«Je suis ancien tirailleur sénégalais, engagé dans l’Armée française le 4 novembre 1942 à Dakar. Le 23 septembre 1940, Dakar a été bombardée. A l’époque, je travaillais comme apprenti à la marine nationale française. J’ai assisté au bombardement. J’ai tout vu de mes propres yeux. Le conflit a éclaté à cause de deux camps qui s’opposaient pendant l’occupation : ceux qui étaient pour la France libre, et ceux qui sont restés fidèles au gouvernement du maréchal Philippe Pétain, celui-là même qui a signé la capitulation de la France face à l’Allemagne nazie de Adolf Hitler. Tout ce qui intéressait le Général De Gaulle, c’était, comme il l’a dit lui-même, de rallier à sa cause les colonies d’Afrique pour mener la contre-offensive. Or, le gouverneur général de Dakar, Pierre-François Boisson est resté fidèle au gouvernement de Vichy. Malgré tout, De gaulle a tenté le coup et a cherché à débarquer.»
Les hommes du Général ont d’abord commencé par lancer des messages. Ils ont largué au-dessus de Dakar des milliers de tracts pour expliquer leur cause et préparer en même temps les esprits. Ces tracts, ils les appelaient des messages. On y lisait que les hommes de la France libre avaient besoin de Dakar comme base arrière pour aller libérer la France à partir de l’Angleterre. Nous étions adolescents ; je n’avais à l’époque que 17 ans.
Au sol, les populations de Dakar se sont précipitées sur les tracts sans savoir réellement de quoi il s’agissait. A l’époque, ceux qui savaient lire et écrire en français se comptaient sur le bout des doigts. Les gens fréquentaient plutôt l’école coranique.»
«Le bruit ne tarda pas à se répandre que Dakar va bientôt être attaquée en raison de son statut de capitale de l’Afrique occidentale française (Aof), mais aussi et surtout de sa position stratégique qui en faisait une plaque tournante ouverte sur les tous les continents.
Le matin du 23 septembre, à la bonne heure, on voit des avions tourner autour du ciel de Dakar. A 10H00, les bombes commencent à tonner et à pleuvoir. C’est le navire de guerre du gouverneur de Dakar qui a ouvert les hostilités en tirant sur le bateau de De Gaulle arrimé au large. Vous savez, quand on tire sur vous et que vous avez les moyens de réagir, vous réagissez. C’est ce qu’ont fait les hommes de De Gaulle ; ils ont riposté comme il se devait. Les combats, ce n’était pas de la plaisanterie. C’était à l’arme lourde. Vous imaginez ! Des bombes tombaient sur nous ! Les obus pleuvaient sur Dakar.
La vie est totalement suspendue dans la capitale. C’est la panique générale. Le gouverneur Boisson, qui est un allié de Vichy, donc un adversaire pour De Gaulle, est intraitable. De Gaulle a dit qu’il va débarquer pacifiquement parce qu’il ne veut pas d’effusion de sang à moins qu’il n’y soit contraint et forcé. Mais sa précaution n’a été d’aucune utilité car le gouverneur vichyste ne lui a pas donné le choix. Je rappelle que lorsque l’Allemagne occupait encore la France, tous les bateaux de guerre qui l’ont pu ont fui pour regagner Dakar. Il y avait un grand bateau qui s’appelait le Richelieu, c’était un grand porte-avions. Un vrai mastodonte qui crachait partout et sans cesse du feu ! C’est ce bateau qui tirait sur les soldats de la France libre….»
«Les éclats d’obus sont tombés sur nous à la marine.
C’était le sauve-qui-peut. Tout le monde court dans tous les sens pour chercher un abri. La marine est bombardée un peu plus tard. Pendant deux jours, nous sommes bloqués dans l’enceinte de la marine. Personne ne peut entrer ni sortir. C’est le désordre total. Tous les murs sont défoncés. Un spectacle désolant. La plupart des habitants de Dakar se réfugient au niveau du Parc de Hann. C’est le seul endroit qui semble présenter des gages de sécurité. Les combats durent 3 jours. De Gaulle, faute d’avoir pu prendre Dakar, est obligé de rebrousser chemin en se repliant sur Brazzaville où il a beaucoup de soutiens. Evidemment, il y a eu beaucoup de morts civils, sans que leur nombre ait pu être établi avec exactitude ou officiellement communiqué.»
«Avant que je ne réussisse à m’extirper de la marine, ma mère est déjà à Hann avec toute la famille. Elle a été bien inspirée. A l’époque Dakar se limitait au seul quartier de la Medina qui va de la rue 22 à la Gendarmerie. Le quartier de Colobane n’existait pas encore.»
Extraits d’une interview de Mr Issa Cissé, ancien combattant et témoin du bombardement de Dakar
Le récit de Mr Cissé résume la situation qui prévalait lors du bombardement de Dakar.
Je vous parlais tantôt de la grand-mère Khady dans le post « Mame Booy« ’. Elle, aussi, a vécu cet évènement qui est le point de départ de l’une des versions de l’expression « Guissou mala Mbao« . Mame Khady était l’épouse de feu El hadj Alioune Ndiaye Gora, cheminot qui travaillait à la grande gare de Dakar, dont je porte le nom, d’ailleurs. Ils habitaient la cité qui se trouvait juste là où est implanté le Grand Théâtre, qui a été rasée par le Pdt Abdoulaye Wade en 2008. Ce jour-là, me raconta-t-elle, elle était en train de cuisiner le déjeuner, quand les premiers obus tombèrent. Il n’y avait pas à l’époque les murs de séparation qui empêchent aujourd hui de voir l’intérieur du port. Donc, de la gare, où, ils étaient, ils pouvaient voir le Cuirassé ‘’Le Richelieu’’ tirer ses bombes, et même, en prévoir le point de chute.
C’est dans ce climat de panique que le chef de gare, qui était un blanc, donna l’ordre aux cheminots d’évacuer leurs familles et les populations vers la gare de Mbao. Commença alors, le va et vient des trains, entre la grande gare de Dakar, et Mbao. Il faut aussi rappeler qu’à cette époque, le train était à vapeur ou charbon, et ne dépassait pas les 20 km/h. Mame Khady me dit que pendant toute la journée et une partie de la nuit, les trains évacuèrent des milliers de personnes qui seront déversés dans le désordre à la gare de Mbao, qui se trouvait dans une zone de forêt, comme l’était toute la presqu’île du Cap-vert.
Le lendemain, le tout-Dakar s’était réveillé à Mbao. Surtout, les citoyens négro-Français, et quelques badolos qui avaient resquillé. Pendant cinq jours, il y eut une situation de réfugiés à Mbao, où régnait la faim et la soif. Il fallut l’aide des militaires pour amener à manger et mettre un peu d’ordre. Mame Khady me dit que la majorité de la population, constituée de villageois qui travaillaient au port et dans les environs, se perdit dans les forêts. Ceux qui en purent en échapper, rentrèrent directement dans leurs villages, certainement, pour ne plus revenir.
Quand tout se fut apaisé, De Gaulle ayant continué sa route vers Brazzaville, les gens qui cherchaient leurs parents ou amis disparus, interpellaient ceux qui s’étaient retrouvés à Mbao, en leur demandant s’ils n’avaient pas vu ou aperçu leurs disparus. Et tous, ceux qui n’étaient pas vus ou aperçus à Mbao, étaient considérés comme morts. Le contexte, c’était ‘’ Guissou lenn Demba, Mbao ? ‘’ ‘’Dédett ! Guissou niou ko Mbao dé’’. Ce qui voulait dire que Demba n’avait sûrement pas survécu aux bombardements.
De nos jours, l’expression a évolué, mais n’a pas perdu son sens premier. On l’utilise pour dire qu’une personne est dans la mélasse, qu’elle n’est pas sortie de l’auberge.
Alioune NDAO
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