Un même peuple séparé par une frontière artificielle, c’est bien le cas de la Gambie et du Sénégal. Un jour, il ya plus de 30 ans, j’ai atterri à Banjul avec un avion, le soir, j’ai assisté à un spectacle animé par un artiste sénégalais, Youssou Ndour, je crois. J’avais l’impression qu’il n’y avait pas de différence entre Banjul, Thiès ou Kaolack quand j’ai vu les Gambiens danser et vibrer comme nous. Pourtant, malgré notre culture commune wolof, diola, mandingue et autres et la tentative avortée de la Sénégambie, nous sommes toujours séparés par la frontière tracée par les colonisateurs européens.
Cependant, personne ne pourra jamais empêcher que les habitants de Nioro du Rip, de Médina Sabakh, Farafenni et Mansa Konko et ceux de Karang, Barra et Banjul, partagent leurs cérémonies de mariages de chants religieux de baptêmes et autres condoléances, selon les mêmes rites vieux de plusieurs siècles et même avant le tracé de cette frontière.
Il se trouve aussi que dans la globalisation actuelle, seuls les grands ensembles peuvent survivre et participer à la compétition économique avec des chances de réussite. C’est ce que la première puissance mondiale, l’Amérique, a compris en s’alliant avec le canada et le Mexique dans le cadre de l’Alena (Accord de libre-échange nord-américain), (en anglais, North American Free Trade Agreement, NAFTA) pour bénéficier de l’économie d’échelle dans leur espace économique : de même l’Europe s’efforce de s’unir pour constituer un ensemble économique de plus de 400 millions d’habitants avec 27 pays pourtant plus développés que nous.
Evidemment, dans ce contexte, un pays comme le Sénégal avec 14 millions d’habitants et 200000 Km2, ressemble à un petit poisson dans la mer qui risque d’être dévoré par les grands.
La Gambie, avec 2 millions d’habitants sur 11000 km2, c’est-à-dire le 1/20e de la surface du Sénégal, est manifestement plus vulnérable. Elle est divisée par le fleuve Gambie, qui empêche la «continuité territoriale» et l’interaction permanente de ses habitants dans un même espace.
La construction d’un et même de plusieurs ponts sur le fleuve bénéficierait d’abord aux Gambiens.
Quand on parle d’intégration régionale Ouest africaine, inscrite dans la plupart de nos constitutions, l’axe Bissau-Bignona-Banjul serait une voie de communication déterminante pour atteindre cet objectif.
En fait, l’intégration régionale devrait logiquement aboutir aux Etats-Unis d’Afrique, ce que pense être une urgence pour tous les africains.
Malgré la méfiance visible des autorités gambiennes à l’égard du Sénégal, il est évident que nous n’avons jamais pensé envahir leur pays. Car, nous sommes convaincus que tous les peuples doivent disposer librement de leur droit inaliénable à la souveraineté.
C’est ce qui explique que les sénégalais n’ont jamais saisi les opportunités que leur histoire et leur géographie leur offrent pour occuper ce pays.
En effet, au début des années 1980, quand Monsieur Dawda Kairaba Jawara a demandé l’assistance du Sénégal pour le protéger et le réinstaller au pouvoir à Banjul, après un coup d’Etat et à l’occasion des deux opérations militaires Fodé Kaba (I et II), quand nos troupes sont intervenues en Gambie, il nous était particulièrement facile d’occuper le pays et en faire une province.
Je me rappelle d’ailleurs que paradoxalement, après sa retraite, un ancien ambassadeur occidental au Sénégal nous a reproché de ne l’avoir pas fait «pour simplifier les problèmes».
Mais, de par notre culture démocratique, l’idée d’occupation n’a jamais effleurée, l’esprit des sénégalais, ni au niveau politique, ni au niveau des armées.
Cependant, disons-nous la vérité : le Sénégal a souvent subi, avec passivité, les errements non pas du peuple gambien mais, ceux de leurs autorités.
Je me rappelle en particulier, l’incident grave de l’arrivée des armes iraniennes destinées à Banjul, dont la quantité et les caractéristiques dépassaient de loin, les besoins sécuritaires de notre voisin. Le Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (Mfdc) a pu bénéficier de cet armement excessif.
La Gambie n’avait pas d’armée au début des années 1980. Elle était dotée d’une petite police et d’une musique officielle pour les cérémonies.
C’est bien le Sénégal qui a formé l’armée et la gendarmerie gambiennes.
Voilà encore la preuve de bonne volonté et de politique de bon voisinage du Sénégal.
Cependant, en retour notre pays est victime de chantage de son voisin.
Le pont transgambien, dont la première pierre est posée depuis un an, n’est pas encore en voie de construction. Les véhicules sénégalais ont du mal à emprunter le ferry de Farafenni.
Pourtant, nous ne manquons pas d’atouts dans cette «confrontation». Nous pouvons bloquer la frontière et étouffer ce pays économiquement. La restauration de la route Tamba, Kolda, Ziguinchor est à notre portée. Nous pouvons augmenter le rythme des rotations des bateaux entre Ziguinchor et Dakar.
D’ailleurs, il est intéressant de rappeler ici, que lors de notre intervention dans les années 80, notre contrôle de la frontière commune a permis à la douane sénégalaise d’accroitre sensiblement ses recettes.
Enfin, sans l’avoir cherché, nous disposons des archives des opérations Fodé Kaba qui sont faciles à réactualiser si notre pays jugeait que son intérêt national majeur est en jeu.
En fait, si les dents peuvent mordre la langue dans la même bouche, il n’empêche qu’elles sont condamnées à vivre ensemble.
C’est le moment de faire un choix clair définitivement.
En m’adressant à nos «MBOKKA» Gambiens je leur dis : «Let’us play the rules of the game, but fairly».
Général Mamadou Mansour Seck
Ancien Chef d’Etat Major général des armées du Sénégal
Ancien Ambassadeur du Sénégal aux Etats-Unis