«La légitimation la plus haute de l’Etat réside dans le fait qu’il suscite et entretient la disposition de l’individu à agir et penser, à vivre, lutter et éventuellement mourir en fonction d’un but qui dépasse sa petite personne», dixit Evola Julius avec qui je ne partage que cette phrase (mais très fortement) et quelques débuts de réflexion qui n’ont aucun lien entre eux. Bref, passons à l’objet de mon propos. Je vous annonce par la présente un conflit que je n’appelle pas de mes vœux, mais que beaucoup perçoivent. Un conflit détestable, honteux et symptomatique de bon nombre de nos maux.
Que dis-je, un conflit ?... c’est une guerre des générations qui se dessine.
Une guerre qui se fera, car elle s’impose à la jeunesse. Elle la fera, car la jeunesse est caractérisée par le fait qu’elle veut tout ou rien et cela maintenant ou jamais. Elle se fera pour des raisons démographiques, cette guerre. Elle se fera, car nos jeunes souffrent beaucoup trop et beaucoup trop tôt. Elle se fera, car les jeunes veulent plus tandis que les dirigeants ne peuvent plus. Elle se fera, car le véritable changement, celui qui relève de ses intérêts bien compris, est l’affaire de cette nouvelle «classe sociale». L’irresponsabilité des élites a produit une nouvelle classe sociale, pauvre, jeune, mais souvent instruite et donc potentiellement très dangereuse pour le statu quo.
Ces jeunes souffrent physiquement et moralement. Ils souffrent dans leur grande majorité et dans un silence qui n’a d’égal que la douleur causée par l’égoïsme, l’incompétence et le mépris des crypto élites à leur endroit. Ils souffrent du manque d’espoir et de la peur permanente du dépérissement qui les guette ou les frappe déjà. Ils souffrent d’un mal à présent connu. Il s’agit dans le meilleur des cas de l’incompétence de nos gouvernants, au pire de leur cynisme criminel qui se nourrit de leur manque de vision incontestable.
Ce drame se traduit dans les arbitrages politiques entre budgets et dans la hiérarchisation incompréhensible d’un certain nombre de portefeuilles en lieu et place de ce qui touche de près les jeunes.
Il se traduit dans la place qui est donnée à la jeunesse sénégalaise au sein de notre société, bien au-delà des considérations matérialistes, c’est-à-dire la capacité à penser le jeune en dehors de ses conditions de producteur ou de consommateur.
Il se traduit dans la place qu’occupent les jeunes dans la vie active. Le taux de chômage chez les jeunes est énorme. Le taux de croissance si souvent mis en avant n’a aucun impact sur ce qui devrait être sa raison d’être, à savoir l’économie nationale réelle. Cet impact est insignifiant et cela est d’autant plus étonnant quand on rapporte cette anomalie à la part qu’occupe la jeunesse dans ce qui constitue la population sénégalaise dans son ensemble.
Il se traduit dans les responsabilités politiques qui sont confiées aux jeunes. En dehors de deux ou trois arbres qui cachent la forêt (loin d’être les meilleurs), nous constatons leur absence.
Il se traduit par l’état de l’éducation nationale qui devrait être au cœur du projet de société de tout gouvernement digne de ce nom.
Il se traduit dans l’incapacité des jeunes à se passionner pour pouvoir se projeter et se dépasser en tant qu’individus. Dépassement sans lequel rien de significatif ne peut être accompli. En effet, se dépasser pour aller où ? Se projeter vers quoi ? C’est aux hommes qui sont aux affaires de nous le dire, c’est leur responsabilité. Enfin, pour le moment.
En effet, qu’il s’agisse de l’emploi, de la formation, de la capacité à entreprendre, de la dette publique, des politiques nationales, tout ce qui a été entrepris depuis plusieurs années s’est révélé peu efficace et souvent injuste envers tout ou partie de la jeunesse.
Il est fort important de comprendre que les jeunes ne cherchent pas à refaire le monde comme y aspiraient nos aînés lorsqu’ils étaient plus jeunes, mais nous cherchons à préserver ce qui fut et que je nomme «l’existant minimum souhaitable». Nous chercherons à empêcher que se défasse ce qui avait été fait pour les dirigeants actuels par leurs aînés.
Ceux qui ont gouverné et ceux qui gouvernent aujourd’hui portent une grande part de responsabilité dans ce qui a contribué à pousser des milliers de jeunes à tenter collectivement de se suicider en prenant la mer, car il s’agit bien d’une tentative de suicide qui ne dit pas son nom. Demain, ils seront les cibles et certains les victimes du réveil contrarié d’une nouvelle classe sociale-génération majoritaire, majoritairement exaspérée et majoritairement sacrifiée.
Pour le moment, la situation semble être sous contrôle et l’ambiance est à la quiétude, mais n’oublions jamais que le coup de canon efficace est toujours précédé d’un profond silence. La responsabilité de la collectivité nationale est engagée.
Elimane M. WANE
Elimawane@gmail.com