Ce qui est déplorable au Sénégal c’est l’extrême vulnérabilité de l’opinion publique à l’égard du sensationnel. C’est malheureux. La consommation de la viande d’âne n’est pas pour autant un scandale. C’est plutôt une préoccupation sociale qu’il faut vite traiter.
Ce que je sais !
- Un repérage biologique
Nos attitudes extrêmes, nos écarts de langage dans cette affaire sont injustifiés. Ils relèvent de l’inconscient ou de l’ignorance car nous avons perdu l’orientation dans notre milieu de vie.
Il faut se rappeler que nous sommes un être vivant doué d’intelligence donc de psychologie. Ce qui nous est exclusif sur terre. Par conséquent, nous développons sans le vouloir des préjugés et cristallisons des valeurs positives comme négatives sur les objets qui nous entourent vivants comme non vivants. Ceci explique pourquoi depuis longtemps nous entretenons des rapports subjectifs avec les animaux et les végétaux de notre milieu.
L’ethnozoologie et l’ethnobotanie nous enseignent que nous ne sommes pas indifférents aux animaux et aux végétaux. Nous contractons très souvent avec eux des rapports métaphysiques agissants. Delà dérivent la tradition des totems, les mythes, les croyances par rapport à nos cohabitants vivants non humains.
Nous portons souvent un regard favorable ou défavorable voire péjoratif sur eux, sans motif rationnel. C’est à ces faits qu’il faut relier le statut de l’âne chez nous.
En effet, l’âne, comme le chien, souffre d’un préjugé défavorable au Sénégal. Il y est banni persécuté, négligé, affamé, mal traité voire mystiquement redouté. Après la corvée des travaux champêtres l’âne n’est bon qu’à regarder. Il est chassé de la maison et envoyé à la débrouille alimentaire. C’est injuste.
Scientifiquement l’âne est un animal. C’est tout.
Si vous regardez l’âne vous apercevez des mamelles, des poils, des dents. Si vous le blessez il sort du sang veineux ou du sang artériel (donc un homéotherme). L’âne est vivipare (donc placentaire). L’âne a quatre membres locomoteurs adaptés à la marche.
On pourrait poursuivre ces observations sur le plan biochimique, génétique et anatomique. Tous ces signes montrent que l’âne est un être très évolué et partage la même classe que l’Homme : la classe des mammifères. Pardonnez-moi ce désagrément!
Donc les préjugés sur l’âne doivent être modérés à défaut d’être abandonnés. L’âne est un être vivant qui mérite soin et pitié. Il est une créature de DIEU qui trouve et joue son rôle dans l’écosystème général. Voilà quelques rappels dans le sens de rétablir notre boussole écologique déréglée par la modernité et l’aliénation!
- Un avis sur la consommation de la viande d’âne
Scientifiquement la viande d’âne est comestible. Elle n’est pas nocive à la santé. Elle engraisse autant que celle du bœuf ou du mouton.
Ce qui est déplorable dans cette affaire de viande d’âne c’est le risque sanitaire, l’escroquerie commerciale et le défaut de communication des services de l’élevage.
La grande majorité des sénégalais ne mange pas la viande d’âne. Donc personne n’a le droit de vendre cette viande sans le faire connaitre. Le prix de cette viande n’est pas homologué. On connait ce que coûte le kilogramme de volaille, de bœuf, de mouton, de chèvre. Mais celui d’âne n’est pas connu parce que n’existe pas.
Nulle part n’existe d’étale à viande d’âne dans les marchés. Personne n’ose porter sur soi les abats et autres restes d’âne au vu de tout le monde de peur d’être fui comme un damné ou un satané.
Tout ceci montre que l’âne n’est pas mangé au Sénégal soit pour des raisons de croyances spécifiques soit pour des raisons religieuses. Donc, il n’est pas normal d’en offrir à l’insu. C’est une faute. Les auteurs de cette forfaiture doivent être punis.
Il ne faut pas non plus banaliser la consommation de la viande d’âne en prétextant que ce n’est pas dangereux ou d’autres la mangent. La viande d’âne est rebutante pour des motifs d’ordre irrationnel et non rationnel. Il faut respecter la liberté de s’en abstenir.
La culture sénégalaise en général ne mange pas l’âne. C’est cela la réalité. Il faut la prendre comme telle pour le moment.
Ce que je ne sais pas!
Je ne sais pas si l’islam interdit la viande d’âne ou pas. Il serait défendu que pour l’islam tous les animaux aux membres pourvus de plusieurs doigts sont consommables. Ce sont les moutons, les biches, le bœuf, etc.
Par contre tous les animaux aux membres à doigt unique sont interdits à la consommation. Ce sont l’âne, le cheval, le zèbre, etc.
Dans toute la rigueur scientifique les périssodactyles ont un nombre pair de doigts par membre tandis que les artiodactyles ont un nombre impair de doigts par membre. Ainsi, pour l’islam les périssodactyles sont comestibles et les artiodactyles ne le sont pas.
A l’observation de la consommation de viande au Sénégal cette thèse semble celle appliquée chez nous.
Il faut noter le cas exceptionnel du porc qui est un périssodactyle interdit à la consommation par l’islam.
Ce qu’il y a lieu de faire !
Compte tenu du fait indéniable que la société a évolué, et avec elle, les mentalités, les comportements, les habitudes, les préférences, les représentations, les enjeux, les perspectives individuelles et collectives, il faut ouvrir toute l’offre de nourritures animale comme végétale à la consommation publique à la double condition de tout réglementer et de respecter les préférences de tout le monde.
Si nous ne le faisons pas, nous étouffons quelque part une énergie sociale sans le savoir auquel cas nous ouvrons la porte aux pratiques déviantes de consommation dangereuses pour tous. Ceci est une nécessité pour le confort religieux, moral, psychologique et sanitaire de chaque citoyen.
En conclusion
Tout ce qui ne tue pas engraisse. La viande d’âne ne tue pas donc elle engraisse. Cet adage millénaire est à considérer avec relativité. Cet adage est réel, mais pas vrai.
Il faut rappeler qu’au-delà de son sens biophysiologique la nourriture est culturelle. Elle est plurielle et heureusement.
A l’écoute de l’islam, même si la viande d’âne engraisse elle ne doit pas engraisser un musulman.
Je ne sais pas ce qu’en disent les autres religions.
Je déplore le manque de communication sur l’abattage régulier d’âne opéré par les services de l’élevage. Ils devraient informer les sénégalais ne serait-ce que pour dissiper d’éventuelles rumeurs et satisfaire la curiosité.
Je ne comprends pas aussi comment tous les médias nationaux ont pu rater cette grosse occasion de reportage documentaire sur l’abattage d’âne par les services autorisés.
Enfin, je déplore l’extrême sélectivité du régime alimentaire des sénégalais en termes de ressources protéiniques. La gamme de sources protéiniques au Sénégal est très restreinte.
De nombreux aliments ne sont pas consommés au Sénégal ou en tout cas très peu pour des raisons mal fondées. Et pourtant l’islam ne les interdit pas. C’est le cas des rats, des écureuils, des souris, des oiseaux, etc. Et voilà ce qui explique en grande partie la disparition rapide de notre biodiversité – l’utilité étant d’abord nutritionnelle avant d’être économique.
Mais, le cas le plus éloquent est celui de la chèvre. Voilà une viande de haute qualité nutritionnelle et sanitaire qui ne trouve pas preneur au Sénégal.
C’est la viande du pauvre. Elle est bonne (pour moi), pas chère, et saine (pauvre en cholestérol).
Une consommation généralisée de cette viande, à la dictée d’une politique nationale, aurait réglé beaucoup de problèmes alimentaires, enrichi les éleveurs et augmenté considérablement de notre croissance économique.
Potentiellement la biomasse chèvre est très abondante du fait de sa forte fécondité et de sa rusticité. Malheureusement on ne l’exploite pas assez. Nombreux sont ceux qui lient la chèvre au « Djinn » et observent une méfiance calfeutrée, inavouée. Quel manque à gagner pour l’économie et pour le bien-être ?
Nous nous adonnons aux autres élevages énergétiquement très coûteux et très polluants au méthane. Je veux parler de l’élevage de bovins.
Les sénégalais ont urgemment besoin d’une rééducation nutritionnelle. C’est une exigence de la lutte contre la pauvreté. C’est un geste d’assistance de personnes en danger.
Je n’en arrive pas à suggérer la consommation de vers de terres mais, quand bien même soyons écologiquement raisonnables dans les limites de la religion.
Cheikh NDIAYE
DG CICES
MAIRE DE LAMBAYE