Les clivages nord / sud sont une réalité presque dans la plus part des Etats africains. Certes les problèmes de développement de la Casamance sont structurels et historiques, car, ils ont transcendé tous les régimes qui se sont succédé à la tête du Sénégal de l’indépendance à nos jours. Mais, cela ne doit pas être un prétexte pour encourager et perpétuer cette maudite pseudo « tradition ». Au contraire, le pouvoir actuel gagnerait beaucoup à inverser cette tendance en songeant à poser les véritables jalons pour un développement harmonieux, intégré et intégral de la région à travers la conception et la mise en œuvre de politiques publiques fiables, viables, et durables. L’émergence dans cette partie du pays se pose en terme d’équité, car, en faite, il s’agit simplement de faire des investissements de qualité de part et d’autre, surtout pour une région qui est déjà nantie par la nature de potentialités incommensurables.
Dans ce sens, les populations de la région de Sédhiou se réjouissent de l’amorce de la prise en compte du problème de la « boucle du Boudhié » à travers la publication du marché relatif à ses travaux sur le site de l’Autorité de Régulation des Marchés Publics (ARMP) ; mais pour autant, elles n’applaudissent pas pour trois raisons fondamentalement :
- D’abord le chantier n’a pas encore démarré en cette veille d’hivernage,
- Ensuite les deux axes qui constituent cette boucle ne sont pas tous concernés par les travaux,
- Et enfin le segment Marsassoum-Sédhiou n’est pas aussi pris en compte. En effet, à partir de Djirédji, la boucle du Boudjé se divise en deux axes que sont : l’axe Djirédji-Touba-Madina Souané-Niassène Diola-Marsassoum et l’axe Djirédji-Boumouda-Bémet-Marsassoum.Ces deux axes sont tout aussi prioritaires qu’importants pour un développement économique et social harmonieux de la zone. L’importance du tronçon Marsassoum-sédhiou n’est plus à démontrer car il constitue la voie de dégagement économique pour cette partie de la région. Donc la prise en compte dans les travaux de la corniche de la boucle du Boudhié et de l’axe Marsassoum-Sédhiou est un impératif à ne pas occulter pour une politique cohérente de développement économique et social.
C’est pourquoi, nous suggérons la signature d’un avenant qui intégrerait ces deux parties de la route, ou, tout bonnement, l’annulation pure et simple de ce marché et la négociation d’un autre plus englobant.
En tout état de cause, le Boudhié et le Diassing en ont assez d’inhaler à tout moment cette poussière rouge qui en définitive pose de véritables problèmes de pollution et de santé publique. Ces populations, qui, pourtant sont le plus souvent les toutes premières à répondre aux appels des politiciens, meurent malheureusement d’infections pulmonaires graves (tuberculose) sous leurs toits jaunis par la poussière faute d’infrastructures hospitalières de proximité digne de ce nom pour leur prise en charge. Même le maraîchage, qui pourtant constitue l’unique voie de salut pour nos vaillantes femmes, ne peut prospérer dans cet environnement.
Egalement, il convient de souligner avec insistance, que cette boucle du Boudhié doit se ramifier vers l’intérieur par des pistes de production. Dans ces endroits d’accès difficile voire impossible pour les véhicules et autres engins roulants, fautes de routes praticables, la mobilité est très réduite, voyager est synonyme de calvaire et de punition car se faisant plus aisément à pied ou à dos d’âne ou de cheval; pas même en charrette ou à vélo tellement les sentiers sont incommodes. On ne dirait pas qu’on y vit au 21eme siècle. Les moyens et les conditions de déplacement rappellent encore l’antiquité. Même en utilisant le vélo pour être rapide, on risquerait de le trainer plus longtemps qu’on l’enfourcherait. Donc, irriguer cette zone de pistes de production soulagerait d’avantage les populations et encouragerait surtout la scolarisation des enfants en aidant les élèves à accéder vite et facilement à leurs écoles sans clôture pour faire cours dans des abris provisoires.
Dans la même veine, l’électrification et l’hydraulique villageoises devraient faire parties des politiques de priorité de l’Etat dans ces zones très enclavées. En effet, en traversant cette partie du pays la nuit, on se croirait être dans un tombeau tant l’obscurité est totale que la peur profonde. Les quelques rares villages éclairés le sont le plus souvent par le fait de leurs ressortissants émigrés alors que la plus part des bourgs sont traversés de part et d’autre par des lignes haute tension. Dans certaines localités, des poteaux implantés, reliés même parfois par des câbles, attendent à être raccordés ou branchés. Cet état de fait a fini par installer la frustration et la désolation chez ces populations qui ne manquent pas de dénoncer cette politique de deux poids deux mesures de la part des autorités politiques. Ainsi, le manque d’électricité expose ces populations à toutes sortes de dangers : insécurité permanente, vol de bétail, morsures de reptiles et autres insectes, trafics de drogues etc.
Quant à l’eau potable, elle constitue une denrée rare dans cette zone où les forages se comptent sur le bout des doigts. Les populations s’exposent encore à toutes sortes de maladies en continuant à boire l’eau des mares ou des puits. Ainsi donc, à l’heure où l’insécurité est la chose la mieux partagée dans le monde , surtout dans ces zones perdues dans de grandes forêts, l’Etat a le devoir impérieux de préserver la vie de ces braves populations en illuminant leurs localités et en y installant des forages et des châteaux d’eau dans les grandes agglomérations. C’est pourquoi la construction d’une centrale électrique à Sédhiou serait utile à cet effet.
Aussi, l’autre problème non moins important qui hante le plus le sommeil de nos populations, est incontestablement la remontée de la langue salée sur le fleuve Casamance. Le label « grenier du Sénégal » commence à devenir un vieux souvenir pour cette région où le sel dicte sa loi dans les rizières. Et pourtant, grands cultivateurs de riz, les casamançais (le diola surtout), jadis, à la veille des récoltes, vidaient leurs greniers de tout leur contenu pour les remplir de la nouvelle récolte. C’est pour dire simplement que la riziculture était florissante dans cette partie du pays. Il ne suffit seulement que de quelques actions pour la rebooster. En effet, la duplication sur la Casamance de ce qui a été fait sur la fleuve Sénégal accélérerait l’autosuffisance en riz dans ce pays et encouragerait même son exportation. La construction d’un grand barrage anti-sel en aval du fleuve rendrait à ses vallées toute leur fertilité et leur opérationnalité en libérant du coup ses méandres étouffés par des pistes de production et autres digues de fortune. C’est en ce moment seulement que des projets comme celui du PAPSEN, par exemple, auront tout leur sens car ils pourront répondre aux véritables attentes des populations.
De même, la navigabilité du fleuve et de ses affluents doit être préservée lors la réalisation de grands ouvrages d’art dignes de ce nom et par le dragage régulier des lits. Le fleuve étant un patrimoine culturel, son trafic ne doit pas être obstrué par de petits ponts. C’est pourquoi, par exemple, le pont de Marsassoum qui certainement doit voir le jour bientôt (et au-delà tous les autres ponts qui suivront) doit être suffisamment grand pour éviter d’étouffer le Soungrougrou.
Par ailleurs, l’actualité de la fermeture de la frontière gambienne donne tout le sens au plaidoyer pour l’érection d’une voie de contournement que nous faisions dans notre article intitulé « La voie de l’émergence pour la Casamance naturelle », article publié dans le Soleil du 25 février 2015. La Casamance et ses populations n’ont pas choisi à être « séparé » du reste de leur pays par la Gambie ; cela est arrivé par les vicissitudes et les turpitudes de l’histoire. Néanmoins, il est injuste de regarder les populations casamançaises souffrir de cet état de fait dont elles ne sont pas comptables. Ainsi donc, pour les épargner des tracasseries administratives et des pertes de temps, d’argent et d’énergie d’une part, et, d’autre part, pour des raisons de souveraineté et de sécurité, il urge de créer cette voie de contournement de la Gambie. Cette autoroute de deux fois deux voies que nous appelons « Bê Casamance » ou « Bê Cafountine » contribuerait indéniablement à régler définitivement les difficultés de développement et de sécurité de la région Sud. Il s’agira simplement pour l’Etat de prendre des mesures d’accompagnement qui faciliteraient son opérationnalisation ou son exploitation par les usagers en subventionnant le carburant pour les transporteurs à hauteur d’un point avancé du trajet par exemple.
En définitive, il est évident que la finalité de la politique doit être le bien être des populations. Mais la pauvreté est si endémique dans notre région que le bien-être et le développement semblent être un mirage pour nos populations. C’est pourquoi nous autres politiciens casamançais, nous sommes plus que jamais interpellés par l’histoire au de la de nos obédiences politiques, à unir nos forces. Nos populations ne pardonneraient pas notre égoïsme qui consisterait à s’arc-bouter sur les postes politiques au point de fermer les yeux sur les problèmes essentiels de notre région. Car en faite il s’agit de savoir que quels que soient les privilèges engrangés, personne ne sera sauvé si nos braves populations ne sont pas sauvées.
Pr Abdoulaye BA
Enseignant-chercheur à l’UCAD
Responsable politique
APR à Sédhiou commune
baabdoulayeba64@yahoo.fr
abdoulaye.ba@ucad.edu.sn