La décision des autorités des écoles privées catholiques sénégalaises d’interdire le port du voile islamique dans leurs établissements est gravissime et susceptible de remettre en cause l’exceptionnalité sénégalaise de cohabitation fraternelle entre les fidèles des deux religions. En effet, après une élève de CE1 à Thies, c’est au tour du collège Didier Marie de Saint Louis de s’illustrer par l’interdiction faite aux élèves musulmanes de porter le voile ou le foulard.
Le Sénégal est un Etat laïc et républicain. Cette laïcité que nous héritons de la France trouve son origine dans l’ancien régime. Durant la révolution française de 1789, le clergé n’était pas épargné par les révolutionnaires car considéré comme un complice de Louis XVI contre les intérêts du petit peuple. D’où l’idée de la séparation de la religion de la gestion de la cité: la laïcité. Mais, avec la trajectoire historique de la France, la laïcité y a évolué.
Au nom de la laïcité et des valeurs de la République, des lois sont votées et des sujets sur l’islam font encore l’objet de controverse dans l’espace public français. Déjà en février 2004, l’Assemblée nationale vote une loi qui interdit le port du voile et autres signes par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse dans les écoles, les collèges et les lycées publics.
A les en croire, le voile est « une agression contre la laïcité et la République ». Cette position très répandue dans l’opinion publique française et assumée par Manuel Valls à l’hémicycle sous une standing ovation est aujourd’hui partagée par des intellectuels sénégalais. Pire, toute idée discordante est stigmatisée et qualifiée d’islamiste (terme péjoratif) par des intellectuels sénégalais. A y voir de près, la laïcité française n’est plus la neutralité de l’Etat à l’endroit des religions, mais plutôt « l’athéisation » pour ne dire la « désislamisation » de la société française. Une conception de la laïcité que l’on ne saurait pratiquée au Sénégal à plus forte raison dans une école où se réalisent la socialisation et la nation de demain.
Cela dit, si nous pouvons accepter que la France au regard de « son histoire judéo-chétienne » (ce qui est faux) pour reprendre Marion Maréchal Le Pen et Nicolas Sarkazy interdise le voile, il est inacceptable et provocateur qu’une telle mesure soit prise au Sénégal, fut-il, dans une école privée catholique. Rappelons que les écoles privées catholiques, contrairement aux écoles franco-arabes, reçoivent un financement de l’Etat, autrement-dit les deniers des Sénégalaises et Sénégalais de toutes confessions.
Cette mesure viole également les libertés individuelles garanties par la Constitution sénégalaise en son article 8. Alors les organisations des droits humains très attachées au respect et à la promotion des libertés individuelles sont interpellées. Elles doivent dénoncer avec la même énergie que ce fut le cas avec l’affaire Déesse Major cette décision gravissime et dangereuse pour la cohésion sociale. Sinon, elles donneraient raison à celles et ceux qui pensent qu’elles partagent l’avis de Laurence Rassignol, Ministre française de la culture pour qui « Autant la jupe est courte, autant la femme est libre ». A moins que les activistes sénégalais pensent comme des acteurs publics français que le voile « est une oppression, un emprisonnement et une humiliation de la femme ». Alors, Bertrand Badie avait vu juste en soutenant que le risque à travers la promotion des droits de l’Homme c’est qu’on assiste l’occidentalisation du monde.
Nul n’a le droit de porter atteinte à notre unité nationale. Le préambule de la Constitution sénégalaise stipule « le principe intangible de l’intégrité du territoire national et de l’unité nationale dans le respect des spécificités culturelles,.. ». Entre Chrétiens et Musulmans au Sénégal, pratiquement TOUT se fait ensemble. Cela nous a valus d’être un modèle de cohabitation fraternelle à telle enseigne que l’expression « dialogue islamo-chrétien » est insensée au pays de Serigne Abdou Aziz SY Dabakh, de Cardinal Thiandoum et de Serigne Abdou Lahat Mbacké.
Adama SADIO ADO
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