Le Président Macky Sall, dans l’euphorie de sa victoire du 25 mars 2012 et à chaud, avait annoncé et même pris la décision de ressusciter cette fameuse loi de la répression de l’enrichissement illicite, en créant la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) en lieu et place de cette loi. En effet, celle-ci non abrogée était encore en vigueur, mais dormait inerte quelque part. Cette décision opportune, qui allait bien dans le bon sens, avait été saluée et considérée par beaucoup de Sénégalais et même des étrangers, comme une mesure courageuse salutaire. Elle semblait donner un signe annonciateur d’une volonté manifeste de lutter enfin contre la corruption, la fraude, les détournements de deniers publics, la concussion, etc. Par conséquent, beaucoup voyaient légitimement à travers cette mesure comme une sorte de tentative de rupture avec les méthodes et pratiques malfaisantes qui étaient en cours dans les régimes passés.
Mais hélas, que nenni ! Car après quatre ans de tergiversation, de surplace et de tâtonnements, voilà que nous retombons sur nos pieds, en revenant à la case départ. Et la libération des principaux incriminés mis en cause par la Crei dans l’affaire des biens mal acquis en donne un aperçu clair. Autrement dit, la Crei et sa traque des biens mal acquis n’étaient en vérité que du cinéma, de la comédie ou très exactement une farce de mauvais goût, faite aux Sénégalais.
En effet, le Président Macky Sall, après de nombreuses et tonitruantes déclarations au ton guerrier et populiste à l’entame de son magistère, comme par exemple : «je ne protégerai personne, la traque des biens mal acquis se poursuivra jusqu’à son terme et sans aucune exception, la patrie passe avant le parti. Dorénavant, rien ne sera plus comme avant, etc», le voici qui finit par mettre de l’eau dans son vin. Et cependant, c’était bien ses propres termes et propos en 2012. Aujourd’hui, après quatre ans de pouvoir, nous nous rendons bien compte qu’en réalité, tout cela n’était que de la poudre qu’il nous jetait aux yeux pour faire du spectacle. Sachant que les Sénégalais avaient soif de justice et d’une bonne gouvernance, il a ainsi fait semblant de répondre aux exigences et vœux des populations par de telles déclarations pour donner espoir. Au demeurant, par de tels propos, il a voulu nous faire croire dès lors que sa volonté de rupture avec la gestion tortueuse et le pillage des ressources du pays était fermement décidée et effectivement prise.
Ce qui est navrant, c’est que le Président Macky Sall, devant tous les Sénégalais et à la face du monde, nous avait bien et fermement promis, d’instaurer, je le cite : «Une gouvernance vertueuse, sobre, transparente, efficiente, efficace, etc., le tout avec un gouvernement de 25 membres seulement.» Il nous avait aussi promis de procéder à «une réforme profonde et refondation de nos institutions pour les conformer à l’avancée de notre démocratie et aussi de réduire son mandat de 7 à 5 ans.» Tous les Sénégalais de bonne foi sont parfaitement édifiés aujourd’hui qu’il n’en est rien. Et si ce n’est pas quasiment le reniement de beaucoup de ses promesses, il n’en est pas loin. L’engagement, proclamé officiellement par le Président Macky Sall à lutter fermement et avec toute la rigueur requise contre la corruption, la fraude, les privilèges sous toutes leurs formes reste encore au niveau du discours. Il en est de même de la lutte contre l’impunité en faveur des délinquants en col blanc, là aussi, l’effectivité ne se traduit pas jusque-là dans les faits. Bien au contraire, avec ce qui vient de se passer à la Crei où, finalement, même les reconnus coupables par la justice ont été libérés, sauf Karim Wade qui ne tardera pas d’ailleurs à suivre. Dès lors, pour dire que la liste des 25 autres restants et inconnus jusqu’à présent aura le même sort.
En vérité, tout cela, n’était plutôt que du trompe-l’œil, et a tout l’air d’une machination afin d’endormir les Sénégalais, d’abuser de leur confiance, de les détourner de l’essentiel et de leur vigilance face à la conduite du pays. En fait, les détourner de tout le nécessaire qui doit être toujours permanent et en état de veille. Il est évident que si de telles conditions sont remplies, elles permettent et donnent un environnement favorable au pouvoir d’agir à sa guise et de revenir sans état d’âme sur tous ses engagements antérieurs sans être inquiété. Voilà le cas de figure qui s’est présenté au Sénégal avec Macky Sall.
A présent, quelle est réellement l’utilité de l’existence d’une Crei impuissante et stérile parce qu’édentée ? Donc, sans pouvoir réel ni autonomie d’action. Et quelle est sa raison d’être dans la mesure où son action et tous ses efforts combinés pour traquer les délinquants en col blanc peuvent être annihilés par la simple volonté du président de la République, uniquement, sur la base de ses pouvoirs excessifs ? Au fond, dans la mesure où les conclusions des investigations et enquêtes de la Crei sur les biens mal acquis ne suffisent plus pour sanctionner les auteurs de tels délits, à quoi servent-elles alors ? Ou, s’ils sont sanctionnés, le président de la République peut intercéder pour les faire libérer, nonobstant la gravité des faits. Une intercession, rien que pour satisfaire les besoins d’une hypothétique réconciliation politique avec son «père et mentor». A quoi bon alors maintenir un tel organe qui nous coûte non seulement énormément d’argent, mais de surcroît ne nous sert finalement à rien du tout ?
Dans le cas présent de la Crei, le pays a perdu doublement dans cette opération, du reste inopportune, car non seulement les biens volés n’ont pas été récupérés, mais en plus de cela, tout l’argent dépensé pour entretenir l’organe avec son personnel, ainsi que tous les frais déboursés aux fins des investigations et des enquêtes, soi-disant, sont aussi perdus. Et tout cela va passer par pertes et profits sur le dos des contribuables sénégalais. Et comme dit l’adage wolof : «ñiak nañu bubu ñiak cenga» (nous avons perdu le singe ainsi que la chaîne qui l’attachait).
En Afrique généralement, et au Sénégal en particulier, il n’y a pas de doute, c’est ainsi qu’une oligarchie se forme au sommet de l’Etat sur le dos du Peuple. En effet, elle pille impunément les ressources publiques du pays, s’en accapare largement pour la formation de son capital d’abord et son accumulation ensuite. Tout cela, aux fins strictement de domination absolue des autres composantes de la société, et de pouvoir régner comme le seul maître du pays. De fait, elle tentera tout, afin d’exclure toutes les forces vives du pays, si elles sont inorganisées. Ainsi, au fur et à mesure, elle se transforme progressivement pour devenir une aristocratie avec plusieurs composantes dont celle maraboutique, afin de régner sur le tout le pays d’aujourd’hui. Et enfin, grâce aux immenses biens volés, donc biens mal acquis, et accumulés depuis fort longtemps, cette aristocratie disposera ainsi d’une puissance financière extraordinaire, comme arme. Alors, de connivence avec le pouvoir en place, ils gèrent et contrôlent ensemble totalement le pays à leur convenance. Bien entendu, en dehors des intérêts des travailleurs et larges masses populaires.
L’habitude étant une seconde nature, la Crei va rejoindre, comme un figurant aussi, ses prédécesseurs, organes de contrôle, qui n’existent en fait que sur le papier et la nomenclature des organes. Il faut le dire, ce n’est point la compétence de ces organes en tant que tels qui est mise en cause, mais plutôt leur utilité et efficacité face aux besoins pour lesquels ils ont été créés qui posent problème et deviennent stériles. En effet, nous avons constaté que les rapports de l’Ige, la Cour des comptes hier, la Crei aujourd’hui sont dans les tiroirs ou sous le coude du président de la République, inexploités à bon escient, et peut-être, celui de l’Ofnac le sera aussi demain, qui sait ? D’ailleurs, à propos de l’Ige, j’avais publié un article le 30/07/2014 dans lequel je m’interrogeais, ainsi : «L’Ige sert à quoi alors si ses rapports ne sont pas suivis de sanctions nécessaires ?»
En effet, comme dans le cas de la Crei aujourd’hui, les délinquants qui avaient été épinglés hier par l’Ige, la plupart d’entre eux n’ont pas été inquiétés pour avoir bénéficié d’une impunité inacceptable. Ils ont ainsi gardé leur butin tranquillement. Certains d’ailleurs se sont transformés en opérateurs économiques ou responsables politiques dans le parti au pouvoir. Dans tous les cas, ces délinquants-là sont libres comme le vent, jusque-là. Mieux certains d’entre eux ont été même recyclés sous le régime de Macky Sall et gèrent encore par-dessus tout nos ressources publiques. Cette faveur inacceptable leur est accordée pour avoir simplement transhumé à l’Apr ou créé un mouvement de soutien en faveur du Président. Par conséquent, rien n’a encore changé sous le ciel ombrageux du Sénégal, en matière de lutte contre l’enrichissement illicite, la corruption, la fraude, les privilèges et tant d’autres malversations de mal gouvernance.
Il est absolument indécent, moralement et socialement inconcevable que le pouvoir libéral sous Macky Sall applique cette iniquité de traitement inégal entre les gros voleurs et les petits larcins au Sénégal. En effet, les premiers cités bénéficient quasiment d’une faveur inacceptable qui traduit purement de l’impunité, tandis les seconds, dans le même temps, sont soumis injustement à des conditions inhumaines d’incarcération insoutenables dans nos prisons. Au nom de quoi et de quelle justice une telle discrimination doit se faire ? En tout cas, si tous ceux qui étaient traqués pour enrichissement illicite par la Crei sont effectivement élargis aujourd’hui, il ne devrait plus rester en prison, aucun prisonnier condamné pour simple vol. Sinon, nous avons en fait au Sénégal une justice à deux vitesses et de classe.
Mais franchement, nous devons nous poser légitimement la question de savoir dans quelle République, dans quel pays et dans quel monde sommes-nous, nous Sénégalais ? Pourquoi diantre notre pays est-il toujours si mal géré par ses dirigeants passés et présents ? Et malgré un pillage systématique de ses ressources publiques par ses dirigeants au sommet de l’Etat et leurs amis, jamais jusque-là ils n’ont été sanctionnés sévèrement à la hauteur de leurs fautes. Et pratiquement ce sont les mêmes, à quelques exceptions près. C’est dommage que les populations au sein desquelles se trouvent pourtant les forces vives de la Nation et des patriotes ne réagissent pas en conséquence ou en tout cas ne manifestent pas comme il se devait leur ras-le-bol, leur indignation et désapprobation d’une manière sans équivoque, nette et claire, face à une si grave situation récurrente ?
Le Président Macky Sall semble avoir choisi délibérément de s’engager dans une voie périlleuse. Une voie comportant cependant tous les risques possibles pour lui. Oui, en préférant retourner vers sa famille libérale, celle-là qui ne voulait de lui en 2012, il tourne ainsi de fait le dos à la majorité des Sénégalais qui l’avaient élu par espoir, sans rien lui demander en retour, si ce n’est de bien conduire le Sénégal vers un meilleur devenir. Hélas, tel n’est pas sa vision. Cela est tout simplement une trahison de ses alliés des moments difficiles.
Alors, laissons au temps, lui le meilleur juge et au Peuple, lui le seul souverain, donner demain leur verdict. Et l’avenir nous dira si le jeu en valait la chandelle.
Mandiaye GAYE
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