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Retrait Des Enfants Talibés De La Rue: Une Mesure Salutaire Mais Insuffisante

Retrait Des Enfants Talibés De La Rue: Une Mesure Salutaire Mais Insuffisante

Au Sénégal, le Programme Enfance en situation difficile de la Direction de l’Action sociale, dans les années 90 et qui marquait l’incursion de la Communauté internationale sur la prise en charge des talibés dans le cadre des droits de l’Enfant, avait suscité des controverses. La Communauté religieuse sénégalaise y voyait une volonté de l’État de s’allier avec le « diable » pour déstabiliser l’enseignement coranique en particulier et l’Islam en générale.

Cette tentative de décrédibiliser l’État (dont la volonté était d’assister les daaras en les fixant sur leurs terroirs d’origines), a été une réussite. L’État, depuis lors, est devenu frileux à tel point qu’il prit une voie de contournement de ces groupes de pression constitués par les maitres coraniques, par l’implication des grandes familles religieuses auxquelles ces groupes de pression prétendaient souvent être issus, dans tous programmes destinés aux daaras. C’est le cas du programme Éducation à la vie familiale dans les daras (EVF/daras) dont la phase pilote a concerné les daras implantés dans les grandes familles religieuses.

Si ces mêmes groupes se sont jusque-là activés avec courage et détermination, et avec les mêmes arguments à l’appui, c’est que d’une part le daras d’aujourd’hui regorge d’intérêts non-dits, et d’autre part l’État ne communique pas bien pour démanteler ceux qui, intentionnellement se sont engouffrés dans l’enseignement coranique pour exploiter les enfants et mettre en péril leur vie.

On sait tous que traditionnellement, les talibés étaient soumis dans les daras à des épreuves d’endurances et de souffrances dans le but de dompter ou de « tuer » le corps au profit de l’âme. Ce qui permettait de développer chez l’enfant une certaine spiritualité et le préparer à devenir un érudit qui dispose de toutes les qualités nécessaires pour véhiculer le message de Dieu. Mais dans ce système qui subsiste toujours dans certaines grandes familles religieuses et auquel des maitres coraniques véreux veulent substituer à la mendicité urbaine inhumaine et dégradante, l’enfant n’était pas soumis à une mendicité pécuniaire et abusive qui mettait quotidiennement sa vie en danger. L’enfant pratiquait la mendicité alimentaire dans un pâté de maisons proches du dara et jouissait de l’affection du marabout et de celle de ses épouses. Dans certains daras les épouses des marabouts étaient les marraines des enfants.

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La question posée aujourd’hui est de savoir comment prétendre enseigner le Coran et l’endurance à un enfant en l’exposant à la circulation urbaine, aux adultes pédophiles et aux grands bandits? La somme journalière exigée au talibé le pousse à dérober des objets d’autrui lorsqu’en fin de journée cette somme n’est pas réunie et qu’il risque d’y laisser sa peau devant le chef d’Entreprise (le maitre coranique) menaçant. L’amalgame entre les vrais daras et les faux daras, entre les enseignants coraniques et les exploitants de la main d’œuvre infantile et bon marché se trouve à ce niveau. Les lignes qui suivent démontrent que l’intention de ces derniers est tout à fait éloignée de l’enseignement du Coran.

Pour étayer mes propos il m’a été donné de constater au cours de mes fonctions d’agent de l’Action sociale deux faits

  • Un matin, des talibés qui fréquentaient notre service, bien habillé cette fois, sont venus nous dire qu’ils rentrent précipitamment au Fouta. Interrogés sur le mobile de leur retour anticipé, ils répondirent que leur maitre coranique va s’installer aux États-Unis…

  • En 2010, en fonction à Kolda, il m’est arrivé de faire bloquer, avec l’appui du Poste de Police de la frontière de Keur Ayib, une cohorte d’une trentaine d’enfants provenant de la Guinée Bissau et en partance pour Touba. Il apparait que la plupart des maitres coraniques qui opèrent en ville proviennent de la sous-région (Guinée, Guinée Bissau) et des régions périphériques (Kolda, Sédhiou, Ziguinchor, Matam etc) .

L’expérience a permis de mieux comprendre le modus operandi des recruteurs d’enfants:

  • La collecte : Le maitre coranique fait le tour des familles en situation de pauvreté et propose aux parents de prendre en charge l’éducation coranique de leurs enfants. Ces parents, dans l’impossibilité de subvenir aux besoins (alimentaires, éducatifs etc) de leurs enfants trouvent ainsi une opportunité à saisir pour se débarrasser de leurs progénitures. Ces enfants sont « stockés » à la frontière avec l’aide des complices chargés de la surveillance. La traversée des frontières se fait par compte-goutte (des groupes de 5 à 6 enfants par traversée pour tromper la vigilance des services de sécurité).

  • L’exploitation : En ville, avec un groupe de 50 à 60 enfants, l’industrie démarre avec notamment l’obligation de versement d’un montant qui varie entre 500 et 1000 francs la journée. Ce qui fait gagner au « maitre coranique », pour un groupe de 60 enfants 30.000 à 60.000 francs quotidiennement. Soit 900.000 à 1800.000 francs par mois équivalent d’un salaire de haut cadre de l’Administration ou d’un député. Ces mannes financières ne servent jamais aux talibés qui vivotent du peu d’aliments qu’on leur offre en cours de mendicité.

Les discours propagandistes, de contre-attaques véhiculées sur les politiques de l’Enfance et le rejet de toute collaboration avec l’État sont des réactions de peur d’être démasqués ou de se voir déposséder de ce « travail » lucratif.

La pratique éhontée et humainement dégradante de la mendicité des enfants dans un contexte de crise, devrait même être une levée de bouclier des vrais maitres coraniques pour assainir la profession contre l’attitude de ceux qui défendent, pour des intérêts mercantiles et personnels cette forme de travail des enfants.

Malheureusement il est difficile de séparer la bonne graine de l’ivraie. Les uns se diluant dans les autres, et, extirper le mal devient problématique et parfois même risqué. En effet il faut reconnaitre que tout dara n’est pas une industrie de la mendicité et toute mendicité n’est pas une forme d’exploitation.

Aujourd’hui il urge de la part des pouvoirs publics, à côté du programme de retrait des enfants, de développer des stratégies d’accompagnement à l’identification des vrais maitres coraniques en agissant sur plusieurs leviers :

1-Féderer les enseignants arabo-coraniques

2-Exiger des normes pour enseigner le coran

3-Exiger des autorisations d’enseigner après expertise par des groupes de pairs reconnus par l’État.

4-Accorder des subventions annuelles à l’instar du privé francophone

5-Encourager l’organisation des Communautés autour des daras

6-Sensibiliser le public à orienter leur aumône vers les daras organisés et sans mendicité

7- Mise à contribution des services de sécurités des frontières

8-Éviter l’amateurisme en mettant à contribution des professionnels tels que les travailleurs sociaux.

Pour ce dernier levier, je me demande quelle pertinence y avait-il en dépossédant la protection de l’Enfance de la Division Protection de l’Enfance de la Direction de l’Action sociale au profit du Ministère de la Famille?

 

Alioune Seck

Travailleur social – Diplômé d’études supérieures spécialisées en Santé communautaire/Kaolack

E.mail : seckbaye61@hotmail.fr

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