Il s’est passé un événement assez intéressant hier soir dans notre voisinage.
Un fait notable a eu lieu aux premières heures du ndogou, au moment où nous croisions opiniâtrement, devant la tasse de café Touba, le fer intellectuel avec nos amis virtuels sur l’opportunité ou non pour notre justice (à deux vitesses) de condamner le comportement indécent et « contraire aux bonnes mœurs » d’une starlette loin d’être intellectuellement majeure. Ces amis, apparemment outrés, comme beaucoup de sénégalais d’ailleurs, par le contexte des libérations plus que douteuses aux relents politiques de notre justice, avaient trouvé, pour la plupart, injuste de s’acharner sur les « menus fretins » (tout en favorisant, de façon fort choquante, les puissants) et de céder à la montée d’un « puritanisme » (toujours ces concepts importés) des groupes religieux, symboles de ce qu’ils dénonçaient violemment comme « hypocrisie sénégalaise » (Pour résumer les violentes diatribes de ce Comité de Défense Spontané des Antivaleurs Majeures (CODESAM) dont l’ami Khadim Ndiaye nous fit ce matin un tableau montréalesque assez croustillant, il faut dire, et dont lui seul possède, Ndiaye Diatta, la mystérieuse alchimie neigeuse.)
Cet événement « major » de notre quartier, que nous allons tâcher de relater minutieusement ci-dessous, vient néanmoins de nous convaincre non seulement de la pertinence des arguments avancés par nos co-débatteurs, mais illustre de façon frappante notre erreur d’appréciation. Diégalou donc. Une fois n’étant point coutume, pour qui connaît notre opiniâtreté réthorique et sémantique légendaire dans ce genre de débats kilométriques, nous battons modestement notre vénielle coulpe et acceptons, non moins piteusement, notre défaite héroïque face à la puissance argumentaire du CODESAM (dont une prochaine victoire, snif, sera la rapide relaxe pure et simple de leur protégée, qui va suivre les fameuses simagrées juridiques et niangals moralisateurs futiles désormais bien connus de nos « poloculeurs » pour rassurer le bas-peuple avide de polémiques et détourner son attention d’autres affaires plus cruciales).
L’événement qui nous convainquit du mal-fondé de nos arguments précédents (re-diégalou) fut l’appréhension par les gens de notre quartier de deux jeunes agresseurs qui essayaient nuitamment de voler, en groupe, les téléphones portables et autres biens des passants malchanceux. Armés de couteaux et de machettes, ces malfrats s’en prirent à un passant assez déterminé, malheureusement pour ces agresseurs en herbe, pour tenter de résister. Alertant de ce fait les jeunes du voisinage qui vinrent à la rescousse en masse pour faire passer de très très mauvais quarts d’heure de nafilas inopinées et fort mouvementées aux fameux délinquants. Face à la furie de la vindicte populaire, qui s’en prit à eux, il faut dire, à cœur joie, en cette sainte nuit de Ramadan, l’un des voleurs (visiblement drogué, selon les témoins) ne cessa d’invoquer, pour solliciter la mansuétude grégaire, les conditions de vie précaires de sa mère et d’autres difficultés qui l’avaient mené, par dévers sa personne, à voler avec violence aggravée. Suscitant, ce faisant, les tiraillements au sein de la foule, entre ceux qui étaient apparemment touchés par ces cries d’orfraie du bougre, au point de pencher pour leur relaxe humanitaire et ceux, plus durs, qui n’en eurent cure et continuèrent de plus belle leurs funestes tambourinages nocturnes sur les malheureux. Situation kafkaïenne qui dura jusqu’à ce qu’il fut enfin décidé, pour les sauver d’un trépas ignominieux fort probable, d’acheminer nuitamment les deux compères endoloris et cahin-cahanant au poste de police le plus proche.
Ce dilemme cornélien de la relaxe ou non des agresseurs, ce moment de tension « tragique », nous inspira, à posteriori, ce discours que nous aurions certainement dû tenir aux masses déchaînées. Afin de les inciter non seulement à laisser vaquer les deux coupeurs de rue en herbe. Mais à ne pas non plus les remettre à la justice pour un ensemble de raisons qui devraient leur paraître suffisantes et que nous comptions, si naturellement, la plèbe nous l’eut permis, lui exposer laborieusement. Voici, en substance, nous inspirant des brillants arguments de nos amis du CODESAM, le réquisitoire à décharge que nous aurions pu présenter devant le tribunal improvisé du peuple nocturne :
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« Honorables,
Notre intime conviction est qu’il faut surseoir à votre sentence et laisser vaquer les prévenus ci-devant. En effet, pourquoi condamner et enfermer ces modestes agresseurs, qui ne tuent des innocents pères de famille que pour faire vivre leurs familles ? Pourquoi mettre derrière les barreaux ces jeunes qui ont peut-être eu à s’en prendre, simplement par accident, à une laborieuse vendeuse de poisson matinale meurtrie et traumatisée à vie ou même à violer une jeune fille isolée par inadvertance ? Sachant que c’était uniquement dans la pure et louable intention de ces malheureux bandits d’assister leurs mères et leurs sœurs ? Pourquoi les condamner à des mois de privation de liberté pour ces larcins bien insignifiants comparés aux délits beaucoup plus graves de nos dirigeants et de leurs complices qui, eux, ne sont jamais condamnés et qui bénéficient systématiquement, eux, des libertés provisoires et autres grâces étrangement gracieuses ? Si ces privilégiés et leurs puissants complices passent aussi scandaleusement entre les mailles du filet de la justice des puissants, pourquoi alors y retenir ceux qui ne peuvent en bénéficier ?
L’équité voudrait donc que l’on n’enferme plus les agresseurs, les violeurs et voleurs de la petite semaine dans ce pays. Ces pauvres délinquants, qui ne peuvent compter sur l’appui d’aucun bras long politique ou religieux, ne doivent plus être appréhendés dans notre cher Sénégal. C’est cela la véritable justice. Toute autre attitude relève de l’hypocrisie. Justice pour tous ou justice pour personne. Que des libertés provisoires et d’autres mesures de grâce soient ainsi accordées à tous. Que les prisons soient vidées. Qu’aucune loi, qu’aucune règle de fonctionnement hypocrite ne soit plus appliquée pour cette société hypocrite. Que tous les délits, quelqu’ils soient, que tous les crimes soient amnistiés ! Car devant tout crime ou délit, il existe de plus grave qui ne fut point condamné. Que nul ne soit plus jamais inquiété pour un quelconque forfait tant que tous les citoyens de ce pays ne seront pas placés sur le même pied d’égalité judiciaire. Loolou mooy deugg. Mais aussi qu’en même temps, et c’est cela la logique, nul d’entre nous ne se pense être en droit de réclamer la réhabilitation judiciaire pour un quelconque préjudice subi ni l’arrestation d’aucun citoyen menaçant nos vies et intérêts. Loolou tamit mooy deugg.
Qu’également tous ces religieux arabisés, ces barbus plus que généreux en fatwas radicalisées, prompts à condamner tout ce qui bouge, s’occupent d’abord de leurs propres cas. N’y a-t-il pas énormément de choses à dénoncer dans le comportement de beaucoup de ces religieux ? Pourquoi ne le font-ils pas ? Bou niou kénn sonnal donc ! Il se passe tous les jours lou geuneu garaw ci deukk bi té kénn wakhou ko ! Ces mare-à-boue devraient plutôt se taire et ne plus dénoncer quoi que ce soit. Puisque eux-mêmes sont loin d’être parfaits et d’être des modèles de vertus, ils ne devraient pas être les premiers à jeter la pierre aux pêcheurs et auteurs de mauvais comportements. Et puis Dieu Seul sait ce qui se trouve dans les coeurs. Yalla rekk moo kham kou bakh ak lou nékk ci khol yi. Té khol rékk moo am solo. Lui Seul peut juger. Té kou am yeurmeundé lé. Il est trop Grand pour nous tenir rigueur de nos imperfections humaines. Yalla kou bakh la. Pourquoi vouloir être plus dur que Dieu Lui-même. On dirait même que certains ouztaz et prêcheurs nioo yor thiabi Adiana ! Remplissant à vue l’enfer de leurs semblables. Basta waay ! Qu’ils cessent donc de dénoncer les tares de notre société, en attendant d’être plus parfaits. Sou niou beuguee wakh késsé, am na niou lou leen doy, lou leen doy agn ak reer, lou niou diara wakh té wakhou niou ko.
Que ces religieux cessent ainsi de dénoncer hypocritement l’homosexualité (promue par les lobbies internationaux) et de s’opposer si farouchement à sa légalisation dans ce pays. Au nom du respect de la vie privée et des libertés individuelles plus que jamais menacées par cette offensive des mollahs. Les jeunes sénégalais devraient ainsi avoir toute latitude de choisir « librement et sans gêner personne » l’orientation ou identité sexuelle qu’ils veulent : Lesbienne, Gay, Bisexuel or Transsexuel. Whatever. C’est leur affaire personnelle, leur vie privée. Il sera ainsi interdit d’interdire dans ce Sénégal dont nous rêvons.
Que ces prêcheurs sortis des cavernes moyenâgeuses cessent de s’en prendre également aux contenus pornographiques et indécents diffusés à longueur de journée dans nos médias. Même si lesdits contenus risquent de perturber la croissance psychologique de nos enfants (difficilement maîtrisables dans ce contexte), c’est le prix à payer pour une pleine expression artistique (ne surtout pas confondre « personnage » et « personnalité », car personnage lou ko neekh def) et la liberté laïque (bon dieu, ce pays est une république laïque ou non ?). Même si ces contenus peuvent choquer certains esprits puritains et ultra-conservateurs qui tiennent à un minimum de préservation des valeurs (eh ben, personne ne les oblige à regarder et puis ils peuvent zapper non ?). D’ailleurs comment ces religieux-là sakh nak ont fait pour voir ces contenus ? Bonne question. S’ils s’occupaient de leur kourouss et nafilas, s’ils étaient aussi purs et ascétiques qu’ils le prétendent, ils n’auraient pas vu lou niou waroul woon guis ! Ni reluquer des choses non regardables. C’est simple. D’ailleurs sakh nak nou niou def ba guiss ko ? Les religieux ne doivent donc pas savoir ce qui se passent réellement dans cette société. Ni être informés des profondes mutations sociologiques en cours et leurs contingents de processus de sécularisation et de vices qu’ils charrient. Les véritables guides-éducateurs (Shaykhul Murrabi) ne doivent pas non plus se connecter sur internet, perdre leur précieux temps cultuels sur Facebook, YouTube ou je ne sais quoi pour bien connaître le contexte idéologique et socio-culturel des disciples qu’ils sont censés orienter et protéger des dangers du monde moderne. Ana serigne ak internet ! Vrai Serigne dou am compte Facebook. Dou seetaan télé bay kham li khew ci réew mi wala di yakh diiné. Niou wakh ko té dund.
Il faudrait simplement, une fois cette mise en quarantaine médiatique des imams faite, que nous autres citoyens sénégalais cessons de nous lamenter que les religieux ne s’impliquent pas assez dans les problématiques qui engagent l’avenir du pays. De nous plaindre qu’ils ne maîtrisent pas toujours les tenants et aboutissants politiciens de leurs interlocuteurs politiques et se font ainsi souvent manipuler contre les intérêts de la Nation et de la Religion. Confinés dans leurs mosquées et zaouias, retournés dans les daaras et les champs sans électricité ou connexion, ces religieux, redevenus de vrais « soufis » toujours enturbannés et tout de blanc vêtus, ne devront plus intervenir dans la bonne marche de la cité. Et à tous de ne plus désormais se plaindre de « lou takh serigne si dou niou wakh ». Logique.
Honorables,
Ce projet de société que je vous propose dans ma plaidoirie ci-dessus. Société dans laquelle les petits voleurs, les innocents agresseurs et autres gentils violeurs violentés dans leur prime enfance (ndeysaan) sans bras long, ne seront plus inquiétés. Société dans laquelle toutes les fausses déesses dévergondées retrouveront le droit artistique de s’exhiber « en privé » dans leurs shows snapchat et de montrer leur plus simple appareil à nos gamins ultra-connectés sans coup férir. Société où nos enfants deviendront tous des déesses pornographiques et rihannatiques ou des kobas androgynes. Société dans laquelle l’homosexualité, l’échangisme, le nudisme, la zoophilie sans violence, l’inceste consentant (entre parents et enfants majeurs, légal dans certains pays dont la France), le mariage pour tous, l’homoparentalité, la GPA (Grossesse pour Autrui), les dons anonymes de sperme, les naissances sous X, l’euthanasie et toutes ces nobles expressions modernes des libertés individuelles, de la vie privée et des Droits de l’homme seront rigoureusement garanties par un Etat de droit devenu enfin imperméable aux pressions intolérables des « lobbies maraboutiques ». Une société où la religion sera enfin une affaire individuelle et où le terme morale (religieuse) serait enfin banni et deviendra péjoratif (« bien pensance ») pour laisser la place à une « morale laïque » fondée uniquement sur la « raison » et les passions. (Même si, il faudra l’avouer, l’on commence à percevoir certains effets de cette conception sécularisée de la morale dans notre monde qui menacent la survie même de l’humanité : vide spirituel, quête de sens, dérives morales, crises écologiques sans précédent, sociales, économiques etc.)
Cette société sénégalaise non hypocrite, déconfrérisée et enfin débarrassée de Dieu et des tabous obscurantistes magico-religieux, pour entrer dans l’ère de l’obscurantisme des Lumières, que nous vous proposons, est déjà en œuvre dans les esprits. Alhamdoulilah. Elle le sera un jour dans les coeurs, inchallah. Il ne lui reste qu’à briser les « résistances » et à conquérir une masse critique qui rendra enfin le pays « prêt ». Et ce jour-là, notre nation, cette belle nation hypocrite, pourra pleinement prétendre à l’Emergence, à la Modernité, à la Liberté et à la Justice. Elle pourra, ce jour-là, rejoindre fièrement le banquet des nations « civilisées » où Dieu et les questions morales sont devenus de simples détails, « tués » dans le panthéon du PNB et des passions. Sénégal gii ma guiss day dém té kénn dou ko téyé.
Nous espérons, quant à nous, avoir le bonheur et l’insigne privilège de ne pas vivre assez longtemps pour assister à l’avènement de ce Nouveau Type de Sénégal !
Inchallah
A. Aziz MBACKE Majalis
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