Depuis un moment, j’étais en réserve des débats qui occupent l’espace public au Sénégal. Or, les questions et les décisions agitées ces derniers temps pourraient faire évoluer durablement l’architecture socioculturelle du pays. Puisqu’il est recommandé au croyant d’intervenir selon les moyens dont il dispose s’il craint que certaines dispositions nuisent à l’intérêt général, sinon à la communauté religieuse – j’entends les 99% de croyants déclarés que compte le pays -, j’ajoute un petit grain de sel aux grandes réflexions en cours, tout en faisant mien l’adage bambara qui veut que, dans un conflit entre l’os et le chien, on parle à ce dernier, mais au premier aussi – «I bé do fo wulu ñana i bé do fo koloku ñana».
D’abord, au-delà de nos croyances respectives, nous avons en partage des traditions sur les fondements desquelles nous devrions construire le Sénégal de demain. Il appartient donc, en principe, aux militants de la diversité culturelle d’être au-devant de la préservation de ce que nous pouvons apporter «au rendez-vous du donner et du recevoir».
Sortir les enfants de la rue, personne ne peut en disconvenir et il est même difficile d’aller à contre-courant de la décision du gouvernement. En effet, nous sommes devant une idée dominante qui s’impose de ce seul fait.
Toutefois, le Professeur Malick Ndiaye n’a pas tort non plus de mettre en avant ce qu’il appelle «le protocole d’éducation» qui avait cours dans notre société à travers les cérémonies d’initiation et les daaras, et qui charriait son lot de contraintes. Dans ces institutions se forgeaient l’homme africain, l’homme sénégalais en général, le musulman sénégalais en particulier. Samba Diallo en comprenait les enjeux, expliquait et acceptait donc les «violences» de Thierno, dont il était pourtant le préféré. De son côté, Serigne Abdoul Aziz Sy Dabakh (rta), interpellé par son vénéré père, El Hadj Malick Sy (rta), suite à l’intervention de ses tantes, au sujet de la vie difficile qu’il aurait auprès de Serigne Hady Touré, a répondu que quiconque veut le bien acceptera de vivre auprès de l’homme de Dieu. Voilà ce qui a fait de lui un érudit pieux, modeste, respecté et incontesté. Aussi, de son vivant, ne permettait-il à aucune autorité administrative de régenter, voire de donner une opinion négative sur les daaras.
Les personnes façonnées dans ce moule étaient loin des turpitudes que la déconstruction de ces structures et leur remplacement par la seule instruction, sinon l’absence d’éducation, ont occasionnées. Ces enfants-là étaient des talibés comme il en existe encore, qui mendient juste autour du daara pour leur pitance, et surtout pour tremper leur caractère afin qu’à leur sortie du daara, ils soient prêts à affronter la vie avec toutes ses vicissitudes, sans céder à la tentation de prendre des raccourcis. La foi en Dieu, la morale et l’éthique leur servaient de garde-fous.
Que ces enfants mendient ne signifie pas que l’islam prône la mendicité, mais l’exégèse islamique enseigne que, autant Djibril (l’ange Gabriel) a contraint le prophète Mouhammed (Psl) à accepter sa mission, autant l’accès à certains savoirs passe par des sacrifices. Sinon le prophète de l’islam (Psl) dit que la main qui donne est au-dessus de celle qui reçoit et il suggère, quand les circonstances l’exigent, de ne mendier que la quantité nécessaire pour la nourriture du jour.
Or, le jour de la Korité, malgré la zakat al fitr, destinée à permettre aux démunis de fêter sans tendre la main, les mendiants se pressent autour des mosquées pour multiplier leurs gains. Ces mendiants professionnels côtoient dans la rue les enfants exploités par de faux marabouts, et les faqmans, enfants fugueurs ou abandonnés par leur famille. Les étrangers qui squattent les rues de nos villes sont à loger à cette enseigne. Il ne s’agit donc pas de défendre vaille que vaille la mendicité et les mendiants, mais de faire le distinguo.
Nous n’insisterons pas sur la dimension sociologique de la mendicité abordée dans La Grève des bàttus. En effet, le matin, beaucoup de Sénégalais parcourent les rues pour trouver une personne à qui donner le paquet qu’ils veulent offrir sur les conseils d’un marabout ou parce qu’ils ont rêvé de ceci ou de cela. Ces sacrifices sont partie intégrante de notre univers mental. Ensuite, ceux qui, de par le monde, font pression sur le gouvernement, ainsi que leurs relais locaux, devraient analyser toutes ces réalités au risque de faire bégayer l’histoire des «déchets humains».
Les slogans, concepts et plaidoyers ont certes le vent en poupe, mais méditons la situation de Samba Diallo déchiré entre le rationalisme à l’occidental et la spiritualité à la sénégalaise, qui cède de plus en plus de terrain sous les coups de boutoir de cette civilisation libertaire. Or, «quand on franchit les bornes, il n’y a plus de limites.» Je ne fais que citer. Cheikh Hamidou Kane n’a pu résoudre le conflit interne de Samba Diallo que par la mort de son personnage, avec le fou comme bras armé du destin. Il est donc des engrenages qui nous prennent tout entier dès que nous y mettons le petit doigt et/ou nous conduisent vers un cul-de-sac.
Dans la levée de boucliers pour la levée de tous les tabous, au prétexte que Déesse Major, artiste majeure et vaccinée, est oppressée dans son art dont l’exhibition (Oui ! C’est une caricature ! D’ailleurs, elle n’aurait pas posté la vidéo), on peut se demander jusqu’où ne pas aller trop loin. Attention à l’entendement que le commun a des causes que nous défendons ! Nous, parents, nous battons pour que nos filles se couvrent un peu plus. Alors, comment défendre une personne publique qui fait le contraire, même pour une expression artistique, en tout cas, elle est défendue comme telle ? N’est-ce pas un premier pas vers les sextapes et tous ces moyens de faire du buzz à tout prix ?
Sinon, je ne vois pas trop le lien entre son talent artistique et sa manière de se vêtir, mais enfin ! En tout cas, une artiste qui avait tout misé sur ses seins avait fini par se plaindre de ce que les journalistes se focalisaient sur sa poitrine. Une autre avait menacé de porter plainte contre un journal qui avait illustré sa Une avec une image d’elle, lors de sa prestation, dans un pantalon tellement serré qu’il laissait deviner ses attributs. Tout cela rend nostalgique de l’époque où Nayanka Bell s’excusait de s’être produite dans une tenue trop sexy. Personne ne lui en avait pourtant fait la remarque. Au contraire, un animateur incitait nos artistes à imiter ce genre d’accoutrement, à en montrer un peu beaucoup.
Quelles valeurs véhicule ce genre de comportement ? Même si la culture est dynamique, quel est l’apport et le rapport de la tenue de Déesse Major à notre imaginaire et à notre «socioculture» ? Les grands noms du rap sénégalais, même si certains se mobilisent pour permettre à Déesse Major de s’exhiber, si ça lui chante, ont acclimaté leur art s’ils n’ont pas rapatrié sa source dans notre kebetu ou dans notre taasu.
Sur le plan judiciaire, la question est : était-on en face d’un attentat à la pudeur ou d’une atteinte aux bonnes mœurs, termes que Jamra n’a pas inventés ? Difficile à trancher ! En tout cas, Jamra a fait bénéficier Déesse Major du buzz (qu’elle cherchait ?) au lieu d’arriver, comme avec le sac de Waly Seck, à susciter l’indignation collective qui a fait reculer le fils de Thione Seck. De plus, en estant en justice, on a désormais une jurisprudence, comme du reste les homosexuels ont marqué un point quand le ministre de la Justice, Sidiki Kaba, a regardé les Sénégalais dans les yeux et leur a dit qu’il n’existe pas de loi contre l’homosexualité au Sénégal. Obama et les gays ont de quoi pavoiser devant cette avancée de leur cause au Sénégal. Jusque-là, le doute persistait et les gays ne s’affichaient pas.
Ceux qui filaient et épiaient les homosexuels n’avaient pas non plus une attitude musulmane. Nos anciens n’encourageaient pas les transgressions, les dénonçaient même, mais savaient raison garder. Ils étaient trop occupés à sauver leur propre âme et celle de leurs disciples.
Dans une émission matinale, oustaz Mor Thiam rappelait que prendre quelques feuilles de papier sans permission ou même photocopier des documents au bureau est susceptible de reddition de comptes devant Dieu. Il en va de même du mensonge, la mère des péchés. Quid des «protocoles» ? Qu’ils soient de Rebeuss ou autres. D’abord, la religion interdit la prévarication. Or, il y aurait dans ces affaires des milliards détournés et des protocoles pour être libéré. Quiconque s’avise de mentir dans cette affaire pour se défendre ou défendre son leader oublie qu’il ne peut tromper Dieu, le Témoin par excellence, selon nos croyances ! A moins qu’on ait Machiavel comme prophète, on ne peut se complaire dans l’idée que les affaires politiques ne regardent pas Dieu qui a pourtant créé les hommes politiques et ses créatures qu’ils spolient.
Sur le continent, ce n’est même pas devant Dieu, mais devant la Cpi qu’on ne veut pas être traduit, même si on ne veut pas arrêter de poser les actes qui pourraient y mener. Raison de plus pour que les médias sénégalais s’intéressent un peu plus à ce qui se passe en Afrique et pas qu’à travers les récits souvent biaisés des agences occidentales. Question de moyens ? Pas que ! Les différents organes pourraient explorer des protocoles – ne pensez pas à mal ! – de partenariat avec d’autres médias africains. Manque d’intérêt ? Un peu ! Parce qu’il reste à construire le patriotisme, la citoyenneté africaine en mettant en avant nos convergences culturelles.
Enfin, retombons sur nos pieds avec ces propos indignés de Serigne Cheikh Tidiane Sy : «Ku jotyilif !» (On se laisse diriger par n’importe qui !). De fait, nos valeurs sont ballottées par les injonctions du Fmi, de la Banque mondiale, des groupes de pressions divers qui parfois nous disent : «Changeons de direction, nous nous étions trompés !» Incapables de sortir de l’ambiguïté, nous changeons !
Saër NDIAYE
saerndiaye@gmail.com