Les Ministres Djibril Séne, Ibrahima Fall, Sakhir Thiam, Balla Moussa Daffé, Madior Diouf, Christian Sina Diatta, Moustapha Sourang, Amadou Tidiane Bâ sont tous des universitaires et experts, jouissant des plus hautes légitimités et estime des pairs. Ils ont servi l’enseignement et/ou la recherche dans le Supérieur sans jamais manquer de respect à leurs amis, camarades, collègues et compagnons de route, après avoir été sollicités par les différents gouvernements auxquels ils ont participé dans l’éthique weberienne de la conviction et de la responsabilité. En plus de connaitre la valeur d’un enseignement supérieur de qualité, ils avaient du respect pour les institutions et pour leurs pairs.
Aujourd’hui, en plus de la crise profondément chronique dans laquelle est plongée l’université sénégalaise, à l’apparente incapacité de proposer des programmes efficaces et réalistes de gestion s’ajoutent le mépris des dirigeants qui se croient fortifiés par une victoire à la Pyrrhus d’un référendum mal engagé et les méthodes violentes d’un Ministre de l’enseignement et de la recherche qui se sent tout-puissant.
Le gouvernement actuel a multiplié plusieurs faiblesses et manquements sur le double plan de l’éthique de conviction et de la responsabilité.
Premier défaut d’éthique : le vote à l’Assemblée Nationale, un 26 décembre, par 35 députés sur 150, d’une Loi (Cadre) dont la version originelle a été cachée puis falsifiée à la guise d’un Ministre qui manque d’écoute ne peut que provoquer l’ire de l’université. Toutes les brillantes contributions des participants à la structure et à l’esprit de ladite Loi ont été jetées à la poubelle. Humiliation de tous les partenaires et les bonnes volontés ! Fort heureusement, l’ancien Ministre Amadou Tidiane Bâ sort de sa réserve pour clarifier les choses en admettant publiquement que la Loi Cadre votée le 26 décembre 2015 n’était pas la bonne version. Le Gouvernement n’a visiblement pas tiré des leçons de cette leçon. La transparence et le respect des partenaires sont des éléments d’éthique.
Second déficit d’éthique de responsabilité : considérer qu’un Syndicat trentenaire et avant-gardiste est pusillanime. Au plus fort de la contestation de la Loi Cadre, le Gouvernement a manifesté un irrespect total pour le SAES en estimant qu’il n’était pas capable de se battre contre une Loi, surtout déjà votée. Il a fallu constater la paralysie de toutes les universités pour réaliser que l’alerte du préavis déposé en bonne et due forme était sérieuse. Douter de l’intelligence et de la détermination d’un syndicat aussi important que le SAES est une erreur politique fatale. Une carence de responsabilité.
Troisième manquement d’éthique (de responsabilité) : laisser un Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche (MESR), sommer tous les recteurs d’universités d’annoncer une mesure de blocage des salaires d’enseignants observant une grève légale et faite dans des conditions légales. De surcroît, absence d’éthique de responsabilité ne saurait être plus grave que de demander à des universitaires de se dénoncer et de signer un engagement écrit de non-participation à la grève (une grève de 2 fois 72h). L’histoire retiendra que l’actuel MESR est le seul à traiter ainsi ses pairs universitaires en faisant porter à tous ses collègues recteurs, directeurs et doyens l’humiliante et lourde responsabilité causée par une telle forfaiture. C’est une page douloureusement ineffaçable de notre histoire universitaire. Les recteurs de nos universités s’en souviendront toute leur vie.
La quatrième carence d’éthique touche au droit : la violation délibérée de la Loi 94-74 du 07 novembre 1994 en signant et appliquant, sans l’avis des instances universitaires, le Décret n° 2013-1295 du 23 septembre 2013. En opérant de la sorte, le Gouvernement, par le MESR retire ainsi illégalement les prérogatives académiques des UFR et facultés en matière d’orientation des nouveaux bacheliers dans les universités publiques là où les recommandations de la CNAES insistent sur l’autonomie des universités sur le plan pédagogique, scientifique et de la gouvernance. Pourtant, C’est au nom du sacro-saint principe d’autonomie et de liberté académiques que l’actuel Ministre, ancien Recteur de l’université Gaston Berger s’était farouchement opposé à la massification incontrôlée de l’institution dont il avait la responsabilité. Aujourd’hui, changement de fonction, changement de mentalité ?
La cinquième erreur est encore une preuve de précarité d’éthique de conviction et d’éthique de responsabilité. Le Gouvernement actuel souffre de respect de la parole donnée. C’est de notoriété publique ! Le SAES a été patient voire très patient avant d’exiger l’application des accords signés. Les délais sont dépassés depuis plus d’un an. Ses engagements fermes consistaient à répondre quinze jours après la signature desdits accords à la date du 15 mars 2015. Aujourd’hui, il veut faire porter au SAES la responsabilité de la crise universitaire après toutes les procédures possibles pour lui faire respecter sa parole (rappel, médiation, sensibilisation, débrayage, préavis de grève). Le Gouvernement a choisi l’indifférence, le pourrissement et puis, pourquoi pas, les menaces au moment où les choses s’aggravent. Il espère ainsi épuiser le mouvement syndical par la démobilisation des militants. Conséquence, les universités sont en danger réel.
La sixième (et non la dernière) faute d’éthique de responsabilité et de diaboliser l’université en jetant le discrédit sur les enseignants-chercheurs. En affirmant que « le syndicalisme est en train de détruire les bases des universités », le Chef de l’Etat lui-même commet une faute politique lourde de conséquences. En plus de ne pas rendre hommage au rôle qu’a joué le syndicalisme dans l’histoire de nos décolonisations et de notre maturation politique et démocratique, le Chef de l’Etat attaque frontalement des syndicats qui ont fait preuve de patiente et de responsabilité en acceptant de dialoguer et de trouver des accords signés. Cette prise de parole accrédite malheureusement la thèse de la détestation de l’université par une partie de son camp. Quoi donc de plus compréhensible que d’entendre le MESR brandir des menaces à l’endroit du SAES et manquer insoucieusement de respect à ses pairs en les qualifiants de « mangeurs de riiba » ? Comment expliquer à nos étudiants de droit que l’application d’une loi (votée) est conditionnée par l’engagement de rattraper les retards de cours dans les universités ?
Comment comprendre une insulte à toute la communauté des pairs de la part d’un Ministre qui doit tout à l’école de la République et à l’université ? Mary Teuw Niane pense-t-il à ses maîtres ? En quoi ne méritons-nous pas nos salaires ? Les pairs sont trop sacrés pour être réduits à des sangsues. C’est au pire des moments de la vie du MESR que les pairs se sont sacrifiés pour sauver sa vie et sa carrière. Cicéron dit : « le passé est immuable, l’avenir est incertain ».
Et pourtant, pendant qu’on insulte les universitaires, Dieu sait que nous animons, même en période de lutte (légale), cours (CM, TD, TP…), séminaires et conférences en dehors de nos charges horaires statutaires. Nous encadrons travaux de terrains, dossiers, mémoires, thèses et expérimentations de toute sorte. Et contrairement à ce que qu’affirme le MESR, nous publions dans les meilleures revues et chez les meilleurs éditeurs et participons à des colloques nationaux et internationaux avec des contributions remarquées. Et pendant ce temps, nous administrons les structures et nous impliquons dans les instances, écoutant nos étudiants, collaborant avec les PATS, participant aux activités des universités tout en luttant pour honorer nos prédécesseurs dans le métier et préparer l’avenir à nos successeurs.
Une parole de sagesse dit : « Quand vous montez à l’échelle, saluez ceux que vous dépassez car vous croiserez les mêmes en redescendant ». Le réveil risque d’être brutal pour certains.
Patrice CORREA
Enseignant-Chercheur à la Section Communication
U.F.R CRAC- UGB de Saint-Louis (Sénégal)
Chercheur associé au MICA- Bordeaux3