Homme de paix et de consensus, tous ceux qui auront approché le défunt El Hadji Bassirou Diagne Maréme Diop savent qu’il avait horreur de la duplicité, et souffrait intérieurement du désolant clivage qui, à travers les âges, semblait poursuivre comme une malédiction la Collectivité Léboue. Conscient que la défense efficiente des intérêts matériels et moraux de sa communauté était inséparable de la préservation de son unité, il devait, avec la «complicité» de son regretté «challenger», El hadji Ibrahima Diop, se résoudre à concocter un plan secret qui, une fois à maturité, allait fait l’effet d’une bombe, dans le landernau du «Lébougui».
El Hadji Bassirou Diagne, lors d’un ultime réglage, n’en appela pas moins à la vigilance son frère cadet El Hadji Ibrahima Diop: «Soo taggô séy nit dôko déf muk, suko sa may nioñ yéguéé it du sotti. Konn na ñu gaaw !» (Si tu en informes les tiens notre plan tombera à l’eau ; si mes partisans l’apprennent également nous courront vers l’échec. Donc, agissons vite !). Nous pouvons révéler ici que c’est un ami qui leur était commun, le regretté porte-parole du Khalife du Khalife des Layénes, Cherif Ousseynou Laye, mentor de El Hadji Ibrahima Diop et confident de El Hadji Bassirou Diagne, qui devait en être le détonateur.
Sur proposition des deux compères d’un jour, le marabout avait accepté de se prêter au «jeu», qui devait avoir pour théâtre le Stadium Marius Ndiaye. Prétextant de la tenue des traditionnelles «Sarakhou Ndakaru» (cérémonie ancestrale préhivernale de prières et d’offrandes), les deux Grands Serigne avaient décidé, pour déjouer d’éventuelles résistances de leurs partisans respectifs, de surprendre toute la Collectivité Léboue, en venant ensemble, inopinément, co-présider ladite cérémonie. Il était convenu que le point d’orgue serait un message délivré par Cherif Ousseynou Laye, annonçant solennellement leur réconciliation. Ce plan, secrètement concocté dans le salon de Cherif Ousseynou Laye, à Yoff-Layéne, calibré dans ses moindres détails, comme sur du papier à musique, devait connaître son apothéose par une accolade publique entre les deux Grand Serigne, qui tenaient résolument à matérialiser ainsi leurs retrouvailles. En mettant tout le monde devant le fait accompli ! Mais c’était compter sans l’insatiable faucille de la Grande Faucheuse, qui devait, quelques semaines plus tard, ce 15 juin 2007, arracher à notre affection El Hadji Ibrahima Diop, après une courte maladie.
Par la force du Destin, un climat de concorde similaire devait se faire jour entre El Hadji Bassirou Diagne et feu Massamba Coki Diop (dans l’exercice de sa suppléance de feu El Hadji Ibrahima Diop). Je pus personnellement en être témoin, à l’occasion du grand rassemblement des «Anciennes Gloires de la Lutte sénégalaise», ce 30 octobre 2010, au Cices. En entendant le maître de cérémonie, l’ancien lutteur Manga 2, annoncer au micro ma modeste présence au présidium, comme mandataire de mon oncle maternel El Hadji Bassirou Diagne, Massamba Coki griffonna prestement quelques mots sur un bout de papier qu’il me fit remettre par un des organisateurs de la manifestation : «Tu transmettras mes salutations à ton oncle maternel, El hadji Bassirou Diagne, qui est aussi mon neveu!», avait-il noté de sa fine écriture d’ancien fonctionnaire du Trésor public. Je n’étais pas encore revenu de ma surprise lorsque, de retour à la maison, El Hadji Bassirou Diagne, après avoir religieusement écouté le compte-rendu de ma rencontre avec Massamba Coki, me révéla, dans un éclat de rire, qu’en effet ce dernier était non seulement un oncle pour lui, mais qu’en dépit des apparences ils se faisaient mutuellement des «téranga» (cadeaux) à l’occasion des fêtes religieuses, comme la Tabaski ou la Korité !
Ces civilités devaient se poursuivre jusqu’au rappel à Dieu de Massamba Coki, le 4 février 2013. El Hadji Bassirou Diagne, attristé, avait dépêché, depuis son lit d’hôpital, une forte délégation de notables lébous, dirigée par le Ndéye Jirééw de Dakar El Hadji Sangoné Diagne, qui était porteur de présents et de messages de condoléances auprès de la famille du défunt. Et lorsqu’El Hadji Bassirou Diagne s’éteignit à son tour, 50 jours plus tard, le 25 mars, sa famille et ses proches furent émus aux larmes en recevant des dignitaires et proches parents du défunt Massamba Coki, venus partager la douleur de notre famille.
C’est sur ces entrefaites que l’idée me vint de rendre publique une déclaration (reprise par nombre d’organes, dans leurs éditions du 03 Avril 2013). J’en appelais à la sagesse des vaillants acteurs du «Lébougui», que j’invitais à saisir l’opportunité de cette vacuité inédite du «Serignat», pour jeter les bases d’une réunification de la grande famille léboue. Et quelle ne fut ma surprise de recevoir, vocalement et par texto,beaucoup de témoignages de notables, qui se faisaient l’écho de la nécessité vitale de matérialiser les généreux vœux, longtemps nourris par ces icônes coutumières, qui venaient de s’éclipser presque dans la même séquence temporelle.
J’interpellais dans ma missive les «Ndéy Jiréw» (plénipotentiaires) des défunts «Serigne Ndakaru», en l’occurrence El Hadji Sangoné Diagne (d’obédience Bassirou Diagne) et Alioune Diagne Mbor (d’audience Massamba Coki), pour qu’ils se fassent le point d’honneur, dès la clôture des cérémonies funéraires, d’entamer des échanges sur le devenir de notre collectivité.Ce premier jalon devrait être aisé, pour ces «Ndéy Jiréw»,au regard de leur proche parenté (le second étant l’oncle paternel du premier). Toujours est-il que le camp d’El Hadji Bassirou Diagne pris d’embléeles devants, en mettant sur pied un «Comité des Sages», constitué de grands dignitaires et conseillers coutumiers, avec pour mission de jeter les bases consensuelles sur lesquelles pourrait s’ériger le nouvel édifice des retrouvailles. Il fut retenu d’impliquer étroitement, au niveau des deux sensibilités, les «Ndéye Jambours» (Présidents des Assemblées consultatives), les «Saltiguès» (Défense territoriale), les Président des «Freys» (Conseil des jeunes) et les Imams des 12 «Pinths» (circonscriptions). Ce Comité des Sages s’était engagé à ne laisser aucune sensibilité en rade, de faire preuve d’ouverture d’esprit, de tolérance et de respecter toutes les opinions. Mais surtout de faire preuve de créativité pour qu’une fois les contours de la réunification définis, qu’aucun «ndonbal-tank» (détenteur de titre traditionnel)ne soit déchu de ses charges. Epargnant ainsi, préventivement, la Collectivité Léboue de nouvelles sources de frustrations.L’objectif majeur étant, qu’au sortir des «diokhorbi» (primaires), des Grands Dignitaires-électeurs, que chaque fils et fille de la Collectivité Léboue puisse s’enorgueillir d’apprendre qu’un 19e Grand Serigne de Dakar, authentique rassembleur, transcendant les coteries, véritable porte-étendard du «Lébougui», déterminé à donner corps au rêve depuis longtemps nourri par la longue lignée des dépositaires du titre, a été démocratiquement élu, dans les règles de l’art. Offrant désormais aux Lébous, l’opportunité de s’exprimer à travers une seule et unique voix.
J’avais conclu mon appel en déclarant que cette réunification fraternelle aurait le mérite, en sus des prières que nous sommes redevables aux âmes charitables des deux défunts Grands Serigne, d’être le meilleur service que l’on puisse leur rendre, à titre posthume. Je dois à la Vérité de souligner que la réaction positive de trois proches parents d’Abdoulaye Diop Makhtar, que sont Dial Diop, Doudou Diop et Momar Diop (respectivement frère et oncles du premier nommé), constitua un facteur supplémentaire d’encouragement, à travers la visite qu’ils eurent la générosité de me rendre à domicile. Et qui fut l’occasion d’échanges fructueux et constructifs. Convaincus, que nous étions, que les Lébous, bien que contestataires dans l’âme, étaient réputés pour leur aptitude au dépassement, et dotés de ressorts sociologiques ancestraux leur permettant toujours de se retrouver, après la tempête, en dépit de l’intensité des querelles intestines du moment! Sans qu’il soit nécessaire de revisiter – inopportunément ! – les obstacles humains(d’ailleurs connus de l’opinion) sur lesquels les bons offices du Comité des Sages ont achoppé, retenons que ces bonnes volontés ont finalement été acquis à l’idée qu’ils prêchaient dans le désert. Les démons de la division avaient eu le dessus ! Tant il est vrai que pour faire la paix il faut au moins être deux !
Actualité oblige, les bonnes volontés de la Collectivité Léboue, toutes obédiences confondues, seraient bien inspirés de se référer à l’estimable exemple que vient de nous administrer la classe politique, à l’occasion du lancement du «Dialogue nationale», initié par le chef de l’Etat. Qui aurait pu imaginer, il y a seulement quelques semaines, que des libéraux, des socialistes, des marxistes, des républicains, des centristes, et des… non-alignés pourraient partager la même Salle des banquets du Palais de la République, pour affirmer, avec une haute civilité, leur commun vouloir de vie commune, au-delà de leurs positions partisanes respectives ? La Collectivité n’a pas le droit de rater ce train de l’histoire !Elle doit se faire le devoir d’emboiter le pas à ceux que rien ne pouvait à priori réunir autour d’une même table. Les deux chefs de file de notre vaillante communauté devraient saisir l’heureuse occurrence de ce vent d’apaisement, qui souffle présentement sur notre cher pays, pour mettre en adéquation leur posture et leurs actes. En effet,quoi de plus cohérent, après avoir honoré de leurs présences (l’un physiquement et l’autre par procuration) ces importantes assises du 28 mai dernier, que de mettre à leur tour le pied à l’étrier !
Il convient, au passage, de saluer les démarches fraternelles d’amis commun aux deux camps, que sont El Hadji Pala Mbengue, opérateur économique, et Alioune Badara Béye, de l’Association des écrivains du Sénégal. Les visites de courtoisies dont ils m’auront récemment gratifié, témoignent, s’il en était besoin, que les espoirs sont de plus en plus partagés, et à nouveau permis, de voir s’impulser un réel rapprochement entre deux frères de sang, dont les géniteurs respectifs sont issus de la même mère (Adja Mariéme Diop Makhtar–génitrice également de Adja Fatou Diagne, ma propre mère)! C’est le même écho que semble avoir eu l’appel pathétique de leur cousin commun, le maire de Thiès, Talla Sylla, dont le cri du cœur,lors du lancement de ce dialogue nationale, avait ému, en direct à la télévision, de nombreux compatriotes. Sans oublier la noble intention pacificatrice, que m’aura personnellement exprimée en aparté, dès la levée de séance de desdites assises, mon aîné, El Hadji Momar Samb, leader du Rtas,
J’invite donc mon cousin maternel Abdoulaye Diop Makhtar à saisir l’opportunité de ce mois béni de Ramadan, chargé de grâces et de faveurs divines, pour prendre langue avec son frère cadet Pape Ibrahima Diagne ! Je suis convaincu que les bénédictions d’outre-tombe des Anciens les accompagneront et les inspireront pour trouver la formule idoine d’un nouveau partenariat. Ils sont réputés crédités des ressources intrinsèques nécessaires pour donner corps à ce noble vœu, longtemps muri par les deux défunts «Serigne Ndakaru», mais qui semblent à présent bien intégré dans les esprits de larges franges de la Collectivité Léboue.
M’adossant à nouveau sur la centralité de ce hadith du Prophète Mouhamed (psl) disant que «Les actions valent par leurs intentions», je réitère à mon cousin maternel Abdoulaye Makhtar Diop, Grand Serigne de Dakar, le même fervent appel ! D’autant que des chantiers gigantesques attendent la Collectivité Léboue. Plutôt que de nous regarder éternellement en chiens de faïences, nous devrions en ces heures cruciales relever ensemble les multiples défis qui nous interpellent. Il est impératif que nous soyons plus que jamais unis au «front»!Comme celui du foncier, où d’injustes expropriations forcées, ont fini par réduire de braves familles lébous de souches au statut de parias, parce qu’étant devenus de véritables étrangers sur la terre de leurs ancêtres ; pendant que ceux du littorale, qui depuis leurs aïeux vivent de ressources halieutiques, ne savent plus où donner de la tête, depuis que des bateaux-usines étrangers, revigorés par de nébuleux contrats d’exploitation, viennent impunément racler nos fonds marins, réduisant au chômage des familles entières de pêcheurs artisanaux, dont les fils valides ne trouvent d’autre salut que dans l’immigration clandestine. Souvent en bravant les océans, au péril de leurs vies… Pour ne prendre que ces exemples, illustrant à suffisance l’urgence de reléguer à l’arrière-plan nos égos et de mettre un bémol à nos particularismes, pour les intérêts supérieurs de ceux qui nourrissent, encore, de légitimes espoirs pour la prise en charge efficiente de leurs préoccupations, par leurs mandants.
Le Grand Serigne Abdoulaye Makhtar Diop, en sa qualité d’aîné, pourrait parfaitement prendre l’initiative de cette rencontre, dont les plénipotentiaires des deux camps auront préalablement défini les contours. Il ne dépend que de nous,en faisant preuve de créativité et de générosité, dans le respect mutuel et en ayant le Pardon en bandoulière, de faire de ce Dialogue inter-lébou (pour ne pas dire ce «ndeup» national) un véritable élan régénérateur, base d’une renaissance salutaire et constructive!
Je ne saurais conclure sans préciser que cette déclaration est une initiative strictement personnelle. Les «protagonistes» en prendront connaissance en même temps que tout le monde. Tant il est vrai qu’elle aura été exclusivement motivée par ce que me dicte présentement ma conscience !
Mame Mactar GUEYE
Vice-Président de JAMRA, mamemactar@yahoo.fr