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Ofnac : Un Machin Inefficace Et Inutile

L’Office national de Lutte contre la Fraude et la Corruption (OFNAC) vient de rendre public son premier rapport d’activités. L’accueil réservé à ce rapport, par l’opinion publique, reste mitigé. Une partie de celle-ci trouve décevants les résultats présentés, car n’y voyant aucun signe pouvant indiquer l’existence d’une quelconque volonté de s’attaquer aux vraies affaires. Une autre, tout en considérant les résultats perfectibles, exige que les rigueurs de la loi s’abattent sur toutes les personnes épinglées. Pour ma part, après avoir lu et analysé le rapport dans son entièreté, j’en viens au constat suivant : l’OFNAC est un machin inefficace et inutile qui devrait être supprimé au profit d’une autre entité aux compétences renforcées, mais bâti sur un autre modèle organisationnel moins bureaucratique.   

Du doute à la certitude

Lorsque l’OFNAC était porté sur les fonts baptismaux, en 2012, j’étais dubitatif sur sa capacité à lutter contre la fraude et la corruption au regard de sa mission comparativement à son organisation et à ses règles de fonctionnement.

La nomination de ses membres m’avait rendu davantage perplexe en constatant que parmi ceux-ci figurent des personnes sur lesquelles pesaient de graves accusations ou de lourds soupçons d’impartialité. Je rappelle ici le cas de deux de ses membres. Il y a, d’abord, celui du Colonel de Gendarmerie Moctar Sow que le Colonel Abdou Aziz NDaw accusait, dans ses deux brûlots, d’avoir contribué à la mise en place d’un système mafieux visant à contrôler les circuits de la corruption au sein de la Gendarmerie nationale lorsqu’il était Chef de Cabinet du Haut commandant de la Gendarmerie Nationale. À ce que ce je sache, il n’a ni démenti ces graves accusations, ni porté plainte contre leur auteur. Le second cas est celui de l’ancien ministre libéral du Commerce et ex-responsable politique du Parti démocratique sénégalais (PDS) au Fouta, Amadou Niang, viré au marron-beige (APR) après la seconde alternance. Sa nomination s’était faite en violation de l’article 4 de la loi portant création de l’OFNAC, lequel édicte un certain nombre de critères de nomination notamment l’apolitisme et l’impartialité.

Les louvoiements de l’OFNAC et/ou son silence assourdissant face à ce qui paraissait, aux yeux de l’opinion publique, comme étant des scandales de corruption et de concussion de grande envergure (Pétro-Tim, affaire Sénégal c. Arcelor-Mittal, affaire Lamine Diack, etc.), malgré son pouvoir d’auto-saisine que lui confère la loi, ont fini par installer, en moi, des doutes sur la volonté de cet organisme à faire face aux cas importants de corruption et de fraude.

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Les dénonciations publiques de l’ancien bâtonnier Me Mame Adama Gueye contre certains magistrats qui seraient corrompus, dans l’affaire Wärtsila c./ Résidences Jardins, sans que l’OFNAC ne saisisse cette opportunité pour s’attaquer à la corruption dans la justice sénégalaise m’ont amené à m’interroger sur l’utilité de cet organisme.

Enfin, après avoir terminé de lire, intégralement, son premier rapport d’activités, la certitude fait place aux doutes, à la perplexité, aux interrogations et aux inquiétudes : l’OFNAC est un machin inefficace et inutile qu’il faut supprimer au plus vite !

Des résultats dérisoires

L’OFNAC a reçu des allocations budgétaires de L’État d’un montant de 1,175 milliard de francs CFA en 2014 et 1,550 milliards de francs CFA en 2015. En plus des crédits budgétaires alloués par l’État, l’OFNAC a reçu, en 2015, une contribution de 366 millions de francs CFA de la part des partenaires techniques et financiers du Sénégal. Au total, en 2 ans, l’OFNAC a reçu un peu plus de 3,091 milliards de nos francs.

Les résultats présentés au regard de ces ressources financières sont plus que modestes, voire sont dérisoires. En effet, l’OFNAC n’a reçu et traité, au cours de ces 2 années, que 310 plaintes et dénonciations, tous les modes de saisine confondus (lettres, numéro vert, e-mail / site web et application mobile). Soit 118 en 2014 et 192 en 2015. Dans ce lot, plus de 64%, soit 199, sont des plaintes (85 en 2014 et 114 en 2015) et que 71 de ces plaintes (35 en 2014 et 36 en 2015) ne relèvent pas de ses compétences. Au titre des enquêtes et investigations, l’OFNAC n’en a diligenté que 55. Cela est un résultat maigrichon au regard des moyens financiers mis à sa disposition. Les 55 enquêtes réalisées se répartissent comme suit selon l’élément déclencheur : 21 enquêtes suite à des dénonciations, 29 enquêtes consécutives à des plaintes et 5 enquêtes sur auto-saisine. L’OFNAC apporte une précision de taille : «les enquêtes ouvertes sur la base des plaintes et dénonciations intéressent surtout la petite corruption. (…) Toutes les enquêtes ouvertes sur la base du pouvoir d’auto-saisine de l’Office sont des affaires présumées de grande corruption» (p. 59). Autrement dit, seuls 5 dossiers d’enquête concernent des affaires sérieuses et d’envergure de corruption ! Pourtant au rythme où les scandales de corruption éclatent au Sénégal, la matière ne manque pas.

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Un résultat important est omis dans les informations fournies par l’OFNAC : le nombre de dossiers transmis à l’Autorité judiciaire compétente aux fins de poursuites. Dans tous les cas, ce nombre serait minime au regard de celui des dossiers d’enquêtes réalisées. Le recul des faits de corruption qui gangrènent la société sénégalaise ne pourrait se faire de manière significative que si la justice était automatiquement saisie (l’article 11 de la loi portant création de l’OFNAC exige une majorité qualifiée de 2/3 des membres pour pouvoir transmettre un dossier au Procureur) et qu’elle prononce de lourdes peines lorsqu’une infraction pénale, si minime soit-elle, est matériellement établie après enquête.

Enfin, la faiblesse des résultats de l’OFNAC par rapport aux ressources financières mises à sa disposition peut être appréhendée à travers le nombre de déclarations de patrimoine reçues. En effet, sur les 565 personnes identifiées par l’OFNAC comme étant assujetties à la loi sur la déclaration de patrimoine, seules 292 se sont acquittées de cette obligation. Selon l’OFNAC, la plupart de ces personnes effectuent des opérations portant sur un montant annuel supérieur ou égal à un milliard de francs CFA. Ce qui est inadmissible et inquiétant.

Une institution dévoyée

Selon les dispositions de l’article 2 de la loi n° 2012-30 du 28 décembre 2012, l’OFNAC a pour mission la prévention et la lutte contre la fraude, la corruption, les pratiques assimilées et les infractions connexes. L’article 3 de ladite loi précise que l’OFNAC est notamment chargé de collecter, d’analyser et de mettre à la disposition des autorités judiciaires chargées des poursuites les informations relatives à la détection et à la répression des faits de corruption, de fraude et de pratiques assimilées, commis par toute personne exerçant une fonction publique ou privée.

La raison d’être de l’OFNAC est de prévenir et de lutter contre la corruption. C’est clair et net. Pourtant, l’OFNAC n’est pas de cet avis. Il a procédé, de son propre chef, à une interprétation des dispositions des articles 2 et 3 de la loi «à partir des textes constituant le cadre normatif de la lutte contre la corruption» dans le but «de déterminer le contenu de ses missions de prévention et de répression» (p. 25). Cette prérogative d’interprétation des textes de loi et des conventions ratifiées ne lui appartient pas. Pourtant l’OFNAC s’est attelé à cet exercice en faisant preuve d’une extraordinaire boulimie au point de se substituer à l’État en oubliant (ou en feignant de le faire) qu’au sein du Gouvernement il existe un Ministère chargé de la promotion de la bonne gouvernance. Cette boulimie de responsabilités a amené l’OFNAC à étendre son champ d’intervention, voire privilégier certaines activités qui ne font que l’éloigner de sa principale mission.  

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C’est ainsi que l’OFNAC a consenti d’énormes efforts de communication sociale à des fins de prévention qui l’ont conduit à réaliser, par exemple, 100 missions de communication-sensibilisation ayant permis de recevoir ou de rencontrer 67 277 personnes, visiter 19 établissements scolaires, 1 colonie de vacances et 1 école coranique (p.83-84). On peut s’interroger sur l’efficacité de cette stratégie préventive, car elle n’a pas permis d’augmenter significativement, par exemple, le nombre de plaintes et de dénonciations.

Le dévoiement de la mission de l’OFNAC est également perceptible à travers le massif organigramme qu’il s’est doté : l’existence de pas moins de 6 Départements organisés en 26 Unités, 1 Bureau et 1 service compte non tenu d’autres unités comme l’agence comptable, l’audit interne, etc. Le rapport nous apprend que la Présidente de l’OFNAC dispose d’un cabinet (p. 36) avec un Directeur de cabinet (p.176), des assistants, des conseillers et une sécurité (p. 176). En d’autres termes, l’OFNAC est un Ministère qui ne dit pas son nom. Ceci pourrait expliquer son inefficacité.

 

Ibrahima Sadikh NDOUR

ibasadikh@gmail.com

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