« Qu’on ait pour toi du respect plutôt que de la crainte. Être respecté, c’est aussi être aimé. Et l’amour et la crainte ne font pas bon ménage ». Épictète.
Cher Monsieur,
J’ai suivi avec intérêt votre allocution adressée à la nation sénégalaise la veille de la fête de l’indépendance. Vous nous avez servi un discours sans âme, doublé d’un manque criarde d’enthousiasme. En vous écoutant , je n’ai pas senti le souffle d’un vent nouveau s’étendre sur le Sénégal après une éprouvante campagne référendaire. Ce fût comme si vos pensées étaient ailleurs et que la messe était dite pour le reste de votre mandat présidentiel. A travers ce message, j’ai le sentiment que les difficultés et les souffrances des sénégalais ne sont pas réellement prises en compte ou à tout le moins ne sont pas sur la voie d’être résolues et que vous sembliez abdiquer face au désastre social. Tous les secteurs vifs de la nation sont au rouge et que votre gouvernement laisse pourrir la situation en envoyant aux calendes grecques le respect de ses engagements. Quant au du fond de votre discours, j’ai retenu deux principaux éléments qui méritent qu’on s’y arrête pour clarifier la situation.
Sur le premier point relatif au référendum
Vous n’avez pas lésiné sur les moyens de l’Etat pour assurer la victoire du oui lors du référendum du 20 mars 2016. Tout était permis pour rafler la mise. Vous avez montré la voie à suivre aux ministres et aux dirigeants de structures publiques en parcourant les villes et les villages du Sénégal pour battre campagne. Vous avez fait du référendum une élection aux enjeux présidentiels. Les dès étaient déjà pipés . Vous et vos alliés de Benoo book yakaar avez décidé de se saisir de ce référendum pour tâter le pouls de la population dans le but de mesurer votre popularité. Cependant, la moitié du corps électoral a tourné le dos à ces joutes électorales . Il s’agit d’un désaveu manifeste dans la manière dont les autorités politiques abordent les questions d’intérêt général. Il ne doit pas y avoir un quelconque triomphalisme des partisans du oui. Au-delà de la victoire du oui au référendum, il y a lieu de s’interroger en toute lucidité sur les vraies raisons de l’abstention de plus de 3000000 d’électeurs du corps électoral.
En premier lieu, sur la fiabilité du fichier électoral, tous les acteurs politiques doivent procéder à une profonde vérification de tout le système. L’administration doit être en mesure de savoir réellement si tous les sénégalais inscrits sur le fichier sont en vie et s’il n’y a pas de doublons sur les listes. Pour cela, seule une administration républicaine digne de ce nom peut conduire ce processus. Il vous appartient de doter la Cena de moyens importants et de membres non partisans pour procéder à un toilettage sans complaisance du fichier électoral. Il y va de là crédibilité des prochaines consultations électorales. En deuxième lieu, le ministre de l’intérieur doit être écarté du processus électoral puisqu’il appartient à la mouvance présidentielle. La gestion des élections est une affaire très sérieuse et on ne doit plus se permettre de la confier à des politiciens afin d’éviter des cas de suspicion de fraude. Si vous voulez conduire le Sénégal sur la voie de l’émergence , il vous revient en amont de confier l’organisation et le contrôle des élections à des personnalités non partisanes de la société civile.
Toutefois si le fichier en l’état actuel est fiable, vous avez l’obligation morale de vous poser en toute lucidité et responsabilité des questions sur le rejet de votre référendum par 60% du corps électoral. Vu la manière dont la consultation du 20 mars 2016 a été menée, beaucoup de sénégalais ne se sont pas sentis concernés. Ils n’ont pas eu le temps nécessaire de s’imprégner des réformes proposées et des points cruciaux ( les nouveaux droits par exemple) du référendum sont restés ambiguës dans l’esprit de beaucoup d’électeurs. Votre pouvoir et vos obligés n’ont pas jugé utile de partager avec l’opinion sur les réformes avant d’en appeler au corps électoral. La majorité des électeurs s’est sentie dépossédée de leur droit de savoir d’où le taux d’abstention très élevé . Par contre, vous vous êtes senti obligé de rendre visite aux guides religieux pour vendre votre référendum. Ces derniers, à vos yeux, sont plus importants que le reste des citoyens sénégalais. Si vous aviez pris la peine d’expliquer à qui de droit les motivations et les enjeux réels de votre projet de réforme des institutions, le référendum aurait sans doute pris une autre tournure et aurait engrangé l’adhésion de toute la population. Vous avez pris la nation de court et en retour vous avez essuyé un revers vu le désintérêt manifeste de la majorité du corps électoral.
En deuxième lieu, vous vous êtes engagé personnellement dans ce référendum en paralysant l’administration publique. Beaucoup de représentants de l’Etat étaient obligés de quitter leurs bureaux pour battre campagne et appeler à la victoire du oui. Ils ont retenu tout le peuple en haleine. Des moyens financiers importants ont été mobilisés pour l’achat de conscience des électeurs. Vous avez remis des millions de francs CFA à des dignitaires religieux afin qu’ils militent en faveur du oui indépendamment de leurs convictions. Cette forme de corruption est à bannir lorsque surtout on crie urbi et orbi qu’on est sur la voie de l’émergence et qu’il faut rompre avec les pratiques de l’ancien régime libéral. Vous-même et vos alliés de la majorité présidentielle avez montré dans cette campagne référendaire que les sénégalais sont manipulables et ont un prix. Vous ne vous êtes pas gênés pour le moins du monde de monnayer le vote des citoyens pour un sac de riz ou quelques milliers de francs CFA. L’Ofnac avait l’obligation de diligenter des enquêtes afin de traquer tous ces politiciens qui ont mis énormément d’argent dans la balance pour fausser le jeu démocratique. Comme cette structure n’a pas encore acquis une indépendance totale et le courage vis-à-vis de l’exécutif , les partisans du président Macky Sall peuvent pavoiser longtemps et narguer les populations. Afin de gagner et d’asseoir votre autorité, vous ne ressentez aucune retenue ni gêne pour dilapider nos maigres ressources dans l’unique but de corrompre et de satisfaire des « porteurs de voix ».
La mouvance présidentielle et vous en premier doivent retenir la leçon malgré la victoire du oui que votre projet de réforme n’a pas l’adhésion de la population sénégalaise. La nouvelle constitution n’a pas de légitimité populaire. Nier ce fait constituerait un déni inacceptable. Vous devez en tirer toutes les conséquences et revoir votre manière de conduire les affaires de la cité. Les citoyens sénégalais ne sont pas vos sujets et ne le seront jamais. Ils ont droit à la considération.
En troisième lieu, les quinze points de la réforme des institutions soumis au référendum ne vont pas loin dans le sens du renforcement et de la consolidation de l’Etat de droit au Sénégal. Plusieurs articles soumis à la révision figuraient déjà dans la constitution de 2001. Il vous revenait de procéder à leur application en soumettant au parlement un projet de loi organique portant sur ces matières telles que le statut du chef de l’opposition ou sur le droit à un environnement sain en diligentant les autorités compétentes de faire appliquer la loi sur tous les citoyens et sur l’ensemble du territoire national. Vous nous avez fait perdre du temps et de l’argent pour un simulacre de référendum pour couvrir et faire passer l’éponge sur votre reniement mawakhone wakhete.
Les vraies réformes consolidantes de l’Etat de droit et de la démocratie sénégalaise sont ailleurs. Il s’agit entre autres de rompre le lien ombilical entre les magistrats du parquet et le garde des sceaux, d’enlever au président de la République la prérogative de nommer exclusivement les membres du Conseil supérieur de la magistrature et de le présider.
Allant aussi dans le sens du renforcement de l’Etat de droit, il urge de procéder à un appel à candidatures à toutes les directions nationales et qu’un comité de suivi se chargera de proposer au chef de l’Etat les profils les mieux indiqués pour diriger de telles structures.
Dans un autre cadre, il faut revoir le mode de désignation des députés afin de les permettre de remplir pleinement leur mission et de s’émanciper du diktat des bureaux politiques dans le but de sauvegarder uniquement les intérêts de la nation.
Dans une démocratie digne de son rang, un président de la République n’a pas la vocation d’utiliser un langage de chiffonnier pour « réduire l’opposition à sa plus simple expression » ou « l’opposition doit subir ma politique ». Nous vous avons élu président de la République et non roi du Sénégal. Nous vous demandons du respect et de la modestie. Nous vous demandons avec déférence de méditer avec nous les propos du philosophe grec Épictète :
« Si tu veux connaître ta valeur exacte, mets de côté maison, argent, honneurs. Regarde au-dedans de toi-même ».
Dans un autre registre, la famille du chef de l’Etat ne doit pas utiliser les leviers de la nation pour se faire une place au soleil. Ce que les membres de la société civile reprochaient à monsieur Karim Meissa Wade, reste aussi valable pour le frère du président Macky Sall, monsieur Alioune Sall. Je peux mettre ma main sur le feu que si son frère n’était pas président de la République du Sénégal, il n’aurait jamais le courage de concourir au suffrage universel pour diriger une mairie. C’est ce mélange des genres qu’il faut à tout prix combattre afin de pouvoir asseoir une véritable gouvernance qui repose sur le mérite et l’égalité de tous les citoyens devant la loi.
Le chef de l’Etat monsieur Macky Sall doit veiller à ce que les fonctionnaires demeurent de fidèles agents de la fonction publique et non des politiciens que l’autorité utilise afin d’asseoir sa domination sur l’ensemble du corps social.
Enfin , une autre vraie réforme consolidante de l’Etat de droit au Sénégal est de supprimer une bonne fois pour toutes les fonds politiques, qui en vérité sont une arme de corruption et de dépravation des mœurs laissée à l’usage discrétionnaire du président de la République. C’est là où les sénégalais vous attendent vraiment monsieur le président Macky Sall et non dans ce simulacre de projet de réforme des institutions.
Sur le deuxième point relatif à la situation de notre économie nationale
Vous sembliez vous satisfaire du taux de croissance de 6,5%. Ce taux disiez vous est de loin supérieur à celui du régime libéral lors des dernières années de leur gouvernance. On peut vous le concéder. Et alors qu’est ce que ça a changé dans le vécu des sénégalais ?
En vérité, nos compatriotes souffrent des mêmes difficultés que sous le régime de maître Abdoulaye Wade voire pire. Certes, la bourse familiale mise en œuvre par votre gouvernement est une initiative à saluer et à encourager . Cependant nous estimons qu’il faille aller plus loin dans le sens de la lutte contre la pauvreté. Le système mis en place par les autorités pour accorder ce pécule à une frange de la population n’est pas très satisfaisante parce qu’il délaisse de leurs droits une bonne partie des citoyens sénégalais. Dans notre pays où les besoins sont partout, il serait péremptoire de dire avec exactitude qui est pauvre et qui ne l’est pas à partir du moment où il n’existe que très peu de sénégalais disposant de revenus réguliers et connus par l’administration fiscale. La question qui se pose , est de savoir sur quels critères se base l’administration pour distribuer cette aide sociale ? On peut tenter de dire que la bourse familiale est octroyée aux seules connaissances des autorités sur une base partisane. Elle sert d’instrument de fidélisation d’une clientèle politique. Cette bourse que votre gouvernement réserve sur une base fallacieuse à certains citoyens sénégalais, en réalité les maintient dans un cercle vicieux de la précarité. Nous estimons que c’est un comportement inacceptable puisqu’il est du rôle de l’Etat de venir en aide aux populations les plus diminues.
Afin de conduire une politique efficiente et efficace de lutte contre la pauvreté, monsieur Macky Sall doit supprimer les caisses noires et de transférer les fonds à un organisme, une sorte de sécurité sociale pour gérer cette manne financière et distribuer les aides au prorata des besoins de chaque citoyen sénégalais.
Pour lutter contre la pauvreté, l’Etat peut actionner deux leviers. Le premier consiste à la création d’emplois directs au niveau de l’administration. Il s’agira de fournir les conditions nécessaires afin de pouvoir recruter les diplômés qualifiés et non de réserver les emplois à du personnel partisan ou à des amis ou parents de dirigeants sans aucune objectivité. L’administration publique sénégalaise regroupe en son sein de nombreux agents qui n’ont ni la qualification ni la compétence pour occuper même un simple rôle de subalterne. C’est à ce niveau qu’il faut consacrer une bonne partie de vos énergies pour impulser un élan nouveau à l’administration. Nous savons tous que la plupart de nos fonctionnaires ne viennent jamais à l’heure au travail ou parfois même se permettent de s’absenter plusieurs jours sans aucune sanction disciplinaire ou financière avec la complaisance de leurs autorités hiérarchiques. Il faut apprendre à sévir et montrer l’exemple. Le séminaire que vous comptez conduire sur l’administration ne peut pas et ne doit pas faire abstraction sur ces multiples défaillances .
Le deuxième levier est la création d’emplois indirects. Il est du rôle de l’Etat de créer les conditions idoines permettant au secteur privé national de gagner des marchés publics afin de pouvoir engager du personnel. C’est à ce niveau que nous vous appelons à appliquer une préférence nationale et non systématiquement donner les marchés au privé international. La croissance économique du Sénégal est portée par les firmes occidentales. C’est là raison pour laquelle les sénégalais ne ressentent pas les effets bénéfiques d’un taux de croissance de 6,5 % voire même de 8% .il s’y ajouté le fait que ces firmes bénéficient pour l’essentiel d’une fiscalité très favorable et de baisses d’impôt. Elles rapatrient tous leurs bénéfices et ne laissent qu’une faible part pour les investissements. Par ailleurs , l’Etat étrangle le secteur privé national en accumulant des arriérés de paiement de plusieurs milliards de francs Cfa. Beaucoup de PME ont déposé le bilan faute de ne plus pouvoir assurer un fonctionnement normal et avoir de nouvelles commandes. Le patriotisme économique est à promouvoir afin de donner la chance au secteur privé national de pouvoir conduire le Sénégal sur la voie de l’émergence. Il faut oser ce pari et réduire notre dépendance avec l’ancienne puissance coloniale, la France qui nous enfonce dans les méandres de la pauvreté et du sous développement. Vous pensez sans doute comme la plupart des chefs d’Etat francophones que c’est courir le risque d’être abandonnés par une puissance protectrice au détriment du peuple souverain. Napoléon de Bonaparte ne disait t’il pas que : « L’impossible est le refuge des poltrons ». Vous devriez suivre l’exemple de maître Abdoulaye Wade en diversifiant nos partenaires économiques. Le Sénégal ne peut plus continuer à demeurer la chasse gardée de la France. Vous devez vous armer de courage et de détermination sans faille dans l’unique but de défendre les intérêts supérieurs de la nation sénégalaise.
S’agissant des investissements publics, l’Etat doit établir un plan des priorités. L’Etat ne peut plus continuer à investir sur des projets de prestige par exemple l’autoroute Ila Touba, le centre de conférence de Diamnadio ou l’arène nationale. Il faut privilégier une justice distributive plus équitable en orientant les investissements vers les zones les plus diminues où tout manque ( réseau routier, l’accès à l’eau potable à l’électrification rurale, écoles, des unités de santé performantes ect ….). Sur l’exemple de l’autoroute Ila Touba, seul un agrandissement d’une voie supplémentaire pouvait suffire. Les centaines de milliards de francs CFA investis et engloutis dans ce projet inutile pouvaient être orientées vers des projets porteurs de plus values pour une relance plus efficiente de l’activité économique. Le président Macky Sall doit cesser cette politique qui consiste à concentrer nos maigres ressources sur certaines cités religieuses au détriment du reste de la population. L’équité et la rupture tant galvaudées au sommet de l’Etat commencent à ce nouveau.
Cette adresse à son excellence le président Macky Sall est juste un cri du cœur d’un sénégalais de la Diaspora. J’aimerai tant que le président puisse lire ce texte en responsable et non en haussant les épaules pour me vouer aux hégémonies comme le font souvent vos partisans ou vos obligés du moment. J’ai juste usé de ma liberté afin de me prononcer sur le devenir de mon cher pays.
Je vous prie cher monsieur d’agréer l’expression de mes sentiments distingués.
massambandiaye2012@gmail.com
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