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Destination Guédiawaye !

Destination Guédiawaye !

En cette année-là, ma mère habitait à la cité des chemins de fer. La cité des chemins de fer était située sur l’actuel site des HLM gibraltar que l’on aperçoit à partir de l’autoroute, au niveau de Pompiers. C’était une belle cité, atypique, tout en tuiles, avec des murs épais d’un demi–mètre en pierres de Bargny. Léguée par le colon, constituée de bâtiments qu’on appelait blocs, numérotés de A à G. C’était vraiment la belle époque du Chemin de fer. Chaque jour, un train partait de Dakar pour Saint- Louis, et Kaolack, à 17 h. C’étaient de jolies rames peintes aux couleurs nationales qui filaient majestueusement tel un serpent lumineux vers ces villes qui étaient des symboles de paix et de téranga pour St-Louis, le temple du business pour Kaolack, la capitale de l’arachide. Il y avait un autorail qu’on appelait ‘’Arigoni’’ qui faisait la fierté des cheminots et le confort des passagers.

Quand je passais mes vacances à la cité chemin de fer, c’était pour moi, l’occasion de visiter les quartiers situés de l’autre côté de la route, l’actuelle autoroute. Il y avait trois ponts de bois qui la surplombaient. Un, au niveau du garage Pompiers, qui, à l’époque, n’avait pas été modernisé. Un autre, juste, là, où se situe le camp Abdou Diassé. Et, un autre qui plongeait dans le marché de colobane. Le premier quartier, en venant de la ville, était Alminkou, puis Kip coco, Wakhinane et Darou khane.

On suivait quelque fois la voie ferrée jusqu’à Baye Gaindé, Angle mousse pour rallier la gare de Hann, où, on attendait les trains venant de St-Louis ou Kaolack. On connaissait forcément l’équipage, le conducteur ou les contrôleurs. Les cheminots, c’est une famille. On était cheminot de père en fils. Et fiers de l’être.

On avait une attraction particulière pour un monsieur qu’on appelait ‘’Séckou’’, du nom de cet oiseau. Il se tenait assis sous le pont qui sort sur colobane, à Darou khane, et à l’aide d’une petite boîte en fer, rythmait des slams qui nous ravissaient. Énormément de monde l’entourait, surtout, les femmes qui revenaient du marché. On allait voir aussi Baye Cheikh Ndaw, un vieux baye Fall qui racontait l’épopée de Serigne Touba et de Mame Cheikh Ibra Fall. Il avait un langage crû et insultait sans gêne, en promettant l’enfer aux pêcheurs.

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Ces quartiers étaient une véritable fourmilière où habitaient la plupart des gens qui venaient de l’intérieur du pays. Je me rappelle d’une concession entièrement habitée par des aveugles et leurs familles.

Dans le quartier Darou khane, vivait une tante à moi, une cousine à ma mère. Elle était vendeuse au marché Kermel. On allait de temps en temps la voir, ma mère et moi. Elle me donnait des restes de pâtisseries et de gâteaux. Nous étions donc ce jour-là, à la maison, en train de prendre le petit déjeuner, quand ma tante, accompagnée de ses enfants, a fait irruption dans la maison, toutes en pleurs. Tenant des baluchons. Elles étaient inconsolables. Toutes, ma mère y comprise, pleuraient. Je compris qu’il s’était passé quelque chose malgré mon jeune âge. C’est quand je sortis, que je me rendis compte de l’ampleur du drame.

Tout le terrain qui était le centre de la cité était jonché de bagages et des familles entières étaient massées, pleurant, se jetant par terre. Des centaines de personnes étaient sur les ponts pour regarder le spectacle. L’Armée était en train de démolir les baraques des quartiers. Un drame social sans précédent se déroulait sous nos yeux. Ces pauvres qui habitaient ces bidonvilles étaient en train d’être déménagés. Les militaires chargeaient les baraques démontées, les bagages et les familles dans des camions pour les emmener, disait la rumeur à Guédiawaye. On entendait pour la première fois, parler de ce lieu.

Pendant des semaines, tour à tour, les quartiers de Kip coco, Wakhinane, Alminkou, Darou khane, angle mouss et Baye gaindé furent démantelés et déménagés. A cette époque, Guédiawaye, c’était vraiment au diable vauvert. Très loin de Dakar.

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C’était vraiment une immense injustice. Je connaissais quelques jeunes de mon âge, avec qui, on jouait au football, et que j’ai vus, entassés avec leurs parents dans les camions militaires, les yeux inquiets. C’était carrément une déportation.

Plus tard, l’on vit le garage ‘’pompiers’’ et le camp Abdou Diassé, surgir de terre à Alminkou et Kip coco. Darou khane est resté en l’état. A la place des quartiers Baye Gaindé et Angle Mousse, des HLM ont été construites. Ce sont les HLM 4,5 et 6 et le marché. Les ponts en bois furent remplacés par ceux-là, que vous voyez toujours.

Aujourd’hui, Guédiawaye est une ville moderne dont les quartiers ont gardé leurs noms d’origine. Ces braves pères de familles et leurs enfants, ont relevé le défi de la survie, et mieux, ont gagné toutes les batailles pour faire de ce refuge dont voulait les enfermer le prétexte de la modernisation, un pôle envié de vie.

 

ALIOUNE NDAO

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