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Vingt-cinq Mars 2012, L’alternance De Toutes Les Trahisons

Vingt-cinq Mars 2012, L’alternance De Toutes Les Trahisons

Dans une contribution antérieure (« Le temps de lever le coude »), nous avons, nous appuyant sur le « Rapport public sur l’Etat de la Gouvernance et de la Reddition des Comptes » présenté par l’Inspection générale d’Etat (IGE) en juillet 2013, passé en revue certains « actes caractéristiques de mal gouvernance financière », notamment au niveau de la Société africaine de Raffinage (SAR). L’homme au cœur de ce « brigandage » organisé est connu, même si son nom n’a pas été cité dans le Rapport. Nous allons, dans ce texte, nous arrêter sur d’autres « actes caractéristiques de mal gouvernance financière », qui ont eu pour cadre le Parc automobile de l’Etat, où l’IGE a fait des investigations.

Dans un premier point, l’IGE a rappelé le contexte et le cadre réglementaire et insisté, en particulier, sur « la réglementation sur les véhicules administratifs (qui) remonte à 1963 ». Je renvoie le lecteur intéressé à ce premier point (page 65). Il se fera une idée des dérives graves qui ont caractérisé le fonctionnement de ce service pendant de longues années. L’IGE a, compte tenu de la gravité de ces dérives, consacré un second point « aux constats et propositions de mesures correctives » (page 66). Dans ce cadre, elle s’est appesantie sur l’achat de quarante (40) véhicules qui s’est fait hors de toute réglementation.

Le Rapport de l’IGE rappelle, qu’à l’occasion de la tenue à Dakar XIe Sommet de l’Organisation de la Conférence islamique (OCI), le prédécesseur du Président Macky Sall « avait décidé de l’acquisition d’un lot de quarante (40) véhicules de transport des hôtes du Sommet ». Le lot de véhicules grand luxe se présentait comme suit :

  •  20 Mercedes de marque différente dont 6 S600, 12 S500, 1 LS500 et 1 E63 ;
  •  20 Lexus L460.

Les investigations de l’IGE ont conduit aux constatations suivantes :

  • L’acquisition est déclarée avoir été faite par la Société B à la requête de l’ancien Président de la République ;
  • La Société B a déclaré avoir acheté ces véhicules en Arabie saoudite et les a acheminés à Dakar où ils sont arrivés le 26 mars 2008, soit douze jours après la clôture de l’OCI ;
  • Les véhicules ont été réceptionnés par le Chef du Parc automobile de la Présidence de la République, acheminés et gardés au Bataillon du Train (BATRAIN).

 

L’IGE constate aussi que les fameux 40 véhicules déclarés avoir été achetés par la Société B, ne font pas partie du lot de deux cent cinquante-neuf véhicules offerts à l’Etat du Sénégal à l’occasion de la tenue du XIe Sommet de l’OCI. N’est-ce pas l’adage wolof qui dit bien que même quand on n’a jamais mis les pieds en Mauritanie, on sait que c’est la nuit que les habitants prennent leur dîner ? Ces véhicules faisaient sans aucun doute partie du gros lot offert à l’Etat du Sénégal. Leur achat par la Société B est un pur montage et l’IGE va s’employer à le prouver, sans le mentionner expressément.

L’IGE révèle, qu’au moment où s’effectuaient les dernières investigations, la situation des véhicules était la suivante :

  • Onze véhicules (11), soit cinq (5) Mercedes et six (6) Lexus ont été vendus par la Direction générale des Impôts et Domaines, sur instruction de l’ancien Président de la République (on aurait vraiment aimé savoir à qui ils ont été vendus et à quelles conditions) ;
  • Quatre (4) Lexus L460 ont été offerts par l’ancien Président de la République à un des pays amis du Sénégal (quel est ce pays ami ? quand même !) ;
  • Deux (2) Mercedes et deux (2) Lexus L460 ont été mis à la disposition de chefs religieux ;
  • Vingt et un (21) véhicules étaient disponibles mais non immatriculés.

 

C’est le paiement par l’Etat des quarante (40) véhicules qui sent le souffre et soulève beaucoup de questions qui n’ont naturellement pas échappé à l’IGE, amenée à constater que :

  • cette prétendue acquisition s’est faite en dehors des services compétents de l’Etat ;
  • c’est un ministre en fonction qui a été sollicité par l’ancien Président de la République pour, dit-il, préfinancer l’opération ;
  • notre ministre s’est fait payer la somme de 3,7 milliards de francs CFA, après avoir produit une fausse facture et un faux procès-verbal de réception, en lieu et place du Directeur général de la Société B qui prétend avoir vendu les véhicules à l’Etat ;
  • le paiement au profit de la Société A, dont le Ministre de l’Energie est administrateur unique, s’est fait sur la base d’une avance de trésorerie d’un montant de 3,7 milliards de francs CFA versés sur instruction de l’ancien Président de la République (sic).

C’est bien l’IGE qui fait ces constats gravissimes. Ce ministre est le même qui a organisé le « brigandage » de la SAR, et qui a été au cœur de tous les coups fourrés perpétrés pendant la longue et nébuleuse gouvernance de son mentor et acolyte.

Revenons aux constations de l’IGE :

– alors que le paiement a été déjà fait au profit du responsable de la Société A, le Directeur général de la Société B présente, contre toute attente, une facture datée du 21 janvier 2008, pour réclamer le même montant ;

– pourtant, il a reconnu avoir été préfinancé par la Société A :

– était informé du paiement de trois milliards sept cents millions effectué au profit de la Société A pour l’achat des quarante (40) véhicules ;

– a perçu la somme de quatre cent cinquante-sept millions deux cent quatre-vingt mille (457 280 000) francs CFA, en contrepartie des différents frais engagés dans ‘’l’achat’’ des véhicules et pour solde de tout compte ;

– a signé pour sa Société B, avec le Secrétaire général de la Présidence de la République (même lui est de la partie !) qui représentait les intérêts de l’ancien Président de la république, un protocole duquel il ressort que le versement de cette somme mettait définitivement fin à toute réclamation, sous quelque forme que ce soit, de la Société B. Ce protocole vaut quitus final, précise le rapport de l’IGE et, en vertu de ce protocole, le Directeur s’était engagé à ne plus évoquer cette affaire, à la boucler définitivement (la dernière expression est de moi). Au moment où ce rapport était publié, il continuait de réclamer à l’Etat ses 3,7 milliards de francs CFA. Pourquoi pas ? Il aura vite compris que, même après le départ de l’ancien Président de la République, les mêmes méthodes de dilapidation de nos maigres deniers publics sont restées intactes.

En tous les cas, l’IGE conclut ainsi ce ‘’brigandage d’Etat’’ : « Au total, il s’est agi de manœuvres frauduleuses impliquant de très hautes autorités de l’Etat, ayant causé à l’Etat un préjudice financier direct de trois milliards sept cent millions (3 700 000 000) de francs CFA. » L’IGE ne fait pas état du terrible préjudice moral : nos plus hautes autorités de l’Etat directement impliquées dans un tel ‘’brigandage’’ !

L’IGE termine par des propositions de mesures correctives qui n’ont aucune chance d’être mises en œuvre, la bombance continuant de plus belle après le 25 mars 2012. En tout cas, la mafia ne ferait pas pire dans les pays les plus corrompus. Ce problème des 40 véhicules a été soulevé au lendemain de l’avènement de la seconde alternance, pour être vite enterré. Les deux principaux protagonistes et leurs complices haut placés n’ont pas été inquiétés le moins du monde. Au contraire, le « conseiller financier » de l’ancien Président passe des journées tranquilles. Son mentor, quant à lui, est grassement récompensé par son successeur qui a quadruplé ses avantages de président retraité. Pendant ce temps, la Présidente du Brésil (Dilma Roussef) risque d’être destituée, soupçonnée seulement d’avoir maquillé les comptes publics de son pays.

Le Rapport de l’IGE de juillet 2013, comme d’autres avant et après lui, comme ceux de la Cour des Comptes, révèle des actes de mal gouvernance gravissimes. On en trouve à foison dans la gestion de l’ANOCI, de l’ARTP, de la LONASE, du FESMAN et de bien d’autres agences ou sociétés nationales (d’hier et d’aujourd’hui). Les dizaines, voire les centaines, peut-être les milliers de milliards de francs CFA qui y sont engloutis sont passés par pertes et profits. Les mis en cause vaquent tranquillement à leurs occupations, s’ils ne continuent pas leurs massacres à la tête des mêmes structures, ayant entre temps peint leurs vestes en couleur marron.

Au lieu de libérer les nombreux dossiers qu’il a sous le coude et de laisser la Justice faire son travail, comme il s’y était d’ailleurs engagé dans son programme le « Yoonu yokkute », il profite de toutes les opportunités, notamment des présentations de condoléances politiciennes, pour massifier son parti, qui prend de plus en plus le large sur la Patrie. Ainsi, en allant présenter lundi dernier ses condoléances à une compatriote, il rencontre Aïda Ndiongue « sa grande sœur » à qui il fait une chaleureuse accolade, alors que cette dernière a encore gravement maille à partir avec la Justice. Cette accolade est un coup de poignard dans le dos de ses électeurs, de la Bonne Gouvernance, comme de la morale et de la vertu. Le Président François Hollande n’aura sûrement jamais l’occasion de rencontrer Jérôme Cahuzac. Et même si d’aventure il le rencontrait, il se garderait bien de lui faire une accolade. Pourtant, les six cent mille (600 000) euros qu’il avait planqués dans un premier temps en Suisse pour les soustraire au fisc français, sont une peccadille par rapport aux lourds soupçons qui pèsent sur Aïda Ndiongue.

Le Président Macky Sall a aussi profité de l’opportunité macabre de lundi dernier pour appeler ses camarades du PDS à le rejoindre, accréditant ainsi l’idée se faisant de plus en plus jour d’une réconciliation avec son « père ». Nous n’avons lu nulle part dans son programme l’idée d’une reconstitution du PDS autour de lui, ni une réconciliation avec son « père », s’il arrivait à le battre. Nous ne l’avons pas, non plus, entendu en parler. Au contraire, il a tellement menacé ses anciens camarades du PDS, que Serigne Mbacké Ndiaye leur a rappelé, entre les deux tours, que si leur candidat était battu, ils iraient pratiquement tous en prison.

Tous les engagements que le candidat Sall avait donc pris, et pour lesquels 65 % des Sénégalais lui avaient donné leurs suffrages le 25 mars 2012, se sont comme par enchantement volatilisés. L’heure est maintenant aux manœuvres politiciennes, aux retrouvailles avec le PDS par le biais de la réconciliation avec son « père ». Tout chez lui est désormais wax waxeet, trahison. Et, tout indique qu’il va garder ce cap, ayant en face de lui un peuple (y compris la société civile et l’opposition) qui semble avoir perdu toute sa capacité d’indignation, et est prêt à encaisser passivement tous les coups, y compris les plus durs.

Dakar le 3 mai 2016

 

Mody Niang

Mody NIANG

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