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Opinions, Idées et Débats des Sénégalais

Lettre Ouverte à Youssou Ndour

Lettre Ouverte à Youssou Ndour

Monsieur le ministre, je tiens à vous faire part de mes sentiments à travers ce procédé qui, du reste, n’est pas approprié parce que dépourvu de toute discrétion. Mais je vous assure, d’emblée, qu’il est sans vanité ni prétention. Je l’ai choisi, car à travers vous, je veux attirer l’attention de tous les Sénégalais, mais également c’est le seul moyen par lequel je suppose pouvoir accéder à votre haute bienveillance.

Monsieur le ministre, j’ai commencé à écouter votre voix de rossignol et danser au rythme irrésistible de votre mbalax harmonieux étant tout jeune et ne comprenant rien de ce fort message que vous véhiculez à travers ce moyen qu’est la musique. Cependant, devenu conscient et consciencieux, j’ai pu accéder à l’essence de votre message et mesurer votre degré d’engagement auprès de la masse laborieuse.

Néanmoins, monsieur le ministre, depuis votre descente aux enfers, que dis-je, votre entrée dans la scène politique, avec vos groupes de pression – mouvement politique et groupe de presse – j’ai du mal à vous reconnaître. Pourtant, Bob Marley dont vous aimez tant reprendre les chansons et paroles chantait : «Don’t gain the world and lose your soul. Life is more than silver and gold.» (Ne gagne pas le monde en perdant ton âme. La vie est plus précieuse que l’argent et l’or). Pourtant, la coqueluche de la Jamaïque était très convoitée par les deux rivaux politiques : Michael Manley et Edouard Seaga. Malgré la force de la tentation, il a su rester du côté du Peuple, en portant la voix des sans voix. Cependant, votre douteuse tergiversation au premier tour de la Présidentielle en 2012 en dit long, comme votre engagement opportuniste auprès du Président Macky Sall au deuxième tour. Monsieur le ministre, j’ai été sidéré de vous entendre, à bout d’arguments, défendre la liste de Benno bokk yakkati, pardon, Benno bokk yaakaar durant les élections locales dernières à Dakar, à Saint-Louis et à Ziguinchor. Une démarche qui s’est soldée par un fiasco humiliant, preuve de votre perte de toute crédibilité auprès des Sénégalais.

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Est-ce que, Monsieur le ministre, vous vous souciez du souvenir que vous allez laisser dans l’esprit des Sénégalais, à l’instar de Bob Marley pour les Jamaïcains et le monde entier ? Etant l’Africain vivant le plus célèbre au monde, les actes que vous posez au quotidien doivent être dignes d’un patriote et d’un panafricaniste, d’autant que vous êtes notre fierté. Vous êtes la fierté de toute votre famille. Si Bob Marley dit que le rasta ne meurt pas, c’est parce qu’il vit éternellement dans le cœur des hommes. Une conception de l’immortalité qui résonne comme celle de Napoléon quand il affirma : «L’immortalité est le souvenir qu’on laisse dans l’esprit des hommes.»

Le tonitruant avocat, maître El Hadji Diouf, le farouchement indépendant député du Peuple, a fait une sortie au vitriol pour fustiger le conflit d’intérêts que peut susciter votre position dans le régime et vos affaires privées. Et le traitement de l’information de la part, surtout, de votre quotidien L’Observateur, et de votre télévision la Tfm lui a donné raison. Sans pour autant parler d’autres possibles traitements de faveur comme en bénéficient des boîtes à la solde du régime. En témoigne l’article biaisé et partial concernant l’information sur le renouvellement de la licence de l’opérateur de téléphonie mobile : Orange. Un amas d’envolées lyriques et laudatives qui frisent le panégyrique et le «griotisme» sur une trahison, à long terme, aussi haute que la dilapidation de cette licence sur l’autel de la France-Afrique. De toute façon, comme le disait De Gaulle : «La vie d’un homme, même d’Etat, est une insignifiance au regard du destin d’une Nation.»

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Au nom de quoi, Monsieur le ministre, voulez-vous brader cette aura et cette estime que les Sénégalais portaient tant à votre égard ? Et pourtant, c’est cette même façon de faire, ce dirigisme étatique que vous avez farouchement combattu du temps de Wade qui, du reste, est plus patriote et nationaliste et se soucie plus de l’intérêt des Sénégalais que Macky Sall. Comme l’illustre son refus catégorique de cession des actions de Sonatel à la multinationale tentaculaire et impérialiste française : France Telecom, mais aussi des Ape. Alors que l’histoire vient de lui donner raison, car ce sont des accords du même acabit que l’Europe refuse pour les Etats-Unis : traité transatlantique. Pourquoi nous forcer à signer des accords qu’elle refuse à son plus proche allié ? Il y a anguille sous roche.

Dans son œuvre tragique, La tragédie du roi Christophe, Aimé Césaire faisait dire, en substance, à la femme du roi, à l’encontre de l’un de ses plus grands thuriféraires : «C’est pourtant ce que nous avions tant combattu auparavant et que vous êtes aujourd’hui le plus grand défenseur.»

 

Elimane BARRY

Professeur d’Anglais

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