En Juillet 1981 soit juste un peu plus de six mois après la démission du Président Léopold Sédar Senghor, Abdou DIOUF alors premier Ministre nouvellement installé comme Président de la République (PR) par la faveur de l’article 35 de la Constitution de 1963, faisait voter par l’Assemblée Nationale les lois 81-53 et 81-54 portant respectivement, répression de l’enrichissement illicite et création de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI). Dans son exposé des motifs, la première invoqué avec force le « fléau que constituent la prolifération d’actes préjudiciables à l’économie du pays, commis par certains agents publics peu scrupuleux sur les moyens de s’enrichir rapidement ». Instructif à plus d’un titre, l’exposé ajoutait que : « Les pouvoirs publics, en conformité avec notre option socialiste, veulent se donner les moyens d’extirper de la société sénégalaise des pratiques non conformes à nos mœurs, qui créent l’injustice sociale, paralysent le développement du pays et peuvent à la longue saper notre démocratie ».
En réalité, certaines fortunes rapidement acquises suscitent encore des doutes quant à leur origine, et obligent dans un Etat sérieux, à s’interroger sur les moyens utilisés pour leur acquisition[1].
Une infraction assez singulière naissait ainsi dans notre corpus juridique, mais en parfaite conformité avec la Constitution qui range la création des infractions érigées délit et crime dans le domaine législatif[2]. Il en était de même de la CREI[3] qui intégrait aussi notre ordonnancement juridictionnel
Ce faisant, le législateur définissait la nouvelle incrimination en ces termes :
« le délit d’enrichissement illicite est constitué lorsque, sur simple mise en demeure, une des personnes désignées ci-dessus[4], se trouve dans l’impossibilité de justifier de l’origine licite des ressources qui lui permettent d’être en possession d’un patrimoine, ou de mener un train de vie sans rapport avec ses revenus légaux.
L’origine licite des éléments du patrimoine peut être prouvée par tout moyen.
Toutefois la seule preuve d’une libéralité ne suffit pas à justifier de cette origine licite »[5].
La cour ne fonctionnera effectivement que pendant trois ans environ pour ne traiter d’ailleurs que de deux affaires dont une seule aurait abouti à une condamnation. Elle sombrera après dans une léthargie sans précédent jusqu’en 2012[6] quand l’actuel Président de la République décidait de la remettre « au goût du jour », aux motifs de « combat pour la gouvernance vertueuse ».
En raison de la polémique juridico-politique qu’elles soulèveront, les mises en demeure, arrestations et procès qui ont suivit auront été surmédiatisés. Comme instrument de « traque des biens mal acquis », l’enrichissement illicite, mais surtout la juridiction chargée de le réprimer alimenterons en effet moult divergences sur leur pertinence et plus particulièrement sur leur bien fondé.
Certains jugeront la Cour attentatoire aux droits des personnes mises en cause, dès l’instant soutient-on, « que la sélection des personnes devant faire l’objet d’enquêtes est, semble-t-il, laissée à la discrétion du Procureur spécial près la CREI et donc, du pouvoir politique en place »[7], comme disposé à l’exposé des motifs de la loi du 10 juillet 1981 instituant la CREI.
Ils ont soutenu aussi que la loi instituant la CREI est un coup dur à la présomption d’innocence dès lors que du fait d’une prétendue maladresse dans la rédaction des dispositions relatives à l’enrichissement illicite, la personne poursuivie « est déclarée coupable dès le moment où le Procureur spécial estime ne pas être convaincu par les éléments de preuve présentés ».
Il est reproché en outre à la loi instituant la CREI de consacrer une inégalité de traitement des parties (la défense et l’accusation), à l’issue de la phase d’instruction du dossier du prévenu notamment. Un reproche qui semble justifié car si la loi dispose que « les décisions de la Commission d’instruction ne sont susceptibles d’aucun recours », elle a ajouté ensuite que « l’arrêt de non-lieu peut être frappé d’appel devant la Cour de répression de l’enrichissement illicite par le Procureur spécial », une partie au procès au même titre que le prévenu. Qui plus est, à contrario, l’arrêt de renvoi devant la Cour de répression de l’enrichissement illicite ne peut pas faire l’objet d’appel de la part du prévenu.
Des juristes plus téméraires iront jusqu’à nier l’existence même de la CREI en arguant qu’elle a été supprimée de l’organisation judiciaire du pays par la loi du 2 février 1984[8], aux motifs que non seulement celle-ci ne la citait pas parmi nos juridictions, mais encore et surtout, elle disposait en son article 15 que « sont abrogées toutes dispositions contraires à la présente loi »[9].
On a excipé aussi d’un prétendu renversement de la charge de la preuve devant la Cour, qu’on qualifiera péjorativement de juridiction d’exception.
Comme suite logique de toutes ces invectives on soutiendra alors la suppression de la CREI, les plus nuancés parlant de réformation.
De ce rappel des péripéties premières du débat, on se rend compte qu’on s’est beaucoup attaqué à la cour (A). Il semble pourtant que c’est du coté de l’infraction que se trouveraient le cas échéant, les éléments de faiblesse de cette juridiction spéciale et donc la voie pour les pallier (B).
I : La Cour a bon dos
A l’analyse des critiques essentielles relevées pour les besoins de nos propos, on semble faire le mauvais procès à la Cour,[10]seule, et avec des arguments juridiques peu convaincants. Pour en juger, nous invitons au réexamen de la question tant débattue de la charge de la preuve, ainsi que de celle relative au privilège de juridiction dont seraient bénéficiaires certains des mis en cause qui ont eu à exercer des fonctions de ministre. Au regard des nombreuses thématiques agités à l’occasion de la remise sur pied de la CREI, on peut juger arbitraire le choix de ces deux aspects. Mais leur centralité dans notre objet d’étude juridique justifie qu’on choisisse de les privilégier dans l’analyse.
Sous ce prisme, nous démontrerons d’abord, qu’en se tenant strictement à la définition de l’infraction, l’inversement de la charge de la preuve ne peut pas prospérer devant la CREI (A)..
Par ailleurs, il est étonnant que les conseils des prévenus eussent plaidé en faveur de la Haute Cour de Justice (HCJ), qui non seulement parait moins démocratique comme juridiction (B), mais surtout, serait difficilement compétente quand l’intéressé n’est pas en exercice de fonctions ministérielles au moment de la mise en demeure.
A : Il n’ya pas d’inversement de la charge de la preuve devant la CREI
La preuve judiciaire renvoie à la démonstration de l’existence d’un fait ou d’un acte dans les formes requises par la loi elle-même. En déterminer la charge, c’est poser s’il y a contestation, la nécessité pour le plaideur d’établir les faits ou actes dont dépend le succès de sa prétention. La charge s’adresse donc aux parties en procédure. Selon ce principe, c’est au demandeur (système accusatoire), et aux magistrats (matière répressive), ou à l’administration dans certains cas (matière administrative), de rapporter la preuve des allégations dont il est question. Renverser cette charge c’est apporter exception à ce principe, et faire peser inversement la preuve sur la défense.
Il se trouve que dans notre espèce, tel n’est point le cas. Pour s’en convaincre, il importe de se demander ce qui est à prouver devant le juge de la CREI, et par qui.
Comme à l’endroit de toute autre juridiction répressive, il s’agit pour le parquet de démontrer au prétoire l’existence d’une infraction, c’est-à-dire la présence de tous les éléments constitutifs généraux (légal, matériel et moral), ainsi que des éléments constitutifs spéciaux (ceux qui lui sont propres).
Pour ce qui est de l’enrichissement illicite, il pèse spécialement sur le parquet de démontrer d’abord que la personne attraite à la barre est une de celles visées à l’article 3 de la loi 81-53, ou 163bis du code pénal. Sur ce registre, le prévenu ne peut être un citoyen qui ne s’occupe que de ses propres activités en dehors de toute participation à l’exercice du service public ou à une activité reconnue d’utilité publique.
Ensuite, le procureur spécial aura à rapporter l’existence de biens appartenant au prévenu, caractéristiques d’un patrimoine ou d’un train de vie sans rapport avec les revenus légaux du concerné. A ce niveau, et pour tous les biens matériels et immatériels en cause, il n’est pas demandé au prévenu de démontrer qu’ils ne lui appartiennent pas, ce qui serait contraire aux principes majeurs de droit processuel. Cela équivaudrait en effet à demander la preuve d’un fait négatif, ce qui dans l’absolu est impossible, mais aussi à inverser la charge de la preuve car il appartient au parquet s’il requiert à charge, par les documents qu’il détient ainsi que par les faisceaux d’éléments ou d’indices en sa possession, d’établir que les dits biens sont la propriété du prévenu.
Par ailleurs, l’accusation aura à fixer ( au besoin à dire d’expert), la valeur de l’ensemble du patrimoine qu’elle retiendra comme appartenant à ce dernier.
Après, ce sera le tour des revenus légaux d’être estimés objectivement et toujours par l’accusation.
En outre, et c’est sans doute le plus facile, il sera établi la réalité d’une mise en demeure respectueuse du délai d’un mois au moins imparti par la loi.
Enfin, l’accusation prouvera que, passé le dit délai, le prévenu n’a pas justifié de la licéité des moyens qui lui ont procuré le patrimoine en cause.
Au cours de cet exercice, le juge assure la conduite des débats, posent des questions, prend ses propres notes, en restant à équidistance des parties.
En ce qui le concerne, et au soutien de sa défense, le prévenu aura seulement à démontrer entre autres, que les biens qui sont prouvés lui appartenir ont été acquis par des procédés licites, la licéité s’entendant ici comme ce qui est conforme, aussi bien à l’ordre public exprès ou virtuel, qu’aux bonnes mœurs, englobant ainsi la moralité républicaine.
Arithmétiquement, c’est un différentiel positif entre la valeur de ce qui serait en définitive retenu comme constituant le patrimoine du prévenu et ce qui aura été jugé être le montant global de ses revenus légaux qui sera le déterminant du niveau d’enrichissement illicite.
Comme on peut s’en apercevoir, l’exercice n’est facile pour aucune des parties du fait de la particularité de l’incrimination, mais il n’en demeure pas moins démocratique, ce qui ne semble pas être le cas pour la Haute cour de justice.
B : La Haute Cour de Justice : moins démocratique et exceptionnellement compétente
En raison du statut d’anciens ministres de certaines des personnes poursuivies, il a été plaidé aussi la compétence de la HCJ instituée par l’article 99 de la Constitution sur la base de deux moyens juridiques essentiels.
Le premier est constitué des dispositions de l’article 101 la loi fondamentale qui précise que « …Le Premier Ministre et les autres membres du Gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis.
Ils sont jugés par la Haute Cour de Justice. La procédure définie ci-dessus leur est applicable, ainsi qu’à leurs complices, dans le cas de complot contre la sûreté de l’Etat. Dans les cas prévus au présent alinéa, la Haute Cour est liée par la définition des crimes et délits ainsi que par la détermination des peines, telles qu’elles résultent des lois pénales en vigueur au moment où les faits ont été commis ».
Le second argument est fondé sur l’article 7 de la loi n° 81-54 créant la CREI selon lequel, « lorsque les faits constitutifs de l’enrichissement illicite concernent une personne bénéficiant d’une immunité où d’un privilège de juridiction, le Procureur spécial transmet le dossier à l’autorité compétente aux fins de l’exercice des poursuites par les voies légales ».
Pour apprécier l’opérationnalité de ces moyens juridiques, il importe d’abord de savoir dans les cas qui se sont posés, si on est en situation d’ « actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits ». Il faudra ensuite se demander s’il est question également de « personne bénéficiant d’une immunité où d’un privilège de juridiction ». Pour répondre à ces questionnements d’ordre didactique, il importe de s’interroger à prime abord sur le moment de la naissance de l’infraction d’enrichissement illicite, c’est-à-dire de la découverte de la réunion de ses éléments constitutifs spéciaux.
Il se trouve que comme tout autre délit, ce délit spécial ne se commet et ne se consomme que tel qu’il est consacré légalement, c’est-à-dire conformément à la volonté du législateur sénégalais. Dans son libellé, il est question d’abord et grosso modo, d’une personne intervenant dans l’exécution d’un service public, ou dans une activité reconnue d’utilité publique ». Ensuite il est requis que cette personne soit « dans l’impossibilité de justifier de l’origine licite des ressources qui lui permettent d’être en possession d’un patrimoine, ou de mener un train de vie, sans rapport avec ses revenus légaux », enfin, après « simple mise en demeure ». A l’analyse de la formulation, l’infraction ne serait donc considérée comme consommée qu’à l’expiration du délai légal d’un mois après la mise en demeure, sans justification réputée convaincante.
C’est donc à partir de ce moment-là que le cas échéant, la question du privilège de juridiction peut entrer en jeu. Cependant, il n’est pas inutile de l’évoquer dans la perspective d’une mise en demeure d’une des personnes visées à l’article 7 susmentionné, qui serait en exercice de fonctions de ministre. Si une telle éventualité venait à se produire, nous croyons que le procureur serait légalement tenu d’examiner les éléments de justifications qui lui seraient fournis par l’agent en activité pour décider du renvoi ou non devant la HCJ[11]. Aucune des personnes mises en cause pour le moment n’est dans cette situation pour entrer en droit d’exciper l’incompétence de la CREI.
Poussant la réflexion, on peut par ailleurs se demander si cette exception à la spécialité de la CREI, posée à cet article 7 susmentionné était nécessaire, la HCJ paraissant moins démocratique à l’examen de son organisation et de son fonctionnement.
Pour répondre à cette question, il importe de relever avec force, qu’aux termes des dispositions sus mentionnées sur la HCJ, seule la commission d’instruction est composée de magistrats professionnels (article 11). Un autre élément de taille à pointer est que les actes d’instructions de cette commission ne sont susceptibles d’aucun recours[12].
Pour ce qui est de la juridiction de jugement, l’article 100 de la Constitution dispose que « La Haute Cour de Justice est composée de membres élus, en nombre égal, par l’Assemblée nationale et le Sénat[13] après chaque renouvellement de ces assemblées.
Elle est présidée par un magistrat.
L’organisation de la Haute Cour de Justice et la procédure suivie devant elle sont déterminées par une loi organique ».
C’est ainsi que poursuivant cette logique, la loi organique actuelle, 2002-10 du 22 Février 2002, précise que ladite juridiction est composée du premier président de la Cour suprême qui en est le président, et de huit (8) juges titulaires. Elle indique également en son article 8, que c’est l’Assemblée nationale qui élit les huit titulaires ainsi que leurs suppléants en son sein, et ce, non pas à une importante majorité qualifiée, mais à la majorité absolue[14].
De ces dispositions, on peut raisonnablement estimer que la personne poursuivie se trouve plutôt livrée à des « politiques », du reste souvent d’obédience opposée, et donc très promptes à sceller son destin dans le sens qui lui garantirait peu d’objectivité.
En contemplation de toutes ces considérations, on devrait d’ailleurs s’interroger sur la pertinence de cette juridiction pour connaître de l’enrichissement illicite même dirigée envers un ministre en fonction.
Autrement dit, ce qu’on prétend perdre en démocratie, vaut-il ce qu’on prétend gagner par application d’un privilège de juridiction.
Ceci dit, il faut reconnaitre qu’il n’y a pas « de fumée sans feu », « d’effet sans cause ». Autrement dit, la passion qui entoure la question de la charge de la preuve mérite qu’on y prête quelque attention. En plus, il n’est pas difficile de comprendre que, si malgré toutes ces considérations illustratives des limites objectives de la HCJ, certains persistent à vouloir lui faire place dans la répression de l’enrichissement illicite, c’est que même légèrement, il y’ a sans doute place pour une reconstruction de l’incrimination.
II : Reconstruire l’infraction pour légitimer davantage la Cour
Il faut surtout relever que l’enrichissement en soi n’est pas une infraction. S’enrichir est généralement admis dans toute société et ne saurait donc être considéré comme une infraction. Pour que l’on puisse considérer un enrichissement comme une infraction il faut qu’il soit illicite. Le problème est alors dans la détermination de l’illicéité pénale. N’étant pas définie par nos deux lois en cause, il faut bien qu’on essaie d’en cerner les contours par rapport à la raison d’être de l’incrimination et de la Cour chargée de la réprimer.
Pour ce faire, certaines législations (Mali) ont recouru à des actes eux-mêmes illicites à l’origine de l’enrichissement tels que vol, escroquerie, abus de confiance, corruption, etc. ; ce qui revient à démontrer d’abord la présence de cedit acte illicite. D’autres (Sénégal) ont estimé que cette démarche enlève tout intérêt à la création d’une incrimination nouvelle puisque l’on se retrouve dans l’obligation de prouver une infraction qui existe déjà dans le code pénal. Ainsi ces dernières ont choisi de définir l’infraction de façon autonome, en privilégiant des impératifs sociétaux. L’illicéité consisterait donc, pour la personne poursuivie, d’être dans l’impossibilité de prouver que la valeur de sa fortune correspond avec le total de ses revenus légaux.
Cette approche qui n’est pas propre au Sénégal a suscité l’inquiétude de nombreux juristes et défenseurs des droits de l’Homme, pour lesquels une telle proposition est contraire au principe de présomption d’innocence. On se rend compte donc, que ce sont les termes de la définition de l’infraction même, qui porteraient les germes (A) de la querelle faite à la juridiction chargée de la réprimer. En les revisitant en vue d’une meilleure intelligibilité, la CREI, qui dans le contexte socio-économique actuel constitue une nécessité existentielle, n’en sera que sauve (B).
A : Le prétendu « vers », serait dans le « fruit » enrichissement illicite.
En plus de ses éléments spécifiques, toute infraction renferme au moins trois éléments constitutifs : l’élément légal qui requiert que les faits soient incriminés par un texte, l’élément matériel (description précise du comportement punissable), et l’élément moral (une intention coupable dans le comportement punissable). Si le dernier est souvent recherché dans les circonstances qui entourent un fait incriminé, les deux premiers par contre, doivent clairement être définis dans la consécration écrite. Tel ne semble pas être le cas pour le délit d’enrichissement illicite.
Pour rappel et complétant les dispositions de l’article 163 du code pénal, l’article 163 bis nouveau dispose en effet en son alinéa 2, que « le délit d’enrichissement illicite est constitué lorsque, sur simple mise en demeure, une des personnes désignées ci-dessus se trouve dans l’impossibilité de justifier de l’origine licite des ressources qui lui permettent d’être en possession d’un patrimoine, ou de mener un train de vie sans rapport avec ses revenus légaux… ».
En ce qui la concerne, la Convention de l’Union Africaine sur la Prévention et la Lutte contre la Corruption (Convention de Maputo, Mozambique, du 11 Juillet 2003), en son article 1, définit l’Enrichissement illicite comme « l’augmentation substantielle des biens d’un agent public ou de toute autre personne que celui-ci ne peut justifier au regard de ses revenus »[15].
En préconisant elle aussi l’incrimination de l’enrichissement illicite en son article 20, la convention des Nations Unies contre la corruption (2003 Mérida au Mexique, entrée en vigueur en 2005), s’est exercée à une définition pas plus explicite : « Sous réserve de sa constitution et des principes fondamentaux de son système juridique, chaque État Partie envisage d’adopter les mesures législatives et autres nécessaires pour conférer le caractère d’infraction pénale … à l’enrichissement illicite, c’est-à-dire une augmentation substantielle du patrimoine d’un agent public que celui-ci ne peut raisonnablement justifier par rapport à ses revenus légitimes».
Il faut reconnaitre qu’à travers toutes ces consécrations, il est plutôt envisagé la sanction d’un soupçon dont la personne en cause n’est pas en mesure de lever. Il se trouve qu’aussi bien dans la définition sénégalaise que dans celles de l’Union Africaine et des Nations unies, les termes sont à n’en douter, très généraux. Concrètement cela consiste à sanctionner les personnes incapables de justifier la détention de biens ou un train de vie qui ne semblent pas en rapport avec leurs revenus légitimes.
En s’en tenant à la textualité, autrement dit à la lettre habituelle de l’incrimination, il devient légitime de se poser la question de la conformité de l’infraction d’enrichissement illicite au principe fondamental de droit pénal qu’est la légalité des délits et des peines, conçu comme un rempart contre l’arbitraire. Ce principe interdit au juge de condamner pour un comportement non expressément prohibé par la loi pénale et/ou de prononcer une sanction plus élevée que celle prévue. Pour ne pas vidé ledit principe de son sens, l’infraction prévue doit être présentée avec une précision suffisante, quant à l’intention requise chez l’auteur, afin d’éviter de viser un nombre élevé de comportements différents. L’exemple type de ce genre de dérive est le fameux délit d’« offense au Président de la République des articles 254 et 248 du Code pénal qui sanctionne en termes très vagues, une notion plus que délicate à manier[16].
Sous le même prisme, on peut entrevoir également une entorse au principe fondamental de la présomption d’innocence qui, comme le principe de légalité des délits et des peines a un caractère universel. Au pénal, il impose que l’accusation prouve la vérité de ses prétentions. Il faut reconnaitre qu’il a ici une force particulière en ce sens que le procès pénal « oppose la société, représentée par le ministère public, à la personne poursuivie ; l’une des parties, le ministère public, est armée des pouvoirs que lui fournit la puissance étatique, alors que l’autre est un simple particulier réduit à ses seules possibilités[17]». Cette inégalité de force explique et justifie la présomption d’innocence et son importance en procédure.
Ces arguments sont sans doute pertinents. Mais les droits y défendus ne semblent pas remis en cause dans le cadre de l’infraction d’enrichissement illicite. D’une part l’intention attendue de l’auteur est bien explicité dans la formulation de l’incrimination. Il n’est pas difficile d’estimer les revenus légaux des personnes visées et c’est au parquet de démontrer la propriété de tous les biens qu’il considérera comme appartenir au prévenu avant que celui-ci ne puisse être tenu d’en justifier la licéité. D’autre part, la présomption d’innocence reste sauve tant que la preuve de la propriété des biens en cause n’est pas faite, les revenus légaux objectivement estimés, l’absence de justification établie aussi, en somme tant qu’il n’en aura pas été jugé ainsi.
Mais il faut reconnaître qu’on est en matière pénal, et le ministère public a une position prééminente et bénéficie de droits beaucoup plus étendus que le prévenu, pendant tout le déroulement de la procédure. Il ne serait donc pas vain de rechercher et d’imprimer à l’incrimination un peu plus d’action de la part du parquet et de la partie civile. Autrement dit, il est possibilité d’introduire une dose de procédés illustratifs d’illicéité dans l’acquisition des biens constitutifs de patrimoine, ou justificatifs de train de vie exorbitant, pour rendre l’infraction plus « digeste » devant l’opinion publique, plus intelligible.
Pour ce faire, il importe de commencer par définir l’illicéité. Elle pourrait s’entendre par exemple comme tout acte ou attitude qui lèse un droit individuel absolu (vie, intégrité corporelle, propriété, honneur), ou qui contrevient à une norme de comportement destinée à protéger la société, laquelle norme ne devant pas être tirée forcément des seules dispositions juridiques[18].
Après quoi, et sans être exhaustif, on peut s’exercer aussi à une énumération d’actes ou de comportements qui seraient les moyens illicites ayant procuré le patrimoine ou le train de vie en cause, et que l’accusation serait tenue de démontrer à la barre.
L’enrichissement illicite se définirait ainsi comme toute acquisition de biens par une infraction (vol, corruption, concussion, extorsion de fonds, trafic d’influence, fraudes économiques ou fiscales, perception de commission ou tout autre moyen analogue), ou par toute libéralité et montage financier ou commercial obtenue ou facilitée par la participation à l’exercice du service public, ou sa proximité[19].
Les insuffisances conceptuelles de l’incrimination relevées plus haut déteignent conséquemment sur la procédure et l’instance devant la CREI, et on conduit certains acteurs à en soutenir la suppression ; ce qui semble ressortir d’une analyse superficielle et tendancieuse de la substance même de l’enrichissement illicite. Mais la reconnaissance des limites de l’incrimination, ainsi que leur prise en charge par des spécialistes en matière de définition de politique criminelle, légitimerons davantage la Cour.
B : Réformer et non supprimer la CREI[20]
Nous avons tenté de démontrer que quoiqu’on puisse dire de la CREI, les précisions qui restent à apporter au libellé de l’incrimination d’enrichissement illicite, constituent le premier pas vers une appropriation plus large de cette juridiction. Mais d’évidence, il y a d’ores et déjà des corrections à appliquer à celle-ci.
Il faut d’abord revoir la question de la détermination des enrichis ou des enrichissements paraissant illicites, qui à coup sûr, comporte des difficultés et pas des moindres. Il en est de même de la mesure desdits enrichissements.
Si certains se plaisent à étaler leur fortune, d’autres plus prudents préfèrent la cacher et souvent loin du pays, par des procédés très complexes. Cependant les moyens de détection des fortunes bizarres en vue du déclenchement de poursuites[21]sont souvent sommaires, et quelques fois sans objectivité. On se réfère par exemple à l’ostentation et à la dénonciation (individu, banques, collaborateurs étatiques-coopération-), aux suppositions médiatiques.
C’est pourquoi les investigations et autres moyens de détection de patrimoine déjà institués doivent être utilisés dans le sens d’une détermination plus efficace et juste.
L’institution des déclarations de patrimoine (à la prise de fonction mais aussi à la cessation) des personnes concernées[22]en est un. C’est aussi le cas du blanchiment de capitaux[23], qui peut être intéressant comme relai, relativement à la surveillance des mouvements de fonds qu’il implique.
Toujours dans la même perspective, on peut mieux exploiter les déclarations de soupçons auxquelles la loi assujettit bon nombre de personnes[24]qui, en conséquence, sont tenues de recueillir tous les éléments d’information permettant d’identifier leur clientèle habituelle ou occasionnelle et doivent transmettre, en cas d’opérations douteuses une «déclaration de soupçons» à la Cellule Nationale de Traitement des Informations Financières (CENTIF). Celle-ci a pour mission de recevoir, d’analyser et de traiter les renseignements propres à établir l’origine des transactions ou la nature des opérations faisant l’objet de déclarations de soupçon. Ce faisant, on s’attèlera au renforcement de l’autonomie de décision de cet organe en choisissant les membres par une mise en compétition, et en le dotant d’un pouvoir d’autosaisine en cas de découverte de fortunes colossales rapidement constituées. Un lien obligatoire sera alors créé entre elle et le parquet spécial de la CREI.
Par ailleurs et au regard de la technicité de l’infraction, le délai d’un mois imparti par la loi semble bien court pour rassembler les preuves de l’origine licite de son patrimoine et de son train de vie, donc des présumés biens qui les caractérisent le cas échéant. Le temps impartis pourrait être doublé par exemple.
Du point de vue procédural aussi, la centralité du parquet dans les poursuites, et son exclusivité de compétences dans leur déclenchement, ainsi que dans la conduite de l’enquête préliminaire, doivent être tempérées. A défaut de lui greffer une chambre préliminaire indépendante à l’instar du Statut de Rome du 17 juillet 1998 instituant la Cour Pénale Internationale (CPI)[25], comme l’a suggéré le Pr Mactar Kamara, afin de partager ces compétences, on doit laisser au moins à l’instruction le pouvoir d’émission de mandats de dépôt ou d’arrêt.
Il faut aussi s’intéresser à quelques maladresses rédactionnelles et autres discriminations et violation de principes majeurs sur lesquelles il nécessite des corrections.
C’est le cas par exemple de la question des voies de recours, qui doit également être revue dans une perspective d’équité. Notons cependant qu’en matière judiciaire l’appel n’est pas toujours pertinent. C’est pourquoi et compte tenu de l’importance minime de certaines affaires, l’appel est exclu au profit du recours direct en cassation. D’autres considérations d’ordre processuel ont conduit aussi à ne pas concevoir l’appel des décisions de certains organes juridictionnels ou administratives[26]. Toutefois, et dès l’instant qu’elle est consacrée, toute voie de recours juridictionnel doit profiter à toutes les parties. Il est une iniquité flagrante que de consacrer dans une procédure pénale surtout, la possibilité pour une partie (l’accusation) d’une voie de recours tel que l’appel, et d’en priver une autre (la défense), ce qui est le cas en notre espèce[27]. Or, pour répondre aux exigences d’un procès équitable, l’accusation et la défense, égales parties au procès, doivent être traitées sur un pied d’égalité à tous les stades de la procédure.
Relevons maintenant la question de la mise en demeure, élément constitutif spécial de l’infraction au regard de la loi du 10 juillet 1981 instituant la CREI qui dispose très clairement que l’instruction du dossier par la commission d’instruction « ne peut excéder six mois » et qu’au terme de ce délai, la Commission d’instruction n’a d’autre alternative que de rendre un arrêt de non-lieu ou un arrêt de renvoi devant la CREI. Mais on a assisté à une seconde mise en demeure, alors que l’instruction était encore en cours. Dans la perspective d’une réforme, il serait judicieux à ce stade, d’instituer formellement un réquisitoire supplétif en cas de découverte de faits nouveaux, situation qui n’est susceptible que de modifier le cas échéant la valeur finale du patrimoine, et non de constituer l’infraction qui est déjà supposée exister. En effet, il aura déjà été arrêté par le parquet qu’il y avait suffisamment d’indices graves et concordants de nature à motiver l’inculpation de l’intéressé[28].
Une dernière maladresse conceptionnelle est l’obligation faite au pouvoir judiciaire (le Procureur spéciale de la CREI) d’informer le pouvoir exécutif (le Président de la République) de l’issu de la procédure ; une violation manifeste du principe constitutionnel sacro-saint de la séparation des pouvoirs. L’alinéa dernier de l’article 18 de la loi instituant la CREI dispose en effet que : « les arrêts de la Cour sont immédiatement portés à la connaissance du Président de la République par l’intermédiaire du Procureur spécial et du Ministre de la Justice ».
CONCLUSION
« La constitution rapide de fortunes étonnantes, le souci de récupérer les avoirs transférés illégalement à l’étranger par certains responsables politiques, poussent à souhaiter que soit organisées la recherche et la sanction des enrichissements illicites. De plus, sanctionner l’enrichissement illicite est un moyen de lutter non seulement contre la corruption mais aussi contre d’autres formes de criminalité.
Devant une tel impératif, la vivacité des réactions et des passions qui ont entouré la remise en fonction de la CREI, ne doivent pas nous faire oublier que toute incrimination est une mesure de politique criminelle, consistant pour une société donnée, en raison des nécessités d’une époque, à ériger un comportement ou une situation déterminée en infraction, à l’endroit de tous ses citoyens[29]. Ce faisant, l’autorité compétente en définit les éléments constitutifs, d’une manière générale et impersonnelle, ainsi que la peine qui lui est applicable. L’incrimination est donc une expression de volonté générale de la part du peuple qui choisit de se la doter. Sous ce prisme, considérer l’enrichissement illicite comme une aberration juridique, dans un contexte de lutte contre la pauvreté, et d’urgence à combattre tous les actes et comportements préjudiciables à l’économie du pays, relève de l’altérité, de l’ignorance de sa réalité de référence. Cette réalité est encore au Sénégal ce qu’en avait déjà dit le peuple : la nécessité « de faire rechercher et de faire poursuivre avec sévérité, ceux qui ont pu abuser de leur qualité et de leurs fonctions, pour s’enrichir rapidement, en commettant sous des formes diverses, des actes illicites préjudiciables à l’économie nationale [30]».
La confusion est venue de ce que certains ont pris une expression de volonté générale, de volonté du législateur comme une injustice, qui serait alors faite à soi même. Mais peut-on être injuste envers soi-même quand l’injustice suppose la connaissance de cause, c’est-à-dire un choix ? La réponse est décidément négative. Même dans un état d’intempérance, on ne peut être injuste envers soi même. Dans la morale aristotélicienne, « Ce qui est conforme aux lois et à l’égalité est juste: ce qui y est contraire est injuste. L’homme injuste est avide des biens de toute espèce, plus qu’il n’a droit d’en obtenir; en fait de maux ou de peines, au contraire, il veut toujours en avoir moins que les autres[31]».
On peut aussi pertinemment se demander s’il est possible de parler d’inversement de la charge de la preuve à l’égard de la loi elle-même. Je crois que même dans l’affirmative, et pour un contexte et une époque bien donnés, un peuple peut s’imposer de mettre la charge de la preuve à la partie qui est censée la détenir. Quand il est démontré qu’une personne est propriétaire d’un bien quelconque, celle-ci est mieux placée que quiconque pour en établir la légitimité de son acquisition. A défaut, la déduction d’illicéité devient à son tour légitime. Qui plus est, si la preuve de la licéité doit être tenue secrète, on peut instituer qu’elle puisse être reçue à huit clos.
Le peuple doit d’ailleurs poursuivre sa logique en criminalisant la gangrène que constitue l’enrichissement illicite du fait de sa gravité et de son ampleur.
Comprendre mieux l’enjeu c’est se rappeler que lorsque l’Etat chargé par le peuple de gérer l’intérêt général de manière efficiente appelle un citoyen à cette noble mission, et avant que celui-ci ne consente à y participer, il lui dit : quand vous prendrez service, souvenez vous à tout moment, qu’éclairé par la conscience de mes véritables intérêts et par expérience sur mes limites actuelles à bien les assurer, j’ai créé une infraction proportionnée à la situation : l’enrichissement illicite. Et en raison de sa technicité, j’ai spécifié aussi sa répression. Cette incrimination requiert pendant que vous serez en activité, comme quand vous aurez cessé toute activité, que je vous observe et vous contrôle. Si je m’aperçois que votre patrimoine ou votre train de vie semble au-delà de ce que vous serez en droit de posséder, je m’oblige à vous demander de me prouver que ce n’est point par des procédés illicites. Mais cette responsabilité sera compensée et récompensée. Eh bien, vous serez rémunéré à sa hauteur, et vous serez aussi protégé. Le citoyen hésite et dit : j’accepte.
Pourquoi donc, quand l’heure des comptes arrive il crie : c’est injuste ?
Rappelons aussi que ce n’est pas la première fois que le peuple présume légalement la culpabilité de ses citoyens en se fondant sur leur comportement foncièrement douteux et ce, sans même que l’intéressé accepte de prendre une charge publique. C’est le cas du proxénétisme ou du trafic de stupéfiant[32]. A fortiori devons nous reconnaitre, quand on est dans la chose publique et dans un contexte de lutte contre la pauvreté qui appelle un combat acharné contre tout comportement contraire à l’ordre public économique.
C’est en raison de cette nécessité existentielle que bien d’autres pays et pas des moindres en matière de démocratie, ont embarqué avec nous dans ce train de « l’enrichissement illicite »[33].
Sénégalaises et sénégalais, gouvernants et gouvernés ;
Que ne vous soit jamais « l’enrichissement illicite » ôté;
Quand enrichissement illicite disparaitra ;
Continueront à grand’ honte gouvernance et partenariats. .
Mais attention ! En lieu et place d’un outil de lutte contre la corruption et de préservation des deniers publics, l’enrichissement illicite ne saurait être un instrument sélectif de règlement de compte. Quelque soit la réforme qui pourrait lui être imprimée, il faut aussi que le peuple soit le gardien de son propre outil, car celui-ci n’est efficace que dans le cadre d’une gouvernance courageuse, démocratique et civilisée. Et la vigilance n’a pas de répit.
Moustapha DIOUF, magistrat, Docteur en droit public
tafadiouf1@yahoo.fr
[1] Et le phénomène est d’une telle ampleur que même au niveau international, la convention des Nations unies contre la corruption, vingt deux ans après le Sénégal, a préconisé l’incrimination de l’enrichissement illicite. L’article 20 de cette convention dispose en effet que : « Sous réserve de sa constitution et des principes fondamentaux de son système juridique, chaque État Partie envisage d’adopter les mesures législatives et autres nécessaires pour conférer le caractère d’infraction pénale, lorsque l’acte a été commis intentionnellement, à l’enrichissement illicite, c’est-à-dire une augmentation substantielle du patrimoine d’un agent public que celui-ci ne peut raisonnablement justifier par rapport à ses revenus légitimes ».
Dans le cadre de sa lutte contre la corruption, l’Union Africaine (Convention de Maputo 2003), engage elle aussi les Etats parties à adopter les mesures nécessaires pour définir l’enrichissement illicite comme infraction, considérée du reste, « comme un acte de corruption et infractions assimilées » (article 8 de la Convention de l’Union Africaine sur la Prévention et la Lutte contre la Corruption (CPLC) signée à Maputo (Mozambique) le 11 Juillet 2003)
[2] L’article 56 de la Constitution d’alors, celle de 63 disposait en effet que « la loi fixe les règles concernant…la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables, la procédure pénale, l’amnistie, la création de nouveaux ordres de juridiction et le statut des magistrats ». En son article 67, l’actuelle Constitution a repris les mêmes dispositions.
[3] La compétence de la CREI s’étend aussi à tout délit de corruption ou de recel connexe à l’enrichissement illicite (article 1)
[4] Il s’agit de « tout titulaire d’un mandat électif ou d’une fonction gouvernementale, de tout magistrat, agent civil ou militaire de l’Etat, ou d’une collectivité publique, d’une personne revêtue d’un mandat public, d’un dépositaire public ou d’un officier public ou ministériel, d’un dirigeant ou d’un agent public de toute nature des établissements publics, des sociétés nationales, des sociétés d’économie mixte soumises de plein droit au contrôle de l’Etat, des personnes morales de droit privé bénéficiaires du concours de la puissance publique, des ordres professionnels, des organismes privés chargés de l’exécution d’un service public, des associations ou fondations reconnues d’utilité publique ».
[5]163 bis nouveau, alinéa 2 du code pénal consacré par l’article 3 de la loi 81-53 portant répression de l’enrichissement illicite.
[6] Décret n°2012-502 du 10 mai2012 portant nomination des membres du Siège, du Parquet et de la Commission d’instruction de la CREI
[7] Pr Mactar Kamara, « Cour de répression de l’enrichissement illicite au Sénégal. Libres propos sur une juridiction controversée », 1er Septembre 2014.
Il importe de rappeler que toute infraction est soumise au principe de l’opportunité des poursuites qui permet entre autres au parquet, en situation d’impossibilité matérielle de poursuivre tout le monde à la fois, d’apprécier, par quel personne concernée il faut commencer.
[8] Assertion réitérée à l’occasion de l’entrée en vigueur de la loi 2014-26 du 03 Novembre 2014 portant nouvelle organisation judiciaire du Sénégal.
[9] Pourtant cette loi n’avait pas non plus cité la Haute Cour de Justice, encore moins la Cour de Discipline Budgétaire d’alors, ou la Cour de Sureté de l’Etat, qui n’en demeuraient pas moins exister, et existent encore pour la plupart.
En outre, et postérieurement à la consécration de cette loi générale de 84, sur propositions du Ministre de la Justice d’alors Me Doudou Ndoye, il a aussi été procédé à la nomination du remplaçant du premier Président après son décès, ainsi que d’un substitut du Procureur spécial.
Il se trouve aussi que quand la loi générale entend abroger une loi spéciale, elle a coutume de citer celle-ci nommément, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Et si à l’appui de la prétendue abrogation vous invoquer aussi l’expression « toutes dispositions contraires », on vous demandera d’établir en quoi l’existence de la CREI serait-elle contraire à la loi générale nouvelle, sans que les autres juridictions spéciales antérieures dont nous avons relevé la survivance ne le soient.
[10] Pour rappel, la CREI a été créée uniquement pour juger de l’enrichissement illicite et le cas échéant de la corruption et du recel en situation de connexité. De ce strict point de vue légal, la CREI est donc une juridiction spéciale.
Les juridictions spéciales ont un caractère pérenne et se voient confiées par des textes spéciaux des compétences strictement délimitées. Ainsi et à l’inverse des juridictions de droit commun, elles ne peuvent juger que des litiges qui leur sont expressément attribués par ces textes. Sans péjoration aucune, on les appelle aussi juridictions d’exception.
Cependant et au sens strict et commun du terme, la notion de « juridiction d’exception » est utilisé afin d’indiquer le caractère dérogatoire au droit de certaines juridictions à caractère politique. C’est le cas des tribunaux de l’Inquisition (Sainte Inquisition), juridiction instituée par l’Église catholique au début du xiiie siècle dans divers pays d’Europe pour lutter contre les hérésies et la sorcellerie avec l’appui du bras séculier ou des sections spécialisées mises en place en France pendant la seconde guerre mondiale par le Régime de VICHY, ou encore des tribunaux militaires, comme durant la guerre d’Algérie ou à Guantanamo. C’est sous cette acception que les débateurs sur l’affaire Karim Wade spéculaient sur la notion. Il faut retenir aussi que ce n’est pas le fait de n’avoir guère été mentionnée dans l’ex loi n° 84-19 du 2 février 1984 relative à l’organisation judiciaire du Sénégal qui fait de la CREI une juridiction d’exception, sous ce dernier sens. Comme juridiction spéciale, elle n’existe que par son texte spécial.
[11] Mais le cas échéant, il faudrait aussi emprunter une précision qui a été faite à ce sujet et selon laquelle « les infractions commises par les ministres dans l’exercice de leurs fonctions sont celles qui ont un rapport direct avec la conduite des affaires de l’Etat, à l’exclusion des actes commis à l’occasion de l’exercice des fonctions ministérielles » (crime 6 Février 1997, B.C n° 48 ; crime 26 Juin 1995, B.C n°235 ; crime 16 Février 2000, B.C n° 72)
[12] Article 23 de la loi organique, « Dans la mesure où il n’y est pas dérogé par la présente loi, la Commission d’Instruction procède à tous les actes qu’elle juge utiles à la manifestation de la vérité selon les règles édictées par le Code de Procédure pénale et spécialement, celles qui assurent les droits de la défense. Les actes de la Commission d’Instruction ne sont susceptibles d’aucun recours… »
[13] Avec la suppression du Sénat, disons de « membres élus par l’Assemblée nationale » tout court.
[14] Article premier : « La Haute Cour de Justice se compose du Premier Président de la Cour de Cassation, Président, et de huit juges titulaires.
Elle comprend en outre, un Président suppléant, le Président de la Chambre pénale de la Cour de Cassation et huit juges suppléants, appelés à siéger dans les conditions prévues à l’article 8 ci-dessous.
Article 2 : Après chaque renouvellement et dans le mois qui suit sa première réunion, l’Assemblée nationale élit huit juges titulaires et huit juges suppléants en son sein. Le scrutin est secret.
L’élection est acquise à la majorité absolue des membres composant l’Assemblée nationale… »
[15] Plus loin, à l’article 8, la convention précise que :
« Sous réserve des dispositions de leurs lois nationales, les Etats parties s’engagent à adopter les mesures nécessaires pour définir l’enrichissement illicite comme infraction, en vertu de leurs lois nationales »
Pour les Etats parties ayant défini l’enrichissement illicite comme une infraction, en vertu de leurs lois nationales, une telle infraction est considérée comme un acte de corruption et infractions assimilées, aux fins des dispositions de la présente Convention.
Tout Etat partie qui n’a pas défini l’enrichissement illicite comme une infraction, apporte, si ses lois le permettent, l’assistance et la coopération nécessaires à l’Etat requérant en ce qui concerne cette infraction, tel que prévu dans la présente Convention ».
[16] Selon ces articles, « l’offense au Président de la République par la radiodiffusion, la télévision, le cinéma, la presse, l’affichage, l’exposition, la distribution d’écrits ou d’images de toutes natures, les discours, chants, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, et généralement tout procédé technique destiné à atteindre le public est punie d’un emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amende de 1 00.000 à 1.500.000 francs ou de l’une de ces deux peines seulement ». Dans un contexte où le Président de la République est en même temps chef de parti et descend en conséquence dans « l’arène », cette infraction semble à circonscrire et à mettre en œuvre.
[17] Voir, L’enrichissement illicite, rapport de Mohamed LOUKILI et Michèle Zirari Devif Professeurs à la Faculté des Sciences Juridiques Économiques et Sociales Agdal – Rabat, p. 10
[18] En faisant appel à d’autres normativités (sociale, morale), il importera de se fonder sur des critères pertinents, eux-mêmes référencés à des situations objectives. Voir en ce sens Cengiz KOÇHISARLIOGLU, « L’intensité des critères permettant de déterminer l’illicéité », Ankara Law Review, Vol 1, N°1, 2004, pp.19-28
[19] Il a été soutenu que l’utilisation d’autres infractions pour définir l’enrichissement illicite manque de pertinence dès lors que cela revient à enlever tout intérêt à la création d’une incrimination nouvelle, puisque l’on se retrouve dans l’obligation de prouver une infraction qui existe déjà dans le code pénal. Mais il faut reconnaitre que ce ne serait pas propre à cette infraction. On peut rappeler par exemple que l’usage de faux requiert à priori la preuve d’un faux qui est déjà une infraction.
Les criminologues sont appelés ici à apporter toute leur expertise dans la recherche d’une formulation plus accessible, mais qui éviterait de nous installer à nouveau dans une situation où les comportements économiques les plus abjectes échapperaient à la justice malgré leur flagrance.
[20] C’est en ce sens que semble s’inscrire le gouvernement sénégalais à croire les déclarations de certaines autorités et pas des moindres : le chef de l’Etat, à diverses occasions (ouverture des Cours et tribunaux, ITW accordée à I-télé), l’ancienne Premier ministre Aminata Touré, et l’actuel Ministre de la Justice Sidiki Kaba, récemment devant les députés lors du vote du budget 2016 de son ministère.
[21] Aux termes de l’article 5 de la loi 81-54, « saisi d’une dénonciation, d’une plainte ou par toute autre voie prévue par la législation en vigueur, ou agissant d’office, le Procureur spécial fait procéder à une enquête préliminaire en adressant des instructions à des fonctionnaires de la hiérarchie A ou des officiers de police judiciaire, procédant soit à titre individuel, soit dans le cadre de brigades spécialisées, dans des conditions précisées par décret.
Le Procureur spécial est informé de toute poursuite engagée auprès des juridictions de droit commun pour délit contre les deniers publics, concussion et corruption ».
[22] Voir la loi n° 2014-17 relative à la déclaration de patrimoine et son décret d’application 2014-1463. A la cessation de fonction, la déclaration doit être étendue aux ascendants et descendants, ainsi qu’aux conjoints. L’organisme chargé de recevoir les déclarations de patrimoine, (Office National de la lutte contre la Fraude et la Corruption, OFNAC) doit pouvoir saisir aussi le Procureur spécial de la CREI (révision de l’article 32 du code de procédure pénal.
[23] Un phénomène tellement plus sournois que face à certaines fortunes, il devrait aussi être présumé comme infraction à l’instar de l’enrichissement illicite et du proxénétisme.
[24] les personnes physiques et morales ci-après sont assujetties à l’obligation de déclarer à la CENTIF les actes dont elles ont connaissance et qui pourraient, selon leur appréciation, concerner le blanchiment de capitaux ou le financement d’activités terroristes : a) Pour le secteur financier :
– le Trésor public ;
– la BCEAO pour ses opérations de banque ;
– les banques ;
– les autres organismes financiers (les Services financiers postaux, la Caisse de Dépôts et Consignations, les Sociétés d’assurance et de réassurance, les Courtiers d’assurance et de réassurance, les Institutions de microfinance, la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières, le Dépositaire Central/Banque de Règlement, les Sociétés de Gestion et d’Intermédiation, les Sociétés de gestion de patrimoine, les Organismes de placement collectif en valeurs mobilières, les Entreprises d’investissement à capital fixe, les Agréés de change manuel, etc.) ; b) Pour le secteur non financier
– les membres des professions juridiques indépendantes (avocats, notaires, etc.), lorsqu’ils représentent ou assistent des clients en dehors de toute procédure judiciaire ;
– les apporteurs d’affaires aux organismes financiers ;
– les commissaires aux comptes ;
– les agents immobiliers ;
– les marchands d’articles de grande valeur (objets d’art, pierres et métaux précieux) ; – les transporteurs de fonds;
– les propriétaires, directeurs et gérants de casinos et d’établissements de jeux ; – les agences de voyage ;
– les organisations non gouvernementales ; etc.
Les acteurs du secteur non financier sont regroupés sous l’appellation générique « Entreprises et Professions Non Financières Désignées » (EPNFD
[25] En effet, et au regard de l’importance des dossiers, mais aussi pour avoir compris que le droit de ne pas être arbitrairement détenu, ainsi que le droit à la liberté d’aller et de venir, sont des droits trop essentiels et trop substantiels pour être laissés à une seule personne, fusse-t-elle une autorité judiciaire, les rédacteurs du Statut de Rome ont jugé nécessaire de tempérer les pouvoirs du Procureur de la CPI en matière d’émission de mandats d’arrêt ou de citations à comparaître. Le cas échéant, celui-ci a l’obligation de présenter devant la Chambre préliminaire une requête motivée, par laquelle il sollicite de celle-ci la délivrance d’un mandat d’arrêt ou d’une citation à comparaître.
[26] Les arrêts de la HCJ par exemple ne sont pas susceptibles d’appel. Ayant obtenu le droit de ne plus être jugé par le tribunal régional (maintenant tribunal de grande instance), les avocats sénégalais sont désormais justiciables devant la Cour d’appel elle-même. En conséquence, les arrêts en cette compétence ne sont donc plus susceptibles que de cassation. Les décisions du Conseil supérieur de la magistrature statuant en matière disciplinaire ne sont point susceptibles d’appel devant aucune institution, et même pas de cassation. Le seul recours dont elles peuvent faire l’objet est la grâce présidentielle.
[27] Pour rappel, si la loi instituant la CREI dispose que « les décisions de la Commission d’instruction ne sont susceptibles d’aucun recours », elle ajoute ensuite que « l’arrêt de non-lieu peut être frappé d’appel devant la Cour de répression de l’enrichissement illicite par le Procureur spécial[27] ». A contrario, l’arrêt de renvoi devant la Cour de répression de l’enrichissement illicite ne peut pas faire l’objet d’appel de la part du prévenu et de ses conseils.
[28] Par contre une autre mise en demeure à l’endroit du prévenu serait concevable en cas de découverte de faits nouveaux alors que l’instruction est clôturée et la juridiction de jugement saisie.
[29] C’est pour cela d’ailleurs que « les législations pénales sont soumises à des variations dans le temps et dans l’espace » rappellera Souleymane Ndiaye, docteur en Droit et Sciences criminelles ;
[30] Exposé des motifs de la loi 81-53
[31] Voir « La morale et la politique d’Aristote », traduit du grec par M TUROT, Paris, Firmin DIDOT, Père et Fils, Librairies, Rue Jacob, N°24
[32] Est en effet proxénète aux termes de l’article 323-4 du code pénal sénégalais, une personne « qui , étant en relations habituelles avec une ou plusieurs personnes se livrant à la prostitution, ne peut justifier de ressources correspondant à son train de vie ». Une disposition semblable existe aussi en France en matière de trafic de stupéfiants (art. 225-6, C. pén.).
[33] C’est le cas de par exemple du Mali (loi 82639/AN/RM du 26 Mars 82, du Niger (ordonnance n° 92-024 du 18 juin 1992), de l’Argentine (article 264 de son code pénal de 1964), de l’Algérie (article 37 de la loi06-01 du 20 Févier 2006,de la France (article 321-6, 225-6, 225-12-6,450-2-1), du Canada ou l’enrichissement illicite est considéré comme élément de preuve, de l’Irlande, du Maroc (498-7du code pénal), etc. On cite aussi l’Irlande (voir L’enrichissement illicite, rapport de Mohamed LOUKILI et Michèle Zirari Devif Professeurs à la Faculté des Sciences Juridiques Économiques et Sociales Agdal – Rabat)