La république du Sénégal et la république de Gambie sont deux républiques dessinées, l’un dans l’autre, par le Congrès de Berlin il y a de cela plus de cent ans ! Deux républiques pour un même peuple aux relations tricotées serrées. Deux nations sœurs siamoises qui se séparent progressivement et dérivent, chacune vers une direction inconnue qui les éloigne l’une de l’autre, comme deux continents qui dérivent en force vers des horizons incertains. Deux nations liées par les langues, les religions, les croyances, les valeurs, les habitudes, les habitus, les normes et les symboles qui les réunissent mais qui se défont avec le temps, petit à petit, en particulier depuis que le Sénégal a cru bon de croire qu’il pouvait aller faire le bonheur des Gambiens à la place des Gambiens en 1980 et 1981. Échec lamentable d’une aventure militaro-politique répétée qui n’a pas su tisser solides les liens du «mariage forcé» que le savantissime président, Léopold Sedar Senghor et, plus tard, son successeur au trône, le technocrate administrateur président Abdou Abdou-Diouf-Julukaranaïni-Le-
Moralité ? Derrière les nations et les affres de la diplomatie artificielle que portent les républiques, il y a la réalité concrète des faits concrètement vécus par les peuples en situation. Et en réalité dans nos rapports tumultueux avec la Gambie voisine, c’est que Dakar n’ose pas se fâcher avec Banjul qu’il traite constamment comme un partenaire peu commode. Même quand le président Yahya Jammeh avait ordonné l’exécution de condamnés à morts parmi lesquels figuraient deux Sénégalais bon teint, Macky Sall s’était tout simplement contenté de déclarer que «c’est avec consternation» qu’il a appris l’exécution de ses compatriotes, ajoutant mollement qu’il a été «surpris» par le «mépris des autorités gambiennes» qui auraient dû informer le Sénégal de cette sentence à mort «au moins […] par les voies» diplomatiques «appropriées».
En réalité, les enjeux qui lient les deux capitales sont énormes pour que les coups d’épées des agitateurs politiques et autres faucons du régime de Macky Sall prêchent dans le désert concernant une potentielle intervention militaire du Sénégal en Gambie. Outre la longue frontière commune qui sépare les deux pays et la Gambie qui coupe le nord du sud du Sénégal, les commerçants sénégalais font fortune au pays où ils calculent en Dalassi et contrôlent un large pan du commerce au détail et de l’industrie du taxi et de la pèche. De plus, la sympathie est grande au sud du Sénégal pour l’«homme de Kanilaï» dont le père, un vaillant guérisseur traditionnel très couru en «pays diola», a été et demeure toujours le symbole d’une ethnie Jello dont les référents et les mécanismes de la solidarité traditionnelle se tissent bien au-delà des frontières artificielles héritées de la colonisation européenne. Sans compter que, depuis le naufrage du bateau «Le Joola» qui avait «enfoui» dans l’Océan atlantique près de 3.000 âmes vivantes, le 11 septembre 2002, le ferry de Farafégné est devenu le passage incontournable dans la liaison entre Dakar et la Casamance, au sud du Sénégal.
Ils peuvent huir à volonté, les faucons de Macky sall et leurs valets du jour, mais ils ne pourront absolument rien faire contre ce pays de 11.000 km2 (le Sénégal en compte 16 fois plus) qui est drôlement trop petit (moins de 2 millions d’habitants contre près de 15 millions pour le Sénégal), un pays tellement petit que les grandes puissances internationales ne s’intéressent presque pas au sort peu prometteur des gambiens. Si le régime de Yahya Jammeh se comporte régulièrement comme un pompier pyromane et joue constamment l’intermédiaire lors des négociations de paix avec les rebelles sécessionnistes casamançais, c’est que la Gambie du général Jammeh peut servir de puissant détonateur dans la «poudrière casamançaise» que le Sénégal peine à maîtriser depuis plus de 35 ans qu’il fait face aux rebelles d’un MFDC éclaté en mille morceaux et donc peu détectables sur le terrain.
Puis, la guerre proprement dite, pourquoi la faire et pour quelle raison le Sénégal doit-il la faire en Gambie et, surtout, à qui rendrait-elle service, cette guerre contre le régime de Jammeh qui a su transformer ses anciens «Fields forces» frileux à la guerre et qui se sont muées, avec le temps et la hantise de coups d’État militaires extérieurs, en une armée de combattants aguerris et souverainement bien entraînés en Angleterre, Aux USA, en Russie et parfois à Cuba ?
Cette guerre à laquelle certains sénégalaise appellent en ce moment contre Jammeh ne peut être, nous en somme surs, rien d’autre qu’une périlleuse aventure d’un Sénégal qui se prend pour ce qu’il ne peut jamais être, c’est à dire un pays de guerriers bien entraînés avec, au sommet de la gloire feinte, une «armée de professionnels» qui n’a, en vérité, que peu de victoires et de gloire à étaler à la face du monde et qui a sans doute compris, elle en particulier, que «la guerre ce n’est pas bon».
Il reste maintenant les agitateurs confortablement vautrés dans les fauteuils moelleux de leurs salons glacés et dont certains, pris d’ivresse coupable, attisent le feu et incitent à la guerre contre la Gambie. Ces gens-là doivent se remémorer les aventures consécutives de l’armé sénégalaise en Gambie lors de l’Opération Fodé Kaba 1 entreprise par le président Léopold Sedar Senghor alors au crépuscule de son pouvoir chancelant. Ni à l’issue de cette opération, ni à l’issue de l’Opération Fodé Kaba 2 en 1981 destinée à chasser les putschistes gambiens du palais présidentiel toujours tenu à l’époque par l’impotent président gambien Daouda Kaïraba Diawara, ni enfin l’opération militaire du Sénégal en Guinée Bissau destinée à protéger le président Joao Bernardo Vieira alors menacé par un coup d’État militaire en 1998, aucune de ces aventures périlleuses n’a permis la chute de ces chefs d’État impotents et corrompus que l’armée nationale sénégalaise était allée sauver de l’inévitable noyade dans les eaux glacées de la justice implacable de l’Histoire.
Au contraire, toutes ces aventures belliqueuses entreprises par notre armée nationale, au nom de notre peuple, se sont soldées par des échecs mats; échecs au sens où, à long terme en Gambie, Daouda Diawara a fini par être définitivement chassé du pouvoir le 22 juillet 1994 par Jammeh himself et Nino Vieira a fini, lui aussi, par se faire décapiter le lundi 2 mars 2009 au terme d’un coup d’État sanglant contre lequel, comme précédemment en Gambie, le Sénégal est resté ahuri, bouche bée et impuissant face aux réalités politico-militaires complexes de pays qui n’avaient pas besoin du tout de lui pour écrire leur propre histoire.
Alors, questions, cher(e)s ami(e)s : devrait-on aujourd’hui, dans une insouciance coupable d’un peuple qui doit commencer par balayer autour de sa propre porte, recommencer l’aventure en Gambie, contre Yayah Jammeh ? Ceux qui y pensent sincèrement ont tout simplement la mémoire courte et doivent être dénoncés, sur toutes les tribunes, comme des pyromanes endiablés qui noient leurs angoisses collectives dans la recherche effrénée de bouc-émissaires aux dures réalités de la vie quotidienne.
Abdou Ndukur Kacc Ndao, socio-anthropologue, Sénégal
Dingass Diedhiou, sociologue, Canada
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