J’ai été stupéfaite de constater à quel point nos compatriotes ont du mal à accéder aux soins les plus élémentaires.
Ma première expérience fut celle que j’ai vécue alors que j’accompagnais ma grand-mère à l’hôpital régional de Saint-Louis. Elle devait se faire consulter par un psychiatre.
Le premier constat est relatif au manque d’infrastructures d’accueil des personnes âgées. Dans les petits couloirs faisant office de salle d’attente, il n’y avait que trois bancs d’environ 5 places. Ma grand-mère, âgée de 85 ans, a des difficultés pour s’asseoir. Atteinte de cécité et de démence, elle ne comprenait pas l’environnement dans lequel elle se trouvait. Il était impossible de lui faire comprendre qu’elle n’avait pas la possibilité de s’allonger, et qu’elle devait rester assise pendant trois heures.
Je ressentais également de la peine pour les autres patients qui étaient contraints de se coucher à même le sol. Le psychiatre que ma mère devait rencontrer serait le seul spécialiste de la région, il est donc quasi impossible de se faire consulter. Pour augmenter leurs chances, les patients doivent se présenter à l’hôpital au plus tard à 7 heures du matin.
Je ressentais la souffrance et la résignation de nos compatriotes qui vivaient cette situation comme une fatalité. J’étais extrêmement en colère et je dévisageais les patients pour voir s’ils ressentaient la même colère que moi. Je n’en avais pas l’impression.
Ma colère était accentuée par le fait que nous étions en pleine campagne du référendum du 20 mars dernier.
Pour moi, il était plus qu’incompréhensible qu’on porte un projet soi-disant novateur en matière de droits et libertés alors qu’au même moment les droits les plus primaires de ma grand-mère, déjà garantis par la constitution, étaient bafoués: droit à la dignité et droit à l’accès aux soins.
Ma seconde expérience est personnelle. Je me suis tordue de douleur auriculaire pendant 4 jours, sans possibilité de consulter un spécialiste, ou simplement un médecin généraliste. Le dimanche dernier, je me suis rendue aux urgences de l’hôpital régional de Saint-Louis en espérant pouvoir me soigner.
J’ai découvert au service des urgences de cet hôpital, que la notion d’urgence différait d’un pays à un autre. J’ai souvent eu des douleurs auriculaires en France, mais j’ai à plusieurs reprises pu me faire soigner aux urgences des différents hôpitaux de Paris.
A Saint-Louis, lorsque j’ai expliqué que j’avais des douleurs auriculaires, mon mal a été immédiatement minimisé. En effet, peu importait que je n’aie pas pu manger ou dormir les 24 heures qui ont précédé. Etant donné que je ne me suis pas rendue aux urgences dans une ambulance, mon cas n’était pas urgent. J’ai subi pas moins de trois interrogatoires avec des infirmiers différents avant que le dernier ne décide, au bout de d’une heure trente d’attente, de m’informer qu’il n’y a personne qui puisse s’occuper de moi. Il n’y a pas de spécialiste aux urgences.
De toute évidence je leur ai demandé s’il y avait une solution à ma douleur. Oui, il y avait une solution: acheter un ticket de consultation à 5000 francs pour me faire prescrire du paracétamol et revenir le mardi, le lundi étant férié, acheter un autre ticket à 5000 francs pour espérer rencontrer un spécialiste.
J’ai essayé d’aller à une clinique connue de Saint-Louis, là encore impossible de voir un spécialiste. Il faut appeler le mardi et prendre rendez-vous. Peu importe ma souffrance, les risques d’infection ou encore la baisse de la tension artérielle compte tenu du fait que je n’arrive pas à desserrer les mâchoires pour avaler une bouchée, il faut que je prenne mon mal en patience.
Des antalgiques, il m’en fallait pour calmer un peu ma douleur. Je devais au préalable localiser la pharmacie qui assurait la garde. Du Samedi à 13h au lundi minuit, il n’y a qu’une pharmacie qui assurait la garde à Saint-Louis, du moins à ma connaissance. J’ai retrouvé mes réflexes du 21e siècle en recherchant sur google cette fameuse pharmacie. Aucune information à ce propos. C’est finalement de bouche à oreille que j’ai pu la localiser. La poisse! Elle n’a pas les médicaments que j’avais l’habitude de prendre à Paris quand mes problèmes auriculaires se manifestaient.
On est enfin mardi, le jour tant attendu pour enfin me faire soigner par seigneur ORL. Il faut encore patienter! Faire 45 minutes de file indienne pour avoir un ticket, une heure de temps pour rencontrer une secrétaire qui me propose un rendez-vous. Je lui ai fait part de ma souffrance, de ma douleur qui dure depuis trois jours. Elle m’invite finalement à sortir et à patienter. Une fois que les personnes disposant d’un rendez-vous auront été inscrites, elle rappellera les autres pour faire le « tri »; c’est son expression.
Après une demi-heure d’attente, c’est ma seconde audience avec dame secrétaire accompagnée cette fois-ci d’une infirmière. On me propose de revenir le 23 juin. J’insiste bien sûr sur ce qu’il y a lieu de faire d’ici là, pour calmer cette douleur atroce. On m’a prescrit de l’Efferalgan pour me faire patienter jusqu’au mois de juin. Il n’y a rien d’autre à faire puisque les personnes qui seront consultées ce mardi sont déjà venues plusieurs fois sans avoir eu la chance de rencontrer le médecin. Aujourd’hui c’est leur jour de grâce alors moi novice, je n’ai qu’à faire au minimum un aller-retour pour espérer un premier acte médical. Peu importe si mes oreilles sont infectées ou si je vais être atteinte de surdité, il faut que je revienne au mois de juin. J’ai négocié sec pour pouvoir revenir le 14 juin et non le 23 juin.
Pendant l’attente, j’ai essayé de discuter avec les autres patients pour savoir comment fonctionne ce service habituellement. Je me souviens de cette dame venue de Richard Toll avec sa fille de 4 ans pour prendre un rendez-vous post acte chirurgical à qui il a été demandé de revenir jeudi prochain. La raison? Elle est venue trop tard aujourd’hui (vers 9 heures). Ce qui est sûr, c’est que jeudi aussi, cette dame reviendra presqu’à la même heure puisqu’elle n’a pas de famille à Saint-Louis. Elle sera obligée de rentrer à Richard Toll.
J’ai également discuté avec ce Monsieur venu de la Mauritanie pour la troisième fois et qui n’a toujours pas pu voir le médecin. Je lui ai naturellement demandé s’il n’y avait d’hôpitaux en Mauritanie. Il vient au Sénégal parce que les médecins y sont mieux formés.
Je retiens surtout ce que ce fonctionnaire qui est venu pour la troisième fois m’a dit. Au Sénégal, dès lors qu’un malade vient à l’hôpital, c’est qu’il y a urgence à le soigner. Le sénégalais ne vient à l’hôpital que quand sa souffrance est extrême.
J’ai joint au téléphone cette célèbre clinique de Saint-Louis après avoir quitté l’hôpital régional toujours dans le souci de voir un spécialiste. Là aussi, il faut prendre rendez-vous dont on ne peut pas encore déterminer la date. En effet, le spécialiste qui officie à l’hôpital régional est le même que celui qui intervient dans cette clinique, se pose donc un problème de disponibilité de ce seul spécialiste de la région.
Toute la journée, j’ai pensé à ces malades, ces compatriotes qui souffrent silencieusement dans nos hôpitaux, qui se taisent par timidité ou par peur puisqu’il ne faut pas se mettre à dos la seule personne capable de soulager notre souffrance.
Je me suis posée plusieurs questions: ai-je raison de vouloir rentrer définitivement au Sénégal si même les soins primaires ne sont pas assurés? Nos dirigeants sont-ils conscients que le peuple agonise? Pourquoi un pays aussi grand que le Sénégal continue-t-il à former aussi peu de médecins, de spécialistes?
Mon cas est malheureusement loin d’être isolé. J’espère du fond du cœur que notre système de santé apportera des solutions efficaces et durables à ces problèmes : manque d’infrastructures et de médecins.
Fatou NDIAYE