Nous soumettons à l’opinion un extrait de la dernière partie d’une étude consacrée au désenclavement interne et externe de la Casamance, le contexte s’y prêtant.
Suite à la décision du gouvernement gambien d’augmenter les tarifs du bac, les transporteurs sénégalais ont décidé un blocus sur la Gambie. Et voilà bientôt trois mois que le blocus des frontières est effectif.
La fermeté adoptée par le gouvernement sénégalais dans la gestion de cette crise est à saluer. C’est une première.
Depuis, différentes autorités et d’anciens hauts fonctionnaires de l’Etat se sont prononcés sur le problème. Nous leur emboîtons le pas en publiant cet article.
Dans une radio de la place, nous avons entendu un ancien ambassadeur du Sénégal à Banjul se prononcer sur le problème. Nous partageons sa position. Alors inspecteur d’académie de Ziguinchor, lui ambassadeur, nous avons eu à collaborer sur la paix en Casamance. Il prône la fermeté, allant jusqu’à rappeler la proposition qui avait été faite au Président Senghor d’annexer la Gambie.
Un ancien ministre des Affaires étrangères gambien disait la même chose que lui lors d’un atelier sur le conflit en Casamance, qui se tenait à Ziguinchor il y a de cela plus de dix ans. Il exigeait la construction du pont sur la Gambie et prônait l’unité des deux pays.
Monsieur Saliou Sambou, un fils de la Casamance, ancien gouverneur et ancien Dagat, approuve le blocus et demande plus de fermeté de la part des autorités sénégalaises.
Un président d’un Groupe parlementaire de notre Assemblée nationale n’est pas passé par quatre chemins pour montrer comment extirper du ventre du Sénégal ce «ténia» de plus en plus gênant. Il propose un vermifuge puissant. Ce qui lui a valu d’être traité de pyromane par un homme politique qui, à la place, ne propose que du réchauffé.
En effet, on ne cesse de nous rabâcher que les populations gambiennes et sénégalaises constituent un même Peuple. Et pendant que les politiques épiloguent sur cette réalité et que les Etats affirment leur souveraineté, les populations continuent de vivre leurs liens séculaires selon des voies séculaires et dans des domaines qui font leur identité commune.
Tout le monde sait que les problèmes entre le Sénégal et la Gambie viennent toujours d’un homme, le Président gambien. Le retard dans la construction du pont n’est dû qu’à ses caprices. Il faut oser le dire. Ceux qui proposent leurs services sont de vrais patriotes, mais nous savons qu’ils vont vers un échec patent.
Le 20 février 2015, au lendemain de la réception officielle des bateaux Aguen et Diambogne au port de Ziguinchor, les deux Premiers ministres du Sénégal et de la Gambie procédaient à la pose de la première pierre du pont. Nous étions témoin oculaire de cette cérémonie, car revenant de Casamance où nous avions pris part à cette cérémonie de réception des deux bateaux.
Alors que les bases du chantier se mettaient en place, une déclaration du Président gambien et tout s’arrête.
Alors, on parle de négociations. Négocier sur quoi ? Avec qui ? Pour dialoguer, il faut être deux et une bonne foi au niveau des deux parties.
Les Sénégalais veulent le pont. Les Gambiens veulent le pont. Les deux peuples veulent le pont. Le peuple de Sénégambie veut le pont.
Le manque de réalisme des autorités sénégalaises et son sens du respect des normes diplomatiques font que le Sénégal a toujours accepté de négocier alors qu’il n’a jamais été en position de faiblesse pour le faire.
Lors du coup d’Etat de Koukoye Samba Sagnang contre Daouda Kaïraba Diawara en 1981, le Sénégal est intervenu militairement avec l’opération Fodé Kaba 1. Grâce à cette intervention, Diawara a été remis au pouvoir.
Résultats de cette intervention ? Un Etat gambien redevenu stable, un Président retrouvant son pouvoir. Pour le Sénégal, une Confédération.
De tous les régimes politiques, la Confédération est le système le plus précaire, car très exigeant dans son fonctionnement. La seule Confédération solide que nous connaissions est la Confédération helvétique en Suisse.
La confédération contient en elle des identités très profondes qui exigent de la part de ceux qui la partagent une certaine hauteur de vue.
Les Cameroun français et anglais ont coexisté de 1922 à 1961. Au moment de leur rapprochement en 1961, ils ont choisi la Fédération. Puis en 1972, ils sont devenus la République Unie du Cameroun avec le Français et l’Anglais comme Langues officielles. En 1995, le Cameroun a adhéré au Commonwealth sans pour autant rejeter la Francophonie.
Cet exemple pouvait inspirer les autorités sénégalaises de l’époque. L’occasion était belle de proposer à Diawara et aux Gambiens une Fédération.
Le Sénégal, avec l’aura diplomatique qu’on lui connaît, aurait facilement réussi à instaurer la Fédération.
Les atouts de cette fédération étaient nombreux. Dans les deux pays vivent les mêmes peuples, les mêmes ethnies.
Par cette composition ethnique de part et d’autre des frontières, la Fédération allait être accueillie avec bonheur par les peuples qui n’ont jamais cessé de se fréquenter, scellant leurs relations séculaires par des mariages.
Les deux langues officielles allaient aussi constituer un atout pour la Fédération. Au Sénégal, on aime l’anglais et ceux qui le maîtrisent en sont fiers et sont admirés. En Gambie, on aime le français. La preuve, les établissements scolaires sénégalais de Gambie sont fréquentés par beaucoup d’enfants de nationalité gambienne. Nous en savons quelque chose pour avoir été inspecteur d’académie de Kaolack, dont dépendent ces établissements.
Beaucoup de Gambiens ayant fréquenté ces écoles ont poursuivi leurs études à l’université de Dakar et sont devenus des professeurs dans les lycées et collèges du Sénégal.
L’intervention de l’Armée sénégalaise en Gambie devait mener à cette fédération. Et aujourd’hui, nous serions sans doute à la phase de la République Unie de la Sénégambie si chère au grand visionnaire qu’était le Président Senghor.
Mais ce fut la Confédération à partir de 1982 avec comme toute réalisation, l’achat de deux bacs, les bacs de la Confédération. Aujourd’hui, ils ont rendu l’âme et le problème qu’ils étaient censés régler est devenu plus brûlant.
Diawara et son peuple ne pouvaient refuser un pont au niveau de Farafégny. Alors, il fallait réaliser ce pont entre 1982 et 1989, année de la dissolution de la Confédération.
Sept ans, chiffre sacré, voilà la durée de la Confédération.
Le Président Abdou Diouf, constatant le manque de résultats de la Confédération, décida d’y mettre fin. En Gambie comme au Sénégal, il y avait unanimité sur cette décision, car on ne voyait pas l’utilité de la chose.
Que de regrets aujourd’hui ! Il fallait sauter sur cette opportunité pour imposer le pont.
Il faut dire que seule la Gambie avait réellement profité de cette Confédération.
Aujourd’hui, le contexte du blocus a changé. Les transporteurs qui sont les principales victimes des humeurs gambiennes ont pris les choses en main. Et c’est en cela que nous sommes en accord parfait avec Monsieur Gora Khouma, secrétaire général du Syndicat national des transporteurs routiers du Sénégal (Snts). Nous ne disons pas comme lui que nous ne voulons pas du pont, mais nous sommes d’accord pour la voie de contournement.
Et nous nous permettons quelques suggestions pour accompagner cette solution.
Il est alors temps de régler ce problème de manière définitive. Le Sénégal n’a qu’à jouer carte sur table. Aller sur la table des négociations avec deux exigences majeures :
- Le retour aux anciens tarifs des bacs ;
- Le démarrage sans délai des travaux du pont dont la première pierre a été posée depuis le 20 février 2015.
Mais tout en négociant :
Maintenir le blocus en boycottant la Transgambienne et en empruntant la voie de contournement pour une durée indéterminée. Tant que les autorités gambiennes n’accepteront pas que les travaux commencent, il faut maintenir le blocus. Et à chaque fois qu’elles feront arrêter les travaux, le boycott sera remis.
La Gambie sait mieux que quiconque le poids du blocus sur son économie. Elle semble oublier ce qui s’est passé en 2005.
Ce boycott doit s’accompagner de certaines mesures et dispositions à prendre par l’Etat du Sénégal.
Une campagne d’explication pour faire comprendre aux populations le bien-fondé de la mesure. Les syndicats des transporteurs seront mis à contribution pour expliquer la mesure. Il s’agira de faire comprendre à tous que c’est la seule mesure qui vaille pour régler de manière définitive le problème du pont sur la Gambie.
Il faut subventionner le prix du carburant : En accord avec les syndicats des transporteurs et le ministère de l’Economie, des Finances et du plan, on étudiera cette question. Cette subvention concernera seulement l’axe Dakar-Kaolack-Tambacounda-Vélingara-Kolda- Ziguinchor.
Il faut renouveler le parc automobile au niveau des transports en commun : Ce périple long de 898 km exige des véhicules en bon état. Il faut alors mettre fin à l’existence de tous ces vieux taxis et cars qui assurent le transport interurbain. Il faut organiser les chauffeurs en Gie capables de prendre à crédit des cars modernes présentant un certain confort : sièges conformes, nombre de places respecté et climatisation pour rendre plus supportable le long voyage.
Dans certains pays de la sous-région, ce sont ce genre de cars qui assurent le trafic interurbain. Pourquoi pas au Sénégal ? Il faut vraiment profiter de ces mesures pour moderniser le parc automobile des transports en commun. Il y va de la sécurité des voyageurs.
Créer une nouvelle voie de contournement : Dans le Pse, l’Etat parle de la création de nouvelles routes et pistes. Dans le cadre de ce programme, nous suggérons la création d’une Nationale 1 bis qui va longer la frontière nord de la Gambie. Cette route que nous appelons ici Nationale 1 bis partirait de Kaffrine et, en suivant la Départementale 608 B, desservirait tout le Mbel Bouk, le Katioth, le Pakala et le Mandak. Plus loin, elle rejoindra la Départementale 607 venue de Koungheul au niveau de Maka Gouye, desservant ainsi le Bambouk. Longeant toujours la frontière, cette route se prolongera par la Départementale 520 venue de Koumpentoum au niveau de Missirah Tiarène, desservant le Niani et le Wouli. Puis, elle retrouvera la Départementale 519 au niveau de Silamé. Cette route sera le prolongement de la nouvelle Nationale 1 bis qui va longer la frontière en traversant beaucoup de localités jusque-là très enclavées. Puis, après avoir rencontré la Départementale 500 venue de Koussanar, elle va se poursuivre vers Netteboulou par la Départementale 515 jusqu’à la Nationale 6 au niveau de Gouloumbou.
Une fois sur la Nationale 6, la Casamance est ouverte au voyageur.
Conclusion
Le moment est vraiment opportun pour régler de manière définitive le problème de l’enclavement de la Casamance. Le gouvernement n’a qu’à penser à ces populations de Casamance qui, depuis des décennies, souffrent des caprices de l’Etat gambien. Plus de sentimentalisme. Il faut s’imposer à la Gambie ; il faut lui imposer notre présence géographique. Les réalités politiques et économiques feront le reste.
Pour avoir vécu les affres de la traversée de la Gambie pendant six bonnes années, nous disons «Oui» au blocus, car comprenant les transporteurs.
Maurice Ndéné WARORE
Ancien Inspecteur d’Académie de la Région de Ziguinchor,
Coordonnateur national de l’Association Culturelle
Aguen-Diambogne