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Le Droit De Grâce Présidentielle A-t-il Encore Sa Place Dans Notre Système Juridique ?

Le Droit De Grâce Présidentielle A-t-il Encore Sa Place Dans Notre Système Juridique ?

Comme de coutume, le 03 avril veille de notre fête d’indépendance, le Président de la République a utilisé son pouvoir de grâce en élargissant de prison des centaines de détenus. La grâce judiciaire est le pouvoir qu’a la plus haute autorité politique d’un pays d’accorder une indulgence à un condamné. Elle a pour effet de supprimer, transformer ou de réduire la peine qu’un condamné aurait dû subir. La grâce emporte seulement une dispense d’exécuter toute ou une partie de la peine mais ne fait pas obstacle au droit, pour la victime, d’obtenir réparation du préjudice causé par l’infraction. La grâce présidentielle ne remet pas en cause le jugement ni n’efface le casier judiciaire du condamné. En cela, la grâce présidentielle doit être distinguée de l’amnistie qui est une mesure législative qui efface les condamnations prononcées.

Au Sénégal le droit de grâce appartient au Président de la République (article 47 de la Constitution). Le bénéficiaire doit faire l’objet d’une condamnation le plus souvent définitive et exécutoire. La demande de grâce est adressée au Président de la République par le condamné ou par tout intéressé (avocat du condamné, membre de la famille, ami, Parquet…) au nom du condamné.

Je n’ai rien contre ceux à qui la grâce est accordée car si moi-même, un membre de ma famille ou un de mes proches était dans une même situation, je serai certainement très content que nous en bénéficiions.

J’ai par contre des réserves sur la grâce présidentielle pour différentes raisons de principe.

La grâce présidentielle est une entorse au principe de séparation des pouvoirs en ce sens que le Président de la République a le pouvoir de défaire certaines conséquences d’une décision de justice. Au Sénégal, il existe déjà un grand problème en ce qui concerne l’exécution des décisions de justice ce qui contribue à fragiliser l’autorité de celle-ci et donne parfois aux victimes un sentiment d’injustice. C’est certainement pour cette raison que le droit de grâce présidentielle n’est utilisé que de manière très parcimonieuse dans les grandes démocraties occidentales et que les grâces collectives ont presque disparu. Il n’existe pas, au bénéfice du pouvoir judiciaire une contrepartie à la toute puissance du Président de la République en ce qui concerne la capacité de celui-ci de défaire certaines conséquences d’une décision de justice. Cette absence de contrepartie rompt ainsi le principe d’équilibre des pouvoirs au profit de l’exécutif. Des prérogatives de cette nature font du Président de la République un « monarque » avec les excès qui peuvent en découler.

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La grâce présidentielle est souvent accordée de manière arbitraire car aucun texte ne mentionne les conditions à réunir pour bénéficier d’une grâce présidentielle. La décision de gracier un condamné est du pouvoir discrétionnaire du Président de la République. Cette décision n’a pas besoin d’être motivée et n’est pas publiée au journal officiel, elle est irréversible et n’est susceptible d’aucun recours. Le Président de la République peut se baser sur des considérations qui lui sont propres sans lien avec l’affaire ce qui augmente les risques d’arbitraire. Le droit de grâce présidentielle peut dés lors être utilisé par le Président de la République comme une arme politique pour faire un chantage à des opposants en maille à partir avec la justice ou pour s’attirer des retombées politiques pour avoir accordé une grâce à telle ou telle autre personne ou groupe de personnes.

Le droit de grâce rompt le principe d’égalité des citoyens devant la justice. Comme le rappellent les fables de Jean de LA FONTAINE, « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ». Cette fable est transposable sur la grâce présidentielle. En effet, pour un même crime, un condamné sera beaucoup plus facilement gracié selon qu’il bénéficie de l’appui de l’opinion publique ou du soutien de gens haut placés, alors que le citoyen moyen, ordinaire aura peu de chance. Ainsi, on peut voir une certaine opinion demander la grâce présidentielle pour un condamné à une peine privative de liberté relativement courte et qui n’a même pas fait la moitié de cette peine alors que des condamnés à de lourdes peines et qui ont fait beaucoup plus d’années de détention pour des délits similaires ou moins graves continuent de croupir en prison car n’ayant personne pour défendre leur cause.

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Le droit de grâce est le plus souvent dévoyé de son but. Il permettait de lutter contre le surpeuplement carcéral, de faire preuve d’humanité dans certaines situations dramatiques et de donner une nouvelle chance de réintégration sociale à certains condamnés. Mais le droit de grâce était surtout une sorte de correctif face aux erreurs judiciaires dont la célèbre affaire Dreyfus constitue une parfaite illustration. A ce propos, Mirabeau disait que : « dans le doute, mieux vaut faire grâce que justice ». Aujourd’hui, les risques d’erreurs judiciaires sont très rares car le justiciable dispose de plusieurs moyens de recours permettant de faire examiner ou réexaminer son affaire. D’abord les décisions de justices sont pour la plupart rendues de manière collégiale ce qui limite le risque d’erreur. Ensuite, dans certains tribunaux comme les Cours d’assises la présence de jurés populaires constitue une autre garantie.

Après une décision des juges de première instance qui ne le satisfait pas, le justiciable peut faire appel de cette décision devant la Cour d’appel. Généralement plus expérimentés, les juges d’appel procèdent à un réexamen de l’affaire aussi bien sur des questions de fait que de droit. Là aussi, la partie non satisfaite peut saisir le juge suprême qui est un juge de cassation. Ces juges de cassation, généralement aussi plus expérimentés que les juges d’appel vérifient que toutes les règles de droit et tous les droits fondamentaux ont été scrupuleusement respectés. En France, le justiciable définitivement condamné peut dans certains cas, demander la révision de son procès. Au Sénégal, le justiciable non satisfait peut saisir la Cour de justice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) pour toute violation des droits de l’homme dans les Etats membres.

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Les questions préjudicielles de constitutionnalité (QPC) qui permettent de faire écarter d’un procès en cours certaines dispositions légales contraires à la Constitution, limitent les risques d’erreur. Aussi, le principe de séparation des autorités de poursuite et de jugement est une autre garantie. En effet le juge qui poursuit ou qui instruit une affaire ne peut pas participer à l’instance de jugement sur la même affaire. Notons le principe d’indépendance et d’impartialité des magistrats de jugement qui bien qu’étant des agents publics ne sont pas fonctionnaires et ne sont par conséquent pas sous l’autorité hiérarchique d’un ministre. Ils sont inamovibles et leurs décisions ne peuvent être contestées que dans le cadre d’un recours judiciaire. Cette indépendance est renforcée par le fait que c’est le Conseil supérieur de la magistrature (qui est perfectible) qui assure leur carrière. Ajoutons pour terminer que le droit à un avocat commis d’office pour les justiciables qui n’ont pas beaucoup de moyens est une autre garantie d’un procès équitable susceptible de limiter l’arbitraire et les erreurs judiciaires.

Avec toutes ces raisons et toutes ces garanties, maintenir un pouvoir féodal comme celui du droit de grâce présidentielle me parait anachronique.

A défaut de supprimer le droit de grâce, il serait plus adéquat de le confier à une commission plus démocratique et établir les conditions dans lesquelles celle-ci pourra accorder une grâce à un condamné.

 

Cissé, Oumar Sadio

Juriste fiscaliste

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