Barack Obama a dit : «En politique comme dans la vie, l’ignorance ne saurait être une vertu.»
A l’orée de l’élection présidentielle de 2007, la tension était vive. Les leaders de l’opposition d’alors disaient que le président était en train de manœuvrer afin de reporter cette élection qui devait lui être fatale. Alors qu’il avait tout préparé pour la gagner ! Une marche avait été initiée pour lui imposer le respect du calendrier républicain. Il n’en demandait pas tant ! Pourtant, l’audit du fichier, cette année-là, avait révélé des failles profondes tendant à accréditer la préparation d’une fraude massive avec, à la clé, plus d’un million d’électeurs fictifs. Mais comment pouvait-il en être ainsi alors qu’on avait procédé à une refonte totale du fichier électoral avec de nouvelles cartes d’identité et d’électeur sécurisées et numérisées ? Utilisant de surcroît la biométrie, la panacée, l’arme de dissuasion contre toute tentative de fraude !
Il est, à ce sujet, assez symptomatique de relever que le Sénégal, ainsi que beaucoup de pays d’Afrique de l’Ouest se sont lancés dans la biométrie de masse et la Cedeao se propose d’instituer une nouvelle carte d’identité biométrique pour l’ensemble des pays membres alors que, dans le monde occidental où cette technologie a été mise au point, aucun Etat ne s’y est aventuré à cause de lois sur les données personnelles assez contraignantes. Elle a principalement été élaborée pour lutter contre le grand banditisme, la criminalité transfrontalière et toutes les formes de terrorisme. Alors que nous, nous l’utilisons pour, dit-on, garantir l’unicité de l’électeur sur les listes électorales. Ne serait-il pas plus judicieux de chercher à obtenir un état civil national fiable où un citoyen ne pourrait pas s’amuser à avoir plusieurs identités ?
Toujours est-il que, lors de cette refonte, acceptée par tous les acteurs politiques et les populations, de biométrie, il n’y en eut point. Ou plutôt si : il y a bien eu des relevés d’empreintes à l’aide de capteurs, mais le système de reconnaissance automatique des empreintes digitales (Afis) n’était pas opérationnel ou n’existait pas tant et si bien que lorsqu’il a fallu, en 2008, introduire les passeports biométriques, une autre procédure avait été mise en place avec un nouveau système, lequel identifie les demandeurs par leurs empreintes digitales. Nous sommes toujours dans le même ministère ! La biométrie n’était d’ailleurs pas le seul biais de cette refonte, car la base de données était aussi mal embarquée avec des champs mal définis, les noms et prénoms acceptant des signes et des chiffres, mais le plus cocasse c’est la date de naissance, véritable champ de patates, qui acceptait n’importe quel caractère ! A quoi bon utiliser l’environnement Oracle® et SQL server pour en arriver à ça ? Que devient le format de date prédéfini à partir duquel on peut lancer des requêtes «normales» ? Ce fait est compréhensible dans la mesure où, dans notre pays, nous avons le même comportement, vis-à-vis de l’informatique, qu’en Europe dans les années 70-80, avec des décideurs qui ne font que «parler français», n’y comprennent rien, croient savoir ce qu’ils veulent et prennent leurs désirs pour des réalités.
A l’arrivée, la bérézina avait été de taille avec des résultats très parlants : dans tous les bureaux de vote de Dakar, par exemple, les résultats étaient identiques pour chaque candidat proportionnellement au nombre de votants et la même courbe se retrouvait au plan national ! Il est loisible à tous les incrédules d’aller demander ces résultats au tribunal départemental de Dakar pour aboutir aux mêmes constatations. Certains leaders «du haut de leurs quarante années de militantisme politique», n’y avaient vu que du feu ! Les plus naïfs vous diront qu’ils étaient dans les centres de vote et qu’ils ne se sont pas aperçus de la triche. Où a-t-on vu un tricheur qui fait tout pour se faire attraper ? Un professeur de maths qui surveille un devoir et qui, au moment de la correction, se rend compte qu’il y a plusieurs copies avec des démonstrations identiques est bien incapable de dire comment les élèves ont procédé, mais est bien obligé de donner un zéro collectif ou de reprendre le devoir.
Dans notre cas, les leaders, interloqués, avaient décidé de boycotter les législatives de la même année, en ferrant le candidat arrivé second lors de la présidentielle au cours d’une conférence de presse dans un hôtel de la place. Rappelons-nous qu’en 2004, l’ex-Premier ministre «jardinier des rêves de son président», avait été démis de ses fonctions avec fracas, puis persécuté et emprisonné à cause, nous disait-on, de malversations commises sur les fameux chantiers de Thiès. Libéré, puis blanchi, il était devenu la coqueluche de certaines franges de la population au point que son rang de second avait été jugé crédible. En 2008, bis repetita avec la mise à l’écart de son remplaçant à la Primature, promu, après 2007, président de notre Assemblée nationale. Devenu lui aussi crédible, il arriva bien second en 2012 mais il y eut un second tour, cette fois-là, qui fut fatal à l’homme qui voulait à tout prix se débarrasser des communistes attardés et autres potentiels empêcheurs d’installer un pouvoir libéral pendant cinquante ans. Encore que…
On s’aperçoit d’ailleurs qu’au Bénin, un stratagème similaire avait été monté de toutes pièces par les deux compères avec une tentative d’empoisonnement et une échappée rocambolesque en France… Devenu, lui aussi, crédible, l’homme d’affaires qui avait aidé le banquier à obtenir le fauteuil tant convoité de président, aurait été ainsi récompensé à son tour. Cette histoire récente est en train de se dérouler sous nos yeux.
Aujourd’hui, l’on nous chante qu’il y aurait un stock mort d’environ un million cinq cents mille électeurs et qu’il faudrait donc procéder au toilettage ou à la refonte du fichier électoral. Qui peut être assez naïf pour croire pareille chose ? C’est plutôt la pagaille savamment organisée lors de la refonte de 2005-2006 qui a permis, avec la confusion entre cartes d’identité et cartes d’électeur, d’obtenir ce nombre élevé d’électeurs fictifs. Et là aussi, les chiffres parlent : en 2007, les électeurs étaient au nombre de 4 917 160, les votants environ 3 500 000, ce qui avait correspondu à un taux de 70 % de votants. Pour les législatives suivantes, largement boycottées, on nous a servi 35 %, soit environ plus d’un million sept cent mille votants, ce qui était vraisemblablement impossible. Ensuite, aux locales de 2009, remportées haut la main à Dakar grâce à une forte surveillance et l’obtention de la carte électorale, bureau de vote par bureau de vote, un mois avant le scrutin, le taux officiel était de 56 % pour un taux réel de 45 % (44,89 % très exactement), soit une baisse d’environ 25 % avec la présidentielle de 2007.
Lors de la présidentielle de 2012, il y a eu, au premier comme au second tour, environ 51 % de votants, soit un peu plus de 2 900 000, pour quelque chose comme 5 400 000 inscrits. Par quelle magie a-t-on pu arriver à un nombre de votants, en 2012, inférieur de 600 000 à celui de 2007, avec une augmentation d’environ 500 000 électeurs ? Entre temps, lors de l’audit de 2010, effectué par l’Union Européenne, faut-il le préciser, en vase clos, les fameux experts avaient dénombré, dans un rapport de plus de 300 pages, un million trois cent mille (1 300 000) photos floues qu’il fallait reprendre ! On se demande encore comment ce décompte a été réalisé. Inutile, donc, d’aller jusqu’au référendum du 20 mars avec, paraît-il, plus de mille bureaux de vote fictifs, pour se faire une religion sur ce fichier.
Mais, ce qui est en cause, ici, c’est la manière dont cette refonte a été menée et qui nous vaut aujourd’hui, seulement dix ans après, d’envisager une seconde refonte. C’est tout simplement ahurissant ! Car, en réalité, ce qui intéresse la classe politique, c’est le fichier électoral, les cartes d’identité étant l’affaire des services de police et de gendarmerie à travers le service d’identification nationale. Et, lorsqu’on entend qu’il serait possible de fusionner la carte d’identité et la carte d’électeur en une seule, dans un pays où le vote n’est pas obligatoire et où on peut obtenir la carte d’identité bien avant l’âge requis pour voter, on se demande quel est le but poursuivi ! On va encore régler le problème d’un pouvoir, pour nous apercevoir, en 2024 ou 2029, que nous avons, une fois de plus, été bernés de première et procéder à une autre refonte ?!? Mieux, on risque de se retrouver avec des taux de vote artificiels ou préfabriqués, pour la bonne et simple raison que nous ne maîtriserons pas le corps électoral réel.
Las ! Il est bien évident que nous n’avons pas besoin de biométrie puisque le vote ne sera pas biométrique et toute tentative serait irrémédiablement vouée à l’échec parce que nous avons du courant de très mauvaise qualité et la couverture est largement insuffisante. Ensuite, cela reviendrait à hypothéquer non pas seulement les législatives de 2017 mais aussi la présidentielle de 2019, si tant est qu’on veut faire ce travail correctement.
La vérité est que la confiance est absente et, pour la restaurer, il faut absolument un ministre de l’Intérieur à équidistance de tous les acteurs politiques, aussi instaurer le bulletin unique afin d’éviter les enfantillages consistant à brandir les bulletins des autres candidats et exiger un scrutin qui commence à 08H 00 et finit à 18H 00 sans possibilité de prolongation. Chat échaudé craint l’eau froide et on ne nous refera pas le coup de «l’engouement» de 2007. A partir de ces préalables, une solution consisterait à convoquer ceux et celles qui sont régulièrement inscrits dans leurs bureaux de vote habituels respectifs, avant la fin de l’année, un dimanche, afin de valider leurs inscriptions, produire les premières listes et commencer à imprimer de nouvelles cartes d’électeur différentes, au moins par la couleur. En début de l’année 2017, avec la révision exceptionnelle, tous les omis et tous les nouveaux demandeurs devront être intégrés au nouveau fichier qui ne sera qu’électoral. Il reviendra au ministère de l’Intérieur de proroger la date de validité des cartes d’identité jusqu’à ce qu’il soit en mesure d’en produire de nouvelles, indépendamment du système électoral.
Une nouvelle incantation vise à faire croire aux Sénégalais et aux Sénégalaises qu’il n’est plus possible de frauder dans notre pays ! Il n’existe pas un pays au monde, y compris les Etats-Unis, où on ne peut frauder. D’ailleurs, à partir du référendum de 2001 jusqu’à celui du 20 mars dernier, plus aucune élection ne s’est déroulée normalement, même si certaines ont été acceptées et l’élection présidentielle de 2007 a été la plus frauduleuse de toute l’histoire politique du Sénégal indépendant, un chef d’œuvre !
Le jour où nous aurons une démocratie «majeure», n’est pas encore arrivé et il ne suffit pas de le dire pour qu’il en soit ainsi, mais le travail a déjà commencé. Il faut juste savoir, comme l’a dit le Général Niang, «jusqu’où il ne faut pas aller trop loin».
Iba GUEYE