Je pense qu’il me trompe. Enfin je pense qu’il l’a déja fait. Je le sais et d’ailleurs tout le monde est au courant. Il s’est foutu de ma gueule, comme tous les autres que j’ai connus. Mon Président m’a trompé avec le pouvoir. Hé oui, lui non plus n’a pas résisté à cette suprématie éphémère.
J’ai rencontré mon Président il y a 5 ans, dans le 18ème arrondissement à Paris. Derrière son pupitre et devant une petite assemblée d’une centaine de personnes, Il m’avait tenu un vibrant discours sur ses ambitions pour notre pays. Sur un ton ferme et passionné, un visage grave et une gestuelle qui rythmait le poids de ses mots, mon Président défendait son programme de la rupture. Rupture dans la gestion financière de la cité en commençant par une traque des biens mal acquis. Rupture dans la façon de faire de la politique en bannissant la transhumance et le népotisme. Rupture dans la promotion de la culture de la compétence en favorisant le mérite. Rupture en faisant de la demande sociale, sa priorité. Et il continuait ainsi à développer toute une série de mesures concrètes qui nous faisait rêver et qui tenait en haleine toute l’assistance.
A la fin de son discours, il me lança un franc regard, comme pour me dire : tu vois, j’ai des projets pour notre peuple et tu dois me rejoindre, tu dois voter pour moi, j’ai besoin de ta voix. Je le regardais, rassurée, le coeur rempli d’espoir. Plus tard, j’ai appris, qu’il avait lancé ce même regard, avec les mêmes mots à tous mes amis qui étaient présents dans la salle. Il descendit de l’estrade, serrait des centaines de mains avec un grand sourire et un regard bienveillant. Il nous touchait. Il nous embrassait chaleureusement et nous étreignait fort contre lui. Avec d’autres amis, je l’ai invité à prolonger la soirée dans un café, histoire d’échanger davantage sur le Sénégal. Il était ravi de la proposition, comme si c’était inespérée. Je me rappelle encore de son ton posé, de ses arguments étaillés, de ses décisions tranchées sur certains sujets sensibles. Il me draguait en fait. Il voulait ma voix et celle de mes amis. Il me disait ce que je voulais entendre parce qu’ autrement, je ne peux comprendre pourquoi mon président ne me parle plus aujourd’hui.
Car oui, aujourd’hui mon président m’ignore et me snobe. Il fait la gueule. Je ne l’entends plus dans les stations de radios et télévisions Sénégalaises. Les seuls moments où je vois l’homme qui m’a trompé avec le pouvoir, c’est lors des évènements officiels. Je pense en effet aux fêtes de l’indépendance. Ou les fêtes de fin d’années (présentation des voeux aux Sénégalais). Ou cette seule fois où il a convoqué la presse nationale pour échanger. Ce sont les seuls moments où je mesure l’ampleur de son changement. Un discours généraliste. Des budgets colossaux sur des chantiers qui ne me parlent pas. Des projets d’envergure à venir et qui ne répondent en rien à mon besoin de survie quotidien. Il me regarde à peine et d’un air agacé.
Non sérieux, il n’y a que ma carte d’électrice qui l’intéressait, car autrement je ne comprends pas pourquoi il ne s’adresse pas à ma presse? Pourquoi s’exprime-t-il toujours devant la presse étrangère sur des questions qui concernent les Sénégalais en premier lieu? Parce-que Europe 1 et I-Télé sont plus écoutés et regardés au Sénégal que Sud FM et la RTS?
Je me sens blessée, trahie, méprisée. Il ne communique plus avec moi. Il prend des décisions qui engagent les futures générations et la mienne sans prendre le temps de me les expliquer dans le détail et dans le fond. Tiens, en Février dernier, il a décidé d’organiser un Référendum pour changer des points clés de ma consitution, et ce, en moins d’un mois. J’ai été prise en otage par une bande de politiciens médiocres. Et il y a quelques semaines, j’ai appris qu’il y avait des detenus de Guantanamo accueillis au Sénégal. D’accord mais explique moi pourquoi le choix de mon pays et rassure moi sur ma peur. Avant hier, j’ai appris qu’il avait signé une présence militaire permanente des Américains dans mon pays. OK mais encore une fois, explique moi le pourquoi, rassure moi, parle moi. Et aujourd’hui, il défend les APE (Accords de Partenariat Economique) mais dans ce cas mon Président, pourquoi les brillants économistes de mon pays sont contre ces accords?
Je n’en peux plus d’écouter tes déficients lieutenants qui jouent sur ma sensibilité religieuse ou morale pour justifier ou commenter certaines de tes décisions. Viens me parler comme tu le faisais à l’époque, avant de rencontrer le sieur Pouvoir. Viens m’écouter. Viens répondre à mes questions. Baisse ta vitre, ou sors de ta bagnole, tu verras les dégâts de ton manque de communication sur mes amis et moi. Tu te rappelles de nous d’ailleurs? Nous t’avions élu en 2012.
Aminata THIOR
http://leregardeminatag.mondoblog.org/