Le premier chef du premier gouvernement de la seconde alternance est désormais engagé sur le terrain politique après plus de deux ans d’observation et de préparation. Avec l’idée d’aller au bout de ses ambitions. Mais en amont, il faudrait qu’il se débarrasse de son «mentor» politique, Macky Sall. Une autre histoire.
Se différencier très vite des autres. Dans un landerneau pris en otage par les «politiciens professionnels» et les militants de cour, cultiver sa différence relève de la priorité absolue pour ne pas tomber dans la banalité. L’ancien Premier ministre Abdoul Mbaye, en lançant les activités de son mouvement politique, «Alliance pour la citoyenneté et le travail» (ACT), a tenté le pari, tant dans la mise en scène de l’offre politique qu’il destine aux Sénégalais, que dans le caractère exhaustif et forcément théorique des embryons de la Politique de «rupture» radicale qu’il promet au peuple. A un moment, on a cru réentendre le candidat Macky Sall, alors fraîche méga-victime de Me Wade, étaler ses mille promesses aux électeurs… On sait ce qu’il en est.
Abdoul Mbaye n’est pas Macky Sall même si, historiquement et à la surprise générale, il a été son premier chef de gouvernement, et même si, aujourd’hui, il clame haut et fort, avec justesse et un brin de condescendance : «Je ne reconnais plus mon Macky Sall.» En attaquant frontalement celui qui l’a sorti de l’anonymat politique pour le propulser à la primature, l’ex-directeur de banque semble se situer résolument dans la posture du «fils» qui, pour exister, doit tuer le «père». Pour gouverner hors cette tutelle «honteuse» qui vous fixe un cap et des objectifs.
Ce «meurtre» là est devenu une nécessité vitale : il est le seul moyen légal dont dispose le «rejeton» pour prendre la place de son «géniteur». Ce passage à l’acte symbolique surdétermine désormais les actes qu’il va poser comme autant de jalons sur le chemin du sommet. La bataille sera impitoyable, à moins d’un abandon en cours de route !
Abdoul Mbaye en 2016 n’est pas Macky Sall en 2008. Politiquement, c’est une certitude. Sans base électorale, ni grande expérience politique, en dépit de son passage à la tête du gouvernement, l’ex Pm devra cravacher bien plus fort que ne l’a fait son nouvel adversaire lorsqu’il a quitté le Pds pour construire son propre destin. Sans appareil politique digne de ce nom, sans grosses pointures crédibles et charismatiques visibles (pour le moment) et trempés dans l’électorat sénégalais, Abdoul Mbaye aura la chance de devenir un opposant quelconque comme il en existe des centaines ou des milliers au Sénégal.
En dénonçant – avec raison certes – la professionnalisation de la vie politique, phénomène qui a généré ces politiciens professionnels qu’il abhorre, il s’interdit de facto certaines alliances politiques et rétrécit d’autant ses possibilités d’élargissement de son noyau politique d’origine. Il l’a dit dans ses réponses aux questions de la presse : «il ne sera pas facile de nous tromper car on jugera sur le passé.» En fait, ce serait un moyen pour lui de donner un contenu concret à son projet de rupture : rupture avec un certain type de politicien, rupture avec certaines pratiques. Son potentiel électoral, il fait le pari de le trouver chez les citoyens apolitiques, les autres ne devant être qu’un apport.
Abdoul Mbaye n’est pas Macky Sall qu’il accuse d’avoir trahi l’alternance. Plutôt, il se verrait bien dans la peau d’un collègue banquier et ex-PM comme lui, Lionel Zinsou. Et mieux encore, dans la carapace d’un homme d’affaires prospère, hier faiseur de roi, aujourd’hui souverain du Bénin, Patrice Talon. La trajectoire du nouveau chef de l’Etat béninois a pu le séduire. Talon a été accusé – puis blanchi – d’avoir commandité un autre type de «meurtre» contre son ex-protégé Boni Yayi : l’empoisonnement. Sur le chemin de sa consécration, il a été surtout capable de surmonter l’adversité féroce représentée par l’ex-chef d’Etat en éliminant son successeur putatif, Zinsou. Abdoul Mbaye a-t-il avec lui l’endurance et les capacités qui transforment un homme politique en machine à gagner des élections ?
En attendant qu’il creuse son sillon, et pour donner un prolongement logique à son excellente prestation de samedi dernier, la plus grande preuve d’amour qu’il est capable de donner aux Sénégalais, serait de renoncer à sa nationalité française pour être entièrement Sénégalais et être disponible pour «le Sénégal, ce pays que nous mettons au dessus de tout.», comme affirmé dans sa «Lettre à tous les Sénégalais».