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Mendicité : Faut-il Une Grève Des Bàttu Pour Faire Reculer Le Président Macky Sall ?

Mendicité : Faut-il Une Grève Des Bàttu Pour Faire Reculer Le Président Macky Sall ?

Dans son roman intitulé «La grève des bàttu ou les déchets humains», publié en 1979, aux Nouvelles Editions Africaines (Nea), Aminata Sow Fall, dans un récit imaginaire, a essayé de démontrer l’importance des valeurs traditionnelles africaines basées sur la parenté, la solidarité et l’entraide, tout en fustigeant les contre-valeurs comme la cupidité, l’égoïsme et l’hypocrisie. Mais, qu’est-ce que ce roman, écrit il y a 37 ans, peut-il être encore d’une si brûlante actualité ! Toujours est-il que cette œuvre romanesque nous renvoie notre propre image, du moins à la face la plus hideuse de notre moi.

Dans un style simple, concis et accessible au commun des instruits, la romancière met en scène une lutte que se mènent «Mour Ndiaye», directeur de l’Hygiène et de la Salubrité publique et les mendiants. Pour faire face aux méthodes inhumaines employées par les autorités, plus soucieuses de promouvoir le tourisme, au point de les chasser de la ville, les mendiants s’organisent autour d’une grève. Aussi, vont-ils défier l’élite de la société qui les a marginalisés. Au cours de cette grève, les mendiants vont se rendre compte qu’ils sont indispensables à la société. Ils vont utiliser cet atout face à «Mour Ndiaye» qui, sans leur retour dans la ville, ne pourra pas faire le sacrifice vecteur de sa promotion, lui qui veut être nommé au poste de Vice-président. «Mour Ndiaye», c’est l’incarnation du type par trop ambitieux, chez qui ses intérêts propres passent avant ceux de son pays. La preuve, il chasse les mendiants de la ville afin de passer à un niveau supérieur. Aussi, toujours dans le souci d’une promotion, n’a-t-il pas hésité à faire revenir – sinon tenter de faire revenir – ces mêmes mendiants à leur place habituelle. Il est tellement obnubilé par ce poste de Vice-président qu’il oublie l’effort qu’ont déployé ses agents pour débarrasser la ville de ces mendiants.

Dans cette affaire de ramassage des talibés qui défraie aujourd’hui la chronique dans notre pays, et qui est à l’actif du rouleau compresseur du régime de Macky Sall dans sa prétendue lutte contre la mendicité des enfants, bon nombre de «Mour Ndiaye», tout ce qu’il y a de plus hypocrite et de plus opportuniste, s’agitent comme des dératés. Ces individus sans scrupules, qui se soucient plus de leur propre promotion que du développement de leur pays, se démènent comme de beaux diables, avec un grand zèle, non pas parce qu’ils sont convaincus de la justesse de la cause, mais ils font tout juste un plaidoyer pro domo et versent dans l’activisme pour, à la fin, s’en tirer à bon compte.

Thème principal de ce roman qui a reçu le Grand Prix littéraire d’Afrique noire en mai 1980, la mendicité a toujours été un problème saillant de la société sénégalaise. Les mendiants, ces marginaux et marginalisés, sont indispensables, même si l’on admet qu’il y en a beaucoup en milieu urbain. Leur augmentation en nombre, surtout dans la frange de la petite enfance, pose un sérieux problème. Cette situation est la résultante des tares d’une société sénégalaise en perte de repères et de valeurs. Du désengagement, de la démission ou de l’irresponsabilité des parents qui aliènent leur devoir de prise en charge et d’éducation de leurs enfants dont ils se débarrassent littéralement en les confiant à des marabouts sans ressources, au ponce-pilatisme de l’Etat, en passant par la qualité douteuse d’éducateurs de beaucoup de maîtres coraniques, qui envoient les talibés mendier et quémander leur pitance plus qu’ils ne les initient à l’enseignement du Coran, et les «âmes charitables» qui contribuent à entretenir «le système» à travers l’aumône presque obligatoire, tout ce monde est à condamner. Tous coupables !

«La grève des bàttu ou les déchets humains» est une mise en garde à l’égard des autorités qui souhaitent «désencombrer» la ville de ces mendiants et lui donner «un visage plus avenant». Vaste programme dans la mesure où le nombre de ces pauvres «damnés de la terre», qui sont les symboles vivants de la fracture sociale de plus en plus marquée dans notre pays, croît davantage et constitue un véritable problème pour les pouvoirs publics. A l’évidence, le phénomène de la mendicité ne pourrait être éradiqué au moyen d’opérations ponctuelles de rafles de talibés, par pelletées, à travers les rues de Dakar et de sa banlieue, pour être parqués, comme des moutons, dans je ne sais quel centre d’accueil ou être reconduits à la frontière, pour ceux d’entre eux qui ne sont pas des Sénégalais. L’approche n’est pas bonne. Plutôt que d’attaquer le mal à la racine, on s’en prend aux symptômes.

Au demeurant, la traque des talibés fait beaucoup de malheureux en dehors de ces pauvres hères. Leurs marabouts se voient tout d’un coup privés de ressources générées par les versements journaliers auxquels les mômes étaient assujettis et dont ils devraient s’acquitter sous peine de recevoir une sévère correction en termes de châtiment corporel. Pour leur part, les «donneurs d’aumône», avec la formule pas toujours désintéressée «Am Yalla joxla» sur le bout des lèvres, passent pour des bienfaiteurs aux yeux des talibés qui savent distinguer les personnes généreuses et charitables des autres. Ainsi, ces «Baye défal Yalla» ne donnent pas toujours l’aumône dans le but d’aider les mendiants ou de compatir à leur misère et à leur dénuement, mais ils ne font parfois que soulager leur propre conscience et s’intéressent surtout aux prières formulées à leur endroit par les mendiants. Le fonctionnaire fait des offrandes pour avoir une promotion, le malade pour guérir de ses maux, le pécheur pour se racheter, l’élève ou l’étudiant pour réussir à son concours ou à son examen, la femme mariée pour conjurer le mauvais sort sous les traits d’une co-épouse, etc…

«Sarax dina wañi baakaar, dina fàngkhmusiba ak balaa, yokk fanyi, sutura ak teranga», etc… disent les mendiants dans les moyens de transport, devant les feux tricolores, à l’entrée ou à la sortie des hôpitaux, des officines de pharmacie, des mosquées, des banques, etc. A Dakar et dans les grandes villes du Sénégal, les mendiants font partie du décor. Leur présence rassure quant à la garantie de trouver des réceptacles de nos préjugés et superstitions, et le champ d’application ou les bénéficiaires des recommandations de nos marabouts ou féticheurs qui nous prescrivent des aumônes. Imaginez un peu la tête que ferait un «client» d’un marabout à qui ce dernier aurait intimé l’ordre de sortir un «sarax», condition sine qua non pour que ses vœux soient exaucés, mais qui ne trouve aucun mendiant à qui faire des offrandes. Ne plus les voir, même momentanément, au coin de la rue, pourrait engendrer un dérèglement de la société.

Il est vrai que leur nombre très élevé et la façon dont ils s’y prennent en s’agrippant parfois aux boubous des passants ou en se penchant, la tête avant, à travers les portières des véhicules pour tendre la main avec véhémence, frise le harcèlement ou est à la limite de l’agression physique. Malgré tout, ce n’est pas à travers des décisions prises à la hâte, par un Etat tatillon et qui excelle dans le pilotage à vue, suivies d’actions d’éclat et de mesures spectaculaires, qui n’ont pas fait l’objet, au préalable, d’une analyse profonde, pointue et globale du phénomène, que les autorités du pays pourront apporter une solution viable et durable à ce problème.

Aujourd’hui, tout le monde ou presque est conscient que cet activisme débordant de l’Etat va durer le temps d’une rose, une fois que l’euphorie sera retombée aussi vite qu’elle était montée. Comme ce fut le cas dans d’autres situations similaires, vécues antérieurement. Que sont devenus les vœux pieux émis avec grandiloquence par le pouvoir de Macky Sall au lendemain de l’incendie d’un daara de la Médina en mars 2013, et qui avait occasionné la mort de 9 talibés calcinés et consumés par les flammes ? Quid du projet dit de modernisation des daara ? Autant en emporte le vent. Pis, en plus d’avoir choisi manifestement la solution qui est loin d’être la meilleure pour venir à bout de la mendicité des talibés, l’Etat du Sénégal en a pris pour son grade et a beaucoup perdu de son autorité dans cette affaire. En effet, de la façon dont certains maîtres coraniques, outrés par les agissements du gouvernement, défient ouvertement l’autorité en lui intimant l’ordre de rapporter la mesure sous peine de subir une «fatwa», le régime de Macky Sall se voit toisé, débordé sur les flancs, intimidé et soumis à des pressions difficilement égalables.

Certainement que l’Etat fera le dos rond et la sourde oreille. Il fera de la résistance et continuera ses opérations de «nettoiement» méthodique jusqu’au jour où, ne voyant plus un talibé à 2km à la ronde, surtout le vendredi, jour de générosité générale chez les musulmans, les populations «privées» de leur «devoir de charité», marcheront sur le palais présidentiel pour réclamer le retour «taf-taf» des talibés. A moins que les talibés eux-mêmes, agacés et révoltés par cette traque, rangent leurs sébiles et disparaissent de la circulation. L’un dans l’autre, le résultat sera pareil. L’Etat sera dans l’obligation de faire machine arrière pour trouver une autre solution que le déguerpissement des talibés.

 

Pape SAMB

papeaasamb@gmail.com

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