Site icon Senexalaat

Faut- Il Avoir Peur De L’ape Entre L’afrique De L’ouest Et L’union Européenne ?

Faut- Il Avoir  Peur De L’ape Entre L’afrique De L’ouest Et L’union Européenne ?

L’Accord de Partenariat Economique (APE) entre l’Union Européenne et l’Afrique de l’Ouest, dont le Sénégal, occasionne des réactions diverses chez nos compatriotes, qu’ils soient des hommes politiques ou des citoyens simples. L’ancien Premier Ministre Idrissa Seck propose leur réécriture ; l’Honorable député Thierno Bocoum dénonce leur caractère néo-colonialiste ; par contre, le Journaliste El Malik Seck voit des opportunités ; enfin, l’ancien Ministre Amadou Tidiane Wone recommande une prudence et déclame un NON.

Toutes ces contributions sont enrichissantes et pertinentes dans leur but. Elles élèvent le débat sur l’APE ou les APE qui est assurément un sujet d’actualité brûlante ou un « hot topic ». Dans cette contribution concise, nous explorons l’APE, circonscrit à l’Afrique de l’Ouest, sous un prisme économique, et présentons les opportunités qu’il peut nous conférer ainsi que des dispositions pour le rendre effective.

Mr le Premier Ministre Idrissa Seck, d’emblée, affirme : « Les Accords de Partenariat Economique UE/ACP détruiront tout espoir de développement endogène de nos pays s’ils venaient à être signés puis ratifiés en l’état ». Donc, il faut les déchirer et les réécrire.

L’ancien Premier Ministre exprime son opinion, certes louable, en tant qu’homme d’Etat et aspirant à la magistrature suprême. Nous lui soulignons, toutefois, que le développement endogène transcende le seul cadre de l’Accord de Partenariat Economique ou des Accords de Partenariat économiques (ACP). Rappelons que cet accord encourage une baisse progressive des barrières douanières et reste une composante de l’accord de Cotonou entrée en vigueur en 2003. L’accord de Cotonou vise un rétablissement des équilibres macro-économiques, un développement du secteur privé, l’intégration régionale, la promotion et l’égalité des chances hommes-femmes, et la protection de l’environnement.

Le développement endogène est certes une notion polysémique, mais il repose sur deux éléments essentiels: la maximisation des ressources disponibles localement, et une territorialisation de l’activité économique. Autrement dit, le développement endogène commande une pleine utilisation des ressources humaines et naturelles dans des zones dédiées à l’activité économique. Vu sous cet angle, la pertinence d’une réécriture de cet accord ou des accords pour stimuler une pleine utilisation des ressources humaines et naturelles et une régionalisation des activités économiques, donc un développement endogène, se pose. Nous peinons à appréhender cet argument et nous souhaitons que l’ancien Premier Ministre approfondisse la dialectique entre les APE et le développement endogène.

Les ingrédients d’un développement endogène résident ailleurs, et le Président Macky le comprend. Le développement du Sénégal, et de l’Afrique de l’Ouest, repose sur des piliers ou des « buildings blocks » tels que le travail, la productivité, et des programmes porteurs de croissance, par exemple, le Plan Sénégal Emergent (PSE). L’APE constitue une opportunité et il faut la saisir. Cet accord astreint nos entreprises et travailleurs à valoriser le travail, la productivité, la qualité, et la formation. Leur survie en dépend. La concurrence est féroce, et elle ne pardonne pas. Cet accord, dès lors, constitue une plateforme pour l’éclosion du génie entrepreneurial sénégalais, et africain.

L’ancien Premier Ministre s’inquiète des conséquences « néfastes » de l’ouverture graduelle de nos marchés aux produits européens, avec taxes dans le court terme et sans taxes dans le long terme, sur notre production locale et notre développement. L’application d’un taux de 50% ou 75% de taxes douanières dans le court ou long terme importe peu. La question se résume plutôt à notre positionnement face à cette nouvelle donne, dont la finalité est le libre-échange effectif. Précisons tout de même que cet accord n’est pas un jeu à somme nulle ou « zéro-sum game » où les Européens y trouvent des avantages au détriment des Africains. Cet accord crée des opportunités pour nous Africains de l’Ouest, y compris le Sénégal. Nous en évoquons quatre :

Une des opportunités de cet accord est la délocalisation de la production de certains produits semi-manufacturés de l’Europe vers l’Afrique. En effet, nos producteurs et/ou entrepreneurs peuvent capter des segments de la production de produits manufacturés qui n’exigent pas une main d’œuvre hyper-qualifiée. Par exemple, des usines d’assemblage de voitures, d’appareils électro-ménagers, etc., peuvent prospérer. L’avantage comparatif du coût de la main d’œuvre beaucoup moins onéreux en Afrique qu’en Europe, couplé avec une disponibilité sur place de certains intrants sur le marché local, amoindrit les coûts de production, et par conséquent solidifie la compétitivité de nos produits sur le marché européen et/ou mondial. Ainsi, nos exportations se développent et améliorent positivement notre balance commerciale.

Le Mexique, par exemple, illustre les avantages qu’un pays en développement peut générer d’un accord de libre-échange. Le Mexique, les Etats Unis et le Canada, ont signé un accord de libre-échange plus connu sous le nom de NAFTA (en Anglais) ou accord de libre-échange Nord-Américain. Aujourd’hui, le Mexique bénéficie des délocalisations et s’érige en puissance industrielle au point de menacer des producteurs américains qui réclament une remise en cause de cet accord. D’ailleurs cet accord constitue un thème de campagne des élections présidentielles américaines de 2016 pour le candidat républicain Donald Trump. Ceci prouve que le déséquilibre entre une économie développée et une économie en développement ne peut produire un jeu à somme nulle où les Etats Unis récoltent uniquement les avantages. Des gains de production et de consommation sont possibles de part et d’autre.

La croissance des dépenses d’investissement constitue la deuxième opportunité que nos économies peuvent engranger. Les investissements accroissent les possibilités d’emploi, augmentent les salaires distribués, et enfin fortifient la production nationale. Par exemple, la Suneor, nouvellement relancée, peut étendre son domaine d’activités et s’investir dans la transformation des graines d’arachide en pâte d’arachide, fort prisée dans les pays développés. Donc, cet accord de partenariat économique peut stimuler la croissance et le développement.

Le Renforcement de l’intégration régionale africaine et le développement du commerce intra-africain définit la troisième opportunité. L’APE occasionne l’harmonisation des politiques commerciales des Africains de l’Ouest et optimise les économies d’échelle. Ansi, les entreprises peuvent se spécialiser dans la production de certains produits sur la base de la qualité et de la disponibilité des intrants ou des ressources humaines. Par exemple, la Cote d’Ivoire dans la production de cacao et de l’hévéa et de tous leurs produits dérivés. Le Sénégal dans l’arachide, la mangue, etc.

L’élargissement de l’éventail des produits de consommation importés ou locaux à des prix compétitifs caractérise enfin la quatrième opportunité. L’accord de partenariat économique encourage la concurrence, réduit les prix, et améliore la qualité des produits. Les consommateurs peuvent se réjouir de consommer des produits de qualité à des coûts raisonnables, renvoyant ainsi aux calendes grecques le diktat des monopoles ou oligopoles. Ce qui se traduit par une augmentation de la consommation intérieure, une augmentation des capacités d’investissement des entrepreneurs, et donc de la production nationale.

La liste des opportunités peut être longue, mais nous nous limitions a ces quatre éléments . Cependant, la maximisation de ces opportunités que nous procure l’accord de partenariat économique nécessite des dispositions. Nous en retiendrons aussi quatre.

La première disposition demeure l’acquisition d’une bonne formation professionnelle et technique des travailleurs, élèves et étudiants sénégalais. Les délocalisations ne peuvent se propager que si un minimum de formation technique existe. Sur ce point, nous félicitons le gouvernement du Président Macky Sall pour cette option irréversible de l’amélioration de l’enseignement professionnel et technique, en donnant plus de visibilité et de moyens au ministère en charge de ce secteur. La multiplication des maisons de l’outil et l’ouverture d’universités à vocation technique traduisent cette option. Ces décisions gouvernementales donc représentent des exemples d’ajustement des politiques publiques dont parle l’ancien Premier Ministre.

La levée de l’obstacle de l’accès au crédit représente la deuxième disposition. Les structures financières telles que la BNDE, le FONSIS, le FONGIP, et la CDC, pour le cas du Sénégal, doivent faciliter l’accès au crédit aux entrepreneurs sénégalais. Le génie sénégalais ne peut se concrétiser que si le crédit reste accessible à des conditions préférentielles.

La troisième disposition réside dans le renforcement de l’éducation des consommateurs. Tout produit importé n’est pas forcément de qualité. De même, certains produits de consommation courante renferment des ingrédients impropres à la consommation, surtout pour les musulmans. Dès lors, une vigilance s’impose. Les associations de consommateurs, telles que l’Ascosen ou SOS Consommateurs, au Sénégal, peuvent exercer ce rôle de prévention et d’information. L’occasion est toute indiquée pour ces associations de promouvoir nos produits organiques au niveau local et international, ce qui contribue à renforcer notre balance commerciale. Ces produits, très recherchés, se paient à un prix fort dans les pays développés et génèrent des marges de profits substantielles. N’est-ce pas là une niche pour les entrepreneurs sénégalais et africains ?

La réforme des lois du travail, enfin, matérialise la quatrième disposition. La rigidité de l’emploi au Sénégal constitue un frein au développement. En effet, certaines activités économiques sont cycliques et requièrent une flexibilité de l’emploi. C’est pourquoi des mécanismes doivent être mis en place pour faciliter aux entreprises l’exécution de programmes de chômage temporaire lorsque la situation économique l’exige. Cela suppose une relation de confiance dénudée de tout abus entre les syndicats de travailleurs et les organisations patronales.

Pour conclure, nous pensons que l’ancien Premier Ministre Idrissa Seck, l’Honorable député Thierno Bocoum ou encore l’ancien Ministre Amadou Tidiane Wone s’embourbent dans le piège de la frilosité. Pourquoi cette peur ? L’honorable député s’émeut de la baisse des recettes douanières comme une conséquence de la signature de l’APE. Il a raison, et c’est un coût pour un Sénégal meilleur en matière de création d’emplois, d’augmentation des salaires, et de transfert des nouvelles technologies. Mais ce manque à gagner constitue-t-il pour autant un obstacle à notre développement ? Les financiers disent que « plus le risque est élevé, plus les gains sur les investissements sont élevés ». «The higher the risk, the higher the return on investments”.

Toute décision stratégique présente des avantages et des coûts. Notre devoir en tant qu’homme politique ou homme d’Etat est de maximiser les opportunités et de minimiser les coûts pour le bien-être social des populations, et l’APE en est une. Tout se résume à une optimisation de la fonction objective « Un Sénégal meilleur » dont le seul paramètre est le bien-être des populations. Le pessimisme ne peut plus prospérer car il nous faut travailler, et le Président Macky Sall l’a réitéré à maintes reprises. Il est illusoire de penser que nos déséquilibres doivent être d’abord résorbés par une quelconque magie autre que le travail pour que nous puissions, à partir de ce moment-là, rivaliser avec les Européens et le reste du monde. Le Japon et la Corée sont des exemples éloquents. Il en est de même de la Chine, du Brésil, et de l’inde. Sont- ils plus capables que nous ? N’est-il pas temps de fouetter notre génie et de s’emparer des multiples avantages de la globalisation, des nouvelles technologies, et du libre-échange pour se développer ? Voulons-nous confirmer la question vieille de plus d’un quart de siècle de Madame Axelle Kabou « Et si l’Afrique refusait le développement ? » Pouvons- nous continuer à déplacer indéfiniment la borne kilométrique d’arrivée sur une autoroute continue? Nous ne le pensons pas car les chances pour que nous atteignions notre destination restent une chimère. Les Américains diront « can we continue to push the can down the road with no end in sight? Notre développement est entre nos mains et non celles des autres.

Il faut de l’audace, du courage, et de la vision pour estomper le spectre de notre incapacité à appréhender la complexité de ce monde et amorcer notre propre développement, fût-il coûteux. Le Président Macky Sall l’a démontré.

Vive le Sénégal Emergent !

 

Ahmet F. SARR

Expert-Consultant en Stratégie, Management et Systèmes d’Information des Etablissements Financiers

Section APR Manhattan- USA

Mboot20@gmail.com

Quitter la version mobile