A l’occasion de la pose de la première pierre du marché d’intérêt national et de la gare des gros porteurs de Diamniadio, vous reprochiez, dans votre discours, le secteur privé national d’être lent et d’accumuler beaucoup de retard dans la livraison des infrastructures dont la réalisation lui est confié. En conséquence vous l’invitez à s’inspirer de l’entreprise turque à laquelle a été confié ce marché d’un montant de plus 50 milliards et qui devrait livrer les infrastructures dans un délai de 14 mois.
Votre position à l’endroit du secteur privé national n’est pas une nouveauté pour qui suit l’actualité sénégalaise, et révèle encore une fois que vous ne croyez pas au secteur privé national du pays que vous dirigé.
Quelques faits exclusifs du secteur privé national
En décembre 2015, alors que se rencontraient le secteur privé national et le Ministre de l’Economie et des Finances, Monsieur Kama du CNES déclarait « Je trouve un peu paradoxal que le gouvernement privilégie l’importation au détriment de la production nationale, et que la réussite du Pse passe forcément par une industrialisation du secteur privé sénégalais ».
Sous le prétexte d’un prêt concessionnel pour la construction de l’autoroute Thies – Touba d’un montant d’au moins 412 milliards de FCFA, ce marché public énorme est confié à l’entreprise chinoise Henan Chine.
Pour construire le centre de conférence de Diamniadio le pouvoir, malgré un apport de 15 milliards de l’Etat du Sénégal, confie le marché financé à hauteur de 25 milliards à une entreprise turque.
Plus déplorable encore, la mise a disposition de la gare routière pompier connue de tous les dakarois à une entreprise marocaine ADDOHA pour l’érection d’une cité dite de l’émergence au coût de 45 milliards.
Voila un espace stratégique (situé sur l’autoroute), estimé à 2,5 ha, dédié à la construction de logements par un promoteur immobilier étranger (comme si c’est ce qui manquait le plus au progrès économique du Sénégal) alors qu’on aurait pu y ériger une cité des affaires (comme l’avait pensé le Président Wade) qui disposerait de toutes les commodités et modernités de standard international pouvant inciter des multinationales à s’installer dans notre pays, voilà qui aurait pu être structurant pour notre économie.
Le secteur privé national, fer de lance de toute économie sérieuse
Encore faudrait-il bien le comprendre, toute économie qui veut s’émanciper durablement, sur des fondamentaux solides ne peut snober son secteur privé national.
Monsieur le Président nous somme d’accord avec vous que le secteur privée national n’est pas encore fort et marche à pas de caméléon. Cependant convenons que, le sort de tous les sénégalais étant entre vos mains, il appartient à votre régime et à vos services de renforcer l’entreprenariat national de sorte à le rendre robuste et compétitif face à la concurrence extérieure.
Comprendre le rôle du secteur privée locale dans une économie
Il joue un rôle hautement stratégique dans le développement et la sécurité économique d’un pays. D’abord il permet de négocier une certaine indépendance économique, en libérant l’économie nationale de toute domination ou emprise (« prise en otage ») étrangère (nous avons suivi l’ingérence du gouvernement français, par la modification des règles du jeu, lorsqu’il s’est agit de la vente du pôle énergie d’Alstom à General Electric une entreprise étrangère américaine).
Le secteur privé national est celui à même de consentir plus d’efforts que les entrepreneurs étrangers lorsque l’économie se trouve en difficulté en acceptant les arrangements qui sont dans l’intérêt supérieur de la nation.
Monsieur le Président votre politique d’emploi plutôt que de la faire supporter par les finances publiques à travers le recrutement massif dans la fonction publique, que vous êtes en train d’opérer, peut être soutenu par le secteur privé national. Il est plus facile de favoriser l’implantation d’entreprises par des nationaux que convaincre des entrepreneurs étrangers à venir s’implanter au Sénégal. Le débat suscité annuellement par le classement Doing Buisness en est une parfaite illustration.
Les marchés cités plus haut vont coûter au Sénégal près de 600 milliards. Toutefois, cette manne va enrichir des entreprises étrangères qui n’ont pas forcément un siège dans le pays si ce n’est un simple bureau de représentation et donc vont rapatrier cette argent dans leur pays ce qui ne bénéficiera pas aux Sénégal.
Dès lors, ces entreprises étrangères du fait qu’elles ne sont pas implanter au Sénégal ne sont pas soumis au paiement de tout l’impôt qui aurait pu leur être imputé.
Soutenir son secteur privé national, ce n’est pas une question d’humeur mais plutôt une question de vision, de politique économique, bien réfléchies du reste. Les gains peuvent être les suivants :
– c’est d’abord une solution à la création d’emploi et donc à l’absorption du chaumage,
– c’est l’aider à grandir, le rendre robuste et plus compétitif de sorte à aller à l’assaut du marché extérieur le marché intérieur étant faible,
– être compétitif et atteindre le marché extérieur implique une augmentation de la production, un chiffre d’affaire et un bénéfice plus important et donc des impôts plus élevés à payer au profit de l’Etat. Il percevra plus d’impôt sur le bénéfice, plus d’impôt sur les salaires car le secteur privé national embauchera davantage. Ces employés disposant d’un pouvoir d’achat, consommeront davantage et paieront davantage de TVA.
Ainsi une classe moyenne plus importante se construira au Sénégal et attirera des entreprises étrangères du fait du pouvoir d’achat dont elle disposera.
S’inspirer du modèle Sud Coréen
Hyundaï, Samsung, Daewoo etc. qui ne connait pas ces entreprises. Celui qui n’en a jamais obtenu un objet fabriqué, a tout de même entendu évoquer le nom de ces multinationales Sud-Coréennes. Eh bien elles sont le fruit d’un modèle audacieux du Président Park Chun Hee à son époque, c’était à partir 1961.
Ce Général-Président, à son arrivée au pouvoir, avait fait le pari de doter la Corée du Sud de grandes entreprises, des champions en quelque sorte.
Il fallait permettre aux entreprises de devenir des groupes puissantes et diversifiées qui devaient conquérir de grandes parts du marché intérieur et aller à l’assaut du celui extérieur.
Pour ce faire, une relation étroite naquit entre les autorités du pays et les entreprises. Celles-ci sont couvées et bénéficiaient de prêts à taux faibles et d’incitations fiscales entre autres avantages.
Aussi, plus d’une décennie après son accession au pouvoir, le Président Park lança-il ce qu’il appelle « l’initiative des industries lourdes et chimiques » et l’aide du gouvernement aux entreprises n’était pas fortuit, elle a ciblé des secteurs de pointe tels que l’acier, la pétrochimie, les métaux non ferreux, la construction navale, l’électronique et les machines-outils.
Résultat des courses, situé aux environs de 260 $ US au début des années 1960, le PIB par habitant de la Corée du Sud est passé à près de 34.500 $ US en 2014, le niveau de celui des pays développés.
Monsieur le Président si vous voulez léguer au sénégalais une économie sur les rampes d’un développement durable et inclusif, vous avez l’obligation de reconsidérer votre position vis à vis de votre secteur privé national, de le soutenir de sorte à créer des champions de la production dignes de ce nom.
Si les 600 milliards de marchés publics payés à des entreprises étrangères avaient été servis aux entreprises sénégalaises, avec un encadrement et des mesures coercitives en cas de manquements, ils auraient pu les aider à grandir et bénéficier à l’économie nationale.
Nous l’avons compris, Monsieur le Président, votre ambition est de court terme. En effet, ce qui vous importe, c’est la réalisation tout azimute d’infrastructures vous permettant d’exhiber fièrement votre bilant en 2019 de sorte à être réélu, malheureusement au détriment de la jetée des fondamentaux d’un épanouissement durable de l’économie sénégalaise.
Djibril SONKO
Inspecteur du Trésor
En charge de la Commission économique de PASTEF