Dakar entend profiter de sa présence au Conseil de Sécurité de l’Onu pour appeler à une plus grande justice environnementale internationale ; sous le triptyque « Eau-Paix-Sécurité », le Sénégal veut «amener le Conseil, à titre préventif, à poser le problème des cours d’eau communs aux Etats qui peuvent être des facteurs de crise ou d’intégration ». Le président Macky Sall joue les homo dominici dans cette diplomatie. Dakar reste ainsi fidèle à une tradition établie depuis Senghor.
La présence du président de la République à New-York, du 20 au 23 avril dernier, marque le souci de cohérence de Dakar avec les problèmes généraux de l’Environnement, en particulier au lendemain de la Cop 21 de Paris. Le déplacement de Macky Sall se justifie certes par la signature officielle de l’accord de Paris sur le climat, comme il l’a lui-même souligné en conseil des ministres du 19, mais des sources informées affirment que Dakar met en avant le premier de ses diplomates, le chef de l’Etat, pour justifier le moto inscrit dans son programme au sein du Conseil de Sécurité de l’Organisation des nations-Unies : l’Environnement comme facteur d’intégration ou crise.
Dakar veut en effet amener le «Conseil, à titre préventif, à poser le problème des cours d’eau communs aux Etats qui peuvent être des facteurs de crise ou d’intégration», comme le rappelait encore récemment le ministre Mankeur Ndiaye. À cet effet, et pour mettre tous les atouts dans leur main, les diplomates sénégalais jouent la carte du premier d’entre eux, le président de la République qui profite ainsi de toutes les tribunes internationales pour rappeler le leitmotive environnemental du Sénégal.
Des migrations intérieures importantes dues à un excès d’eau (effet de serre, inondations et submersion de terres basses) ou à un déficit d’eau (sécheresse) dus principalement aux cours d’eau, à titre subsidiaire, après la,pluie, ces excès et déficits donc vont réduire de plus en plus l’habitat humain et les terres cultivables et sont déjà sources de conflit entre populations de l’intérieur ou riveraines. On les prévoyait pour le siècle prochain et elles se produisent plus vite qu’attendu. À cause de la folie des hommes. Qui cherchent des solutions, entre Nairobi et Paris, en dehors des tentatives individuelles çà et là, comme au Sénégal, pays sahélien frappé par 50 ans de sécheresse contre laquelle le gouvernement entend lutter…avec l’aide de la nature.
Soixante-dix millions de personnes vivant sur le littoral risquent de vivre sous peu un tsunami permanent qui les obligera à migrer vers les terres hautes, leurs lieux d’habitation étant inondés. De même, il est loisible d’imaginer la réduction de l’habitat des Esquimaux et autres Inuits du Grand Nord canadien, la submersion des puits de pétrole de l’Alaska et des barges et plates-formes pétrolières de la Mer du Nord et du Golfe du Mexique. Ailleurs s’effondreront les falaises calcaires de l’Irlande, ennemie de la fière Albion et de Sa Gracieuse Majesté la reine d’Angleterre, d’Ecosse et ? (car il faudra redéfinir la géographie et la carte du monde).
Plus proche de nous, ceux qui connaissent l’île de Gorée peuvent s’imaginer un dîner aux chandelles au Boufflers en…gondoles, de même qu’une visite de la Maison des Esclaves en barques, ce qui rappellerait la Venise complètement disparue sous les eaux qui en auront assuré la légende.
Le Sėnėgal de Macky Sall a eu une intuition fondamentale en saisissant l’importance de l’or bleu dans la régulation du jeu social international. Les spécialistes avaient en effet bien prédit que les années 2000 seraient celles de grandes menaces sur la paix dans le monde à cause des conflits qui naîtront de la conquête et de la gestion de l’eau : le Proche et Moyen Orient en donnent déjà un aperçu, de la Palestine dépossédée de ses terres et de son eau avec le National Water Carrier d’Israël, au gigantesque projet de Croissant turc, en passant, pour ce qui intéresse uniquement l’Afrique, par la Tunisie (l’Oued Barbara), l’Égypte (El Salam Canal et le projet Toshka), sans compter la guerre que l’Occident a failli mener contre Kadhafi pendant la réalisation du Grand Lac souterrain. Déjà, l’exploitation des eaux du Nil, dans le cadre d’un nouveau canal égyptien, a créé quelques mouvements d’humeur avec le Soudan d’où le don égyptien tire sa source.
Le sommet de Paris d’il y a dix ans sur l’environnement, prélude à la Cop 21 du 30 novembre au 12 décembre 2015, a pris fin, comme par ironie, avec le drame indonésien et des importantes inondations qui ont ruiné le pays en fin-janvier début février 2007. Le syndrome de la sécheresse, à l’origine de l’érection de toute une ville sur des terrains théoriquement non edificandis puisque marécageux, est un pied de nez à toutes ces sommités réunies en France pour redéfinir la folie de l’homme qui court à sa perte (volontairement) en accélérant la dégradation de l’environnement. Toutes les occasions de rencontres sont bonnes (sommet France-Afrique de Cannes 14-16 février 2007) pour claironner sur une nouvelle ébauche de solution face au phénomène qui, apparemment, devient soudain le souci premier des rencontres internationales après Nairobi, au Kenya, en novembre et la rencontre de Paris de janvier qui a pris fin le 03 février de la même année.
Le Sénégal de Macky Sall, intégré pour la troisième fois au Conseil de Sécurité des nations-Unies, a donc compris comment l’eau, partant des fleuves et étant à la fois source de richesse et de déboires, détermine crise et/ou intégration selon les circonstances. Afin de marquer sa présence dans ce cercle restreint, Dakar a déployé une diplomatie hardie reposant sur le triptyque « Eau-Paix-Sécurité ». Dans son acception, la nouvelle bataille de l’eau en faveur de la paix doit « amener le Conseil, Ã titre préventif, à poser le problème des cours d’eau communs aux États qui peuvent être des facteurs de crise ou d’intégration ». Dakar reste logique à une vieille tradition d’internationalisation des fleuves afin de préserver le bon voisinage. Ainsi, en dépit du Décret du 8 décembre 1933, portant délimitation de la limite entre le Sénégal et la Mauritanie, le président Senghor avait fait prévaloir une politique d’intégration avec la mise en commun des efforts des États voisins pour exploiter le fleuve Sénégal entre les pays riverains que sont le Château d’Eau de l’Afrique de l’Ouest, la Guinée, le Mali, la République islamique de Mauritanie et le Sénégal. Le passage de l’Organisation des États riverains (Oers) à l’actuelle Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal (Omvs) a prouvé le bien-fondé des idées rėvolutionnaires du président sénégalais et de ses successeurs sur le triptyque devenu viatique du Sénégal sous Macky Sall.
Si des États soucieux de stabilité ont commencé à collaborer pour exploiter entre eux les potentialités offertes par les cours d’eau en faisant preuve de solidarité, c’est-à-dire de transfert d’eau des zones excédentaires vers les zones déficitaires, d’autres, comme le Sénégal, imaginent des scénarios de sortie de crise après quarante années de sécheresse. Ėvidemment, les moyens et les techniques varient, même si le souci d’immortalité est le même.
Il en est ainsi, par exemple, des aqueducs internationaux du projet franco-espagnol Languedoc Roussillon-Catalogne (LRC) entre la France et l’Espagne. Au Sénégal, une politique adoptée depuis plus de dix ans voudrait essayer de préserver les seules zones humides du Sénégal par jonction des cours d’eau du sud et par une régénération des terres par une technique certes coûteuse mais qui semble une des meilleures solutions du moment pour lutter contre le péril au sodium qui menace les deux-tiers nord du pays. La réduction de l’habitat au sens d’espace de vie pose en effet des problèmes fonciers aigus devant une explosion démographique et la nouvelle valorisation des terres aménageables.
La nature semble voler à son secours de dévoilant des sources d’eau jusqu’ici inconnues, dans des zones pourtant dépourvues du liquide précieux.
Mais il y a double défi reposant sur l’eau et qui, selon les deux bouts de la lorgnette, redéfinira les rapports entre les hommes puisque les surfaces habitables en seront passablement affectées et modifiées. L’espace humain rétrécira comme peau de chagrin et le Programme des Nations-unies pour le Développement (Pnud) pourrait revoir ses critères de réalisation de la carte du monde en fonction du développement réel, parce que toutes les parties du monde seront affectées par l’abondance ou la rareté de l’eau à la surface du globe terrestre. Or, tout le monde sait que la sociologie est fille de la géographie et que la promiscuité détermine en gros les relations entre les hommes.
L’absence d’eau entraînera en effet des migrations humaines importantes des zones arides et désertifiées vers des zones plus humides, reposant encore une fois le double phénomène de la migration liée à la pauvreté et de la cohabitation. Cette raréfaction de la surface habitable aura une double origine liée à l’eau : son absence et, paradoxalement, sa surabondance ; absence et surabondance auront par ailleurs les mêmes origines et causes : l’intervention de l’homme sur la nature.
En 1974 déjà, avec la sécheresse qui sévissait dans une importante partie de l’Afrique de l’Ouest, le Club des Amis du Sahel avait préconisé quelques solutions qui auraient peut-être permis la revitalisation de quelques parties fossilisées du continent délivrées de la présence humaine. Par exemple, les éminents membres de ce club avaient préconisé l’abandon des terres du Ferlo sénégalais, ce que Senghor avait refusé à l’époque. Etait-ce déjà, là, un signe prémonitoire ? Elle aurait peut-être pu aider à maîtriser le péril au sodium qui transforme aujourd’hui le Sérère du Sine en gros concurrent des exploitants du sel du Gandiolais ou du Lac Rose.
La Conférence internationale sur la Nature tenue à Nairobi, au Kenya, durant la première quinzaine de novembre, et le rapport du Programme des Nations-Unies sur le Développement du 09 novembre 2006 renseignent d’une part que le réchauffement de la terre est à l’origine de la fonte des neiges éternelles qui vont submerger une partie non négligeable des basses terres, forçant certaines populations à se concentrer sur une surface réduite, d’une part, de l’autre qu’un habitant de la terre sur 6 n’a pas accès à l’eau potable et ne dispose même pas des cinq litres, seuil limite, pour boire, manger et se laver, et que, conséquemment, ces populations devront migrer pour rechercher le précieux liquide.
L’eau constitue en effet une contrainte majeure au développement durable et une ressource hautement stratégique avec des enjeux politiques importants, qui viendront s’ajouter à des défis sociaux, économiques et écologiques.
Par exemple, au Sénégal, en dépit des imprécisions dans les données disponibles, on reconnaît volontiers que la réserve d’eau moyenne par tête est largement excédentaire par rapport au minimum vital, qui est d’environ 1.000m3 par personne et par an ; par contre, en ne considérant que les ressources naturelles, la réserve nationale en eau douce avoisine déjà la limite de 2.000m3 par personne et par an, qui est le début de l’état de stress hydrique.
Pathé Mbodj
Sociologue-journaliste
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