Nous sommes des enfants du Sahel. Nous avons joué sur son sable et respiré son air chaud et enveloppant. Nous avons grandi sous son soleil ardent. Avec son peuple, nous avons partagé nos joies et peines, appris et compris le sens de la vie. Ce peuple est composé de nos frères, nos sœurs, nos filles, nos fils.
Ils sont des nôtres et ils meurent. Sur les routes du Sahara, ils marchent et ils espèrent. Dans les villes et les camps d’Afrique du Nord, ils s’entassent et ils espèrent. Sur des bateaux mal équipés et dangereux, ils embarquent et ils espèrent. Ils s’accrochent et ils prient quand les vagues de la Méditerranée déferlent, quand un orage s’abat, quand le moteur lâche, quand le navire vacille au passage d’un cargo bien plus grand et bien plus précieux, et finit par chavirer et se retourner.
Ils coulent et ils luttent pour maintenir la tête hors de l’eau. Et comme beaucoup d’autres, beaucoup trop d’autres, ils ne refont jamais surface. En quête d’espoir, ils se noient et échouent sur des rivages étrangers.
En 2015, près de la moitié des 2 085 personnes qui ont péri en tentant de franchir la Méditerranée était des Africains. Cette année, près de 2 900 personnes ont déjà perdu la vie, et beaucoup d’entre eux étaient nos compatriotes.
Ils se noient, et la nouvelle de leur décès est accueillie par quelque chose de bien pire que le silence : l’indifférence. Mais cette indifférence n’existe pas qu’en Europe, qui a tant retenu l’attention et a été la cible de tant de critiques. Elle remplit également les bâtiments officiels de Dakar, d’Abuja, de Bamako et d’Abidjan.
Aujourd’hui, ensemble, nous lançons un appel pour dire halte à l’indifférence. Nos demandes sont simples :
Premièrement, nous appelons nos dirigeants à montrer qu’ils se soucient de leurs peuples. La mort de leurs concitoyens devrait les indigner. Quand leurs expressions de condamnation et de profonde douleur se feront-elles entendre ? Comment pouvons-nous nous attendre à ce que le monde s’émeuve si nous continuons de rester indifférents ?
Deuxièmement, nous devons proposer quelque chose de nouveau à ceux qui risquent de tomber aux mains des trafiquants d’êtres humains. Nous devons contrer les campagnes de désinformation cyniques et meurtrières des passeurs. Nous ne devons pas avoir pour objectif de dissuader les gens de partir s’ils le désirent.Mais nous devons veiller à ce que ceux qui décident de faire le voyage puissent le faire en connaissance de cause, toutes les informations nécessaires en mains, y compris sur les dangers auxquels ils seront exposés.
Enfin, ces messages doivent être porteurs d’un sentiment hélas devenu érodé : l’espoir. Nos jeunes partent parce qu’ils pensent qu’il n’y a d’espoir qu’en dehors de leur continent. Nous appelons nos dirigeants à investir dans des activités qui permettront à nos compatriotes de trouver des voies et moyens pour préserver leur dignité et de pouvoir librement choisir où ils veulent vivre. Nous savons pourquoi les gens partent. Ils partent parce qu’ils se sentent isolés et marginalisés, parce qu’ils n’ont pas accès à l’éducation ou qu’ils ne trouvent pas d’emploi. Si nous travaillons ensemble, nous pouvons changer cette situation.
Pour notre part, nous nous engageons à accompagner les autorités, à travailler auprès des communautés et à faire renaître l’espoir.
Nous sommes des enfants du Sahel. Nous sommes Africains. Nous n’acceptons pas que la Méditerranée devienne un immense cimetière aquatique pour nos frères et nos sœurs. Nous refusons l’indifférence, emplis d’espoir et dans la dignité.
Youssou N’Dour est un artiste, auteur, compositeur et leader d’opinion Africain.
Elhadj As Sy est secrétaire général de la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, le plus vaste réseau humanitaire au monde.