy a sûrement fait bien moins, mais il ne trouve plus le sommeil à cause de l’Affaire « Bygmalion » qui le poursuit comme son ombre. Pour sauver l’ancien président Lula Inacio da Silva empêtré dans une affaire de corruption (Petrobras), son successeur Dilma Roussef l’a nommé dans son gouvernement comme Ministre d’Etat chargé de son cabinet. Un juge s’y est catégoriquement opposé. Si une telle situation se présentait chez nous après le 20 mars 2016, aucun juge sénégalais ne prendrait jamais une telle initiative, la Constitution ne le lui permettant pas. La preuve, le président est libre comme le vent. Et pourtant !
Les Assises nationales et la Commission nationale de Réforme des Institutions (CNRI) ont fait des propositions qui vont dans le sens d’une plus grande indépendance de la Justice. Le Président de la République et son Ministre Conseiller spécial chargé des Affaires juridiques les ont carrément ignorées. Je renvoie le lecteur audites propositions, surtout à celle de la création d’une Cour constitutionnelle. Le Président de la République du Sénégal continue donc de régner sur les deux autres pouvoirs.
Le Président de la République et sa coalition agitent beaucoup la reconnaissance de « nouveaux droits » aux citoyens : droit à un environnement sain, droit sur leur patrimoine foncier et leurs ressources naturelles. En quoi ces droits sont-ils nouveaux, par rapport aux droits humains qui sont déjà reconnus, depuis fort longtemps ? Droit à un environnement sain ? Les populations de nos villes en particulier restent sceptiques par rapport à ce droit. Dakar est, malgré des apparences bavardes et trompeuses (embellissement de la VDN, du Rond Point de la Patte d’oie, etc.), de moins en moins accueillante. Je renvoie le lecteur à la lettre ouverte que j’ai envoyée aux autorités nationales et locales pour attirer leur attention sur la dégradation avancée de l’environnement de la capitale nationale. Un environnement sain ne s’obtient pas seulement par des points inscrits dans une constitution, mais par des actes. Je suis sûr que la ville de Kigali ne doit pas sa propreté à une disposition de la Constitution rwandaise.
Le renforcement des droits de l’opposition et de son chef fait aussi partie des « innovations » que le président Sall et son clan nous ont vendues le 20 mars. Cette « innovation » est une farce. Le Président de la République n’a-t-il pas déclaré que son objectif était de réduire l’opposition à sa plus simple expression ? Et il travaille sans état d’âme à la réalisation de cet objectif, en achetant la conscience de militants jusque dans les partis de ses alliés. Comment peut-on renforcer l’opposition tout en l’affaiblissant ?
Un autre nouveau droit fait presque rire : le droit sur notre patrimoine et sur nos ressources nationales. A-t-on vraiment besoin d’une constitution pour nous convaincre de ce droit ? Des dirigeants vertueux n’auraient pas besoin de faire de ce droit un point à faire figurer dans une constitution. Ils se contenteraient de prendre des actes, en particulier de signer des contrats qui privilégient l’intérêt national. Espérons que ce sera le cas quand notre pétrole et notre gaz seront exploités !
Si ce texte n’était pas déjà long, je prendrais d’autres exemples pour montrer que, quelque deux ou trois points exceptés, la constitution du Président Sall est loin de renforcer la Démocratie et la Gouvernance. J’y reviendrai d’ailleurs amplement dans une toute prochaine contribution.
En attendant, je convie tous mes compatriotes soucieux du renforcement de la Démocratie et de la Bonne Gouvernance à se mobiliser d’ores et déjà en vue des élections législatives de 2017. Le Président de la République et sa coalition mettront tout en œuvre pour les gagner haut la main, et se mettre en orbite vers l’élection présidentielle de février 2019. L’opposition leur faciliterait grandement la tâche si elle allait aux prochaines législatives en ordre dispersé. Elle a plutôt intérêt à fédérer ses forces dans une sorte de front, un « Front pour la Restauration des valeurs morales et républicaines ». Je suis prêt à me joindre à des compatriotes, pour porter sur les fonts baptismaux une telle structure.
Dakar, le 24 mars 2016
Mody NIANG