Une menace réelle plane à nouveau sur notre Afrique, celle d’un libre échange brutal et absolu. Un dispositif unique au monde d’aujourd’hui fondé sur la pensée néo-libérale et voulant globaliser les échanges commerciaux entre un groupe de pays riches et des états en construction, isolés et très pauvres. Ce processus ne va pas sans vagues chers compatriotes, Il convient de réagir.
Pour rappel, dès la fin du mouvement des indépendances de nouveaux rapports dits de coopération ont été instaurés entre l’Europe et les pays d’Afrique des Caraïbes et du Pacifique (ACP). Après des décennies de mise en œuvre le partenariat UE-ACP n’a pas produit aucun des effets escomptés. De 1957 à 2000, des conventions de Yaoundé aux conventions de Lomé, aucune n’a assuré le décollage économique des pays ACP. Dans ce lot ACP, Le Sénégal garde son statut de simple fournisseur de produits primaires et se maintient dans la liste des pays les moins avancés.
Les anciens accords
Au départ une relation commerciale UE/ACP spéciale fondée sur un système de préférences commerciales excluant la réciprocité. Ces préférences sont en réalité inutiles par ce que les exportateurs des pays ACP ne sont pas en mesure de satisfaire les normes techniques et qualitatives imposées par l’Europe et ne peuvent par conséquent exporter leur production non-conforme. Le marché européen est certes ouvert aux importations des pays ACP mais ces derniers sont les victimes d’un cliquet réglementaire qui est le résultat d’un décalage immense entre les moyens des deux partenaires d’un sous-équipement au niveau des chaines de production, des processus de contrôle, de certification, de labélisation, d’étiquetage etc.
Comme les faits en témoignent, malgré les préférences commerciales accordées par l’Europe, les ACP ont perdu des parts de marché dans l’Union Européenne : Entre 1976 et 1996 la part des marchés des pays ACP sur le marché européen est passée de 7% à 3% !
L’examen de ces contraintes sur les préférences permet de conclure que l’Europe, si toute fois elle est sincère, doit aider les pays ACP à mettre à niveau leur appareil de production et leur environnement réglementaire. Paradoxalement, dès 2000 et la signature des Accords de Cotonou, l’UE propose la révision qui la liait aux pays ACP. A la place des préférences commerciales non réciproques elle propose des Accords de Partenariat Economique basés sur le libre-échange et la réciprocité avec le pays ACP.
Le nouveau piège APE
L’UE vide de son sens le dispositif des préférences qu’elle n’a cessé de vanter depuis toutes ces décennies. De nombreux travaux du CNUCED, du PNUD, de la FAO et de la commission économique pour l’Afrique de l’ONU soulignent que ce nouveau régime réciproque n’apportera rien sur le plan économique aux ACP qui ne peuvent déjà pas exporter leur production vers l’Europe.
Par ailleurs, l’instauration de ce libre-échange total entre les exportateurs européens et ACP impose le respect des Plans d’Ajustement Structurel (PAS) du FMI. Il s’agit d’un ensemble de mesures macro-économiques dont le but est d’assurer la stabilité des prix et de faciliter le remboursement de la dette. L’application de ces fameux PAS engendre inéluctablement une austérité des finances, des coupes dans les politiques de soutien à l’agriculture … sans compter une perte importante de recettes douanières. Ces importations de produits UE à bas prix vont porter préjudice aux petits paysans et l’industrie de la transformation en herbe.
La libéralisation du secteur des Services serait une hécatombe. Les services, qui concernent toutes les transactions immatérielles seront soumis plus qu’aujourd’hui à la concurrence des grandes compagnies européennes ne laissant que peu de chance à nos entreprises de continuer à exister. On pourra alors contempler le spectacle de l’effondrement de la classe moyenne embryonnaire
La pêche avec la mise en place des APE serait entre les mains des bateaux usines libres d’agir et qui racleront d’avantage nos fonds marins.
Toutes ces raisons évoquées en haut militent pour justifier le refus de la plupart des pays d’Afrique, à commencer par le Sénégal (jusqu’en 2014), de signer ces accords. C’est dans cette perspective que le Président Wade avait proposé des Accords de Partenariat pour le Développement (APD) en lieu et place des APE, qui englobent et dépassent le cadre strictement commercial selon lui.
Cette position de l’ancien chef de l’état est largement partagée par les syndicats, les ONG et de nombreux experts. Beaucoup de manifestations, de conférences, de tables rondes, de caravanes anti APE ; pour ne citer que cela ; ont été menées pour cautionner le refus légitime du Sénégal de signer les APE.
La volonté de l’UE de forcer ces accords prouve malheureusement qu’elle se désintéresse de l’état économique et social d’une vaste zone géographique pouvant être la source d’une immigration non voulue et massive. Les options proposées par les APE doivent faire l’objet d’une remise à plat.
Volteface du Sénégal
Suite à une nouvelle distribution du pouvoir en Afrique de l’Ouest et au Sénégal en particulièrement, nous assistons, hélas, à une volonté du nouveau régime de signer ces accords. Malgré la position de « négociateur » du Sénégal, le Président Macky Sall a été nommé facilitateur de la négociation des APE en octobre 2013 à Dakar.
Un conflit se pose entre ces deux rôles de facilitateur, voulant apparaitre aux yeux de l’Europe comme un champion diplomate, et le rôle de farouche négociateur du Sénégal jusque-là.
Lors d’une interview à la dernière réunion des ACP, le ministre des finances Amadou Ba annonce que le Sénégal va signer. C’est maintenant clair, nous sommes trahis !
Ce tournant plus que désolant relève soit d’un aveuglement qui aura de lourdes conséquences sociales, économiques et politiques soit d’un deal au noir «mystique» qui ne dit pas son nom.
Très vite, nous saurons si l’Europe commettra une erreur historique en endossant la responsabilité de conduire l’Afrique vers plus de pauvreté et de chaos ou si elle sauvera son partenariat avec les ACP.
Je termine en rappelant que le quiétisme, définit comme un « désengagement » vis-à-vis des problèmes humains, est l’ennemi premier de la société, la dénonciation de cette volteface illégitime est une tâche que nous devons désormais, prendre d’avantage à bras le corps.
Bachir
Ingénieur logiciel,
Président du Mouvement Farlu des Jeunesse Patriotes,
Membre fondateur Jappositive