La problématique du cumul des mandats, actuellement en débat dans la société sénégalaise, pose une question tellement sérieuse, qu’elle ne devrait pas faire l’objet d’une instrumentalisation du discours politique. Nous voilà devant un autre cas où la rhétorique de la rupture pourrait quitter le champ de l’incantation, pour un terrain privilégié d’application.
Du reste, Il n’y a pas que le cumul des mandats auquel sera consacré l’essentiel de notre propos, mais aussi les conflits d’intérêt (ministre ou conseiller/patron d’entreprise)… qu’il convient d’extirper, parce qu’ils contribuent à aggraver le discrédit qui frappe et fragilise la parole publique.
Le cumul des mandats, une pratique qui est en quelque sorte une perversion du système démocratique, a été surtout favorisé par le modèle centralisateur du pouvoir. Il serait réducteur de penser que cela relève d’un simple besoin narcissique de pouvoir ou d’une boulimie financière. Les motivations profondes sont multifactorielles. Nous nous contenterons, pour notre propos, d’en pointer quelques-uns.
Le premier facteur, à nos yeux, est à rechercher dans la faiblesse de la décentralisation. En effet, quand un maire exerce en même temps les fonctions de parlementaire ou de ministre, il est plus proche des centres de décision, et sa localité a plus de chances sinon d’être privilégiée, du moins de ne pas être oubliée dans l’allocation des ressources. En outre, sa position de ministre lui permet d’accéder plus facilement à la coopération décentralisée. Considérée sous cet angle, l’attitude du cumulard est un rempart contre la centralisation. L’exemple du ministre Alioune Sarr qui vient d’être « malawisé » pour tout ce qu’il fait à Noto Diobass est suffisamment symptomatique à cet égard.
Un deuxième fondement est lié aux raisons qui sont à la base du choix d’un ministre ou d’un parlementaire : ne le doivent-ils pas tous les deux, pour une large part, à leur ancrage local et conséquemment au poids de leurs électeurs qui attendent de leur part un retour sur investissement ?
Le troisième facteur renvoie au faible statut de l’élu local qui pourtant assume de lourdes responsabilités à la tête des collectivités locales. Mettre fin au cumul des mandats passe donc nécessairement par le renforcement de l’Acte 3 de la décentralisation, avec pour l’élu local un statut plus stable et plus rémunérateur.
Il faut donc considérer la situation de façon différenciée :
– Concernant le ministre, une fois le statut de l’élu local amélioré, il ne devrait plus, à mon sens, exercer que des fonctions honorifiques dans sa localité. Pourquoi pas maire honoraire de sa localité, pour garder le lien avec ses électeurs. N’a-t-on pas vu des ministres démis de leurs fonctions pour avoir perdu des élections dans leur localité ?
– Concernant le cumul de mandat entre parlementaire et président de conseil départemental, il faudrait y mettre un terme. On ne peut pas cumuler ces deux fonctions qui exigent, pour chacune, que l’on s’y consacre à plein temps. Il y va de leur crédibilité, il y va aussi de leur exemplarité devant des citoyens qui, eux, exercent un seul métier quand ils en ont et ne perçoivent qu’un seul traitement ! Après tout, c’est un message contreproductif renvoyé aux millions de chômeurs et autres demandeurs d’emploi.
Et il me revient en mémoire cette réflexion du président du mouvement « Agir pour ne pas subir », Elhadj Daouda Faye (républicain, incarnant une légitimité, lui), réagissant au cumul des mandats : « on a assez distribué de bonbons, il faut maintenant trouver du travail aux jeunes ».
Puisque le président du groupe parlementaire Apr se propose de soumettre à l’Assemblée nationale une proposition de loi sur le cumul des mandats, c’est une belle occasion à saisir pour corriger certains dysfonctionnements.
De notre point de vue, les mesures suivantes s’imposent :
Le mal récurrent constaté par tous et au premier rang desquels, le président de l’Assemblée nationale, étant l’absentéisme endémique des parlementaires, pourquoi ne transformerait-on pas les salaires en régime indemnitaire, avec un système de suivi des présences (obligatoire) aux différentes sessions ? Le président de l’Assemblée nationale ne sera plus obligé de les supplier d’assister aux sessions, le Parlement légiférerait mieux, tandis que le prestige et l’éthos de confiance entre le peuple et ses élus seront rétablis. Inutile de rappeler, ici, que certains comportements de parlementaires, ces temps derniers, ont désacralisé la fonction.
Il faudrait également instaurer le principe d’une limitation du mandat parlementaire dans le temps. Certains parlementaires ont traversé toutes les législatures (on n’est pas seulement doyen d’âge mais aussi par le nombre de mandats exercés). En effet, pourquoi limiter le mandat du président de la République à deux si on ne limite pas celui des élus nationaux ? Pourquoi s’en tenir à la question du cumul des mandats quand celle du nombre est tout aussi importante pour la diversité, le renouvellement, la parité et la respiration démocratique ?
Ce qui est valable au sein de l’hémicycle, l’est également à d’autres sphères de la société. Nous avons été frappé d’entendre dire par le président des transporteurs, qu’il avait décidé, lui-même, d’exercer son dernier mandat. En cela, il montre la voie à des chefs de parti politique, de syndicats, d’Ong, etc., qui, eux, ne comprennent pas que cette forme de leadership défiant le temps relève de la féodalité. Le renouvellement de la classe politique et des responsables de la société civile est devenu un impératif. Rappelons à toute fin utile cet aphorisme de Daniel Cohn Bendit : « Il vaut mieux partir au moment où tout le monde dit reste, reste ; que de partir au moment où tout le monde dit part, part ».
Dr Cheikh T. BA
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