Sous prétexte d’un souci de reproduire de manière fidèle les propos d’un interlocuteur, le journaliste doit-il rapporter des indécences du genre de celles proférées par l’ancien ministre Samuel Sarr contre l’homme politique Idrissa Seck, dans les colonnes du journal Libération ? Non, estimons-nous ; et votre serviteur est sûr de n’être pas le seul journaliste (et pas seulement nous journalistes) à soutenir qu’il y a de l’éthique et de la déontologie journalistiques à s’interdire de se faire le relais des propos sortis du ruisseau. C’est une question de respect du public ; elle l’est aussi de respect de soi-même. Respect de sa profession et même, en dernière analyse, avoir une once de pitié pour l’insulteur. Samuel Sarr a été grossier, ordurier et un journaliste a amplifié son insolence. Une adversité politique ne saurait justifier de pareilles insultes et caractérisations injurieuses. L’affaire est trop grave, si grave que le Conseil pour l’observation des règles d’éthique et de déontologie dans les médias (Cored) pourrait, en toute légitimité, s’en saisir pour que son avis désapprobateur (nous pronostiquons) serve de leçon à tous les journalistes tentés de tomber dans la dérive similaire.
Le souci de l’exactitude ne peut justifier que le journaliste rapporte des insanités. Et c’est ce besoin de décence qui, parfois, explique les points de suspension mis à la place des mots grossiers employés par un interlocuteur cité par le journal. Peut-être que la reproduction de ces insolences d’un ancien ministre était un argument de vente, c’est-à-dire qui fait vendre. Mais qui écornent aussi une image. Et à la fin, on se demande si le jeu de la vente vaut la chandelle qui l’éclaire d’une lumière triste.
Reproduire la source, tout de ce que dit la source ? Pas tout, tant que ce qui doit être passé sous silence est un manque de respect au public qui est la raison d’être d’un organe de presse, pour paraphraser la devise de la Radiodiffusion télévision du Sénégal (RTS).
Assassinat par-ci, assassinat par-là ! Le terme fait florès et en devient galvaudé. Un professeur d’université et maire de commune rurale s’est-il retrouvé dans un cortège d’une autorité et que la sécurité de cette personnalité ait tiré des balles dans le moteur du véhicule, et voilà l’imprudent crier à la ‘’tentative d’assassinat’’ sur les radios qui lui tendent leurs micros. Et il est louable qu’un journaliste ne se soit pas laissé entraîner dans cette surenchère. ‘’Le maire de Réfane se prend pour qui ?’’ se demande la journaliste Bineta Diallo sur sa page Facebook. ‘’Il alerte pour dire que les bodyguards du président ont cherché à attenter à sa vie. Est-ce que c’est comme ça que l’on s’infiltre dans le cortège présidentiel, surtout dans ce contexte d’insécurité ? Il cherche le buzz aussi’’, poursuit la consœur.
Il faut se démarquer des abus de langage, les délimiter par des guillemets et préciser que l’on ne fait que citer. Parce que, dans un compte-rendu, tout propos grave, marqué, connoté dont le journaliste n’aura pas pris le soin de préciser qu’il ne fait que citer pourrait lui être imputé, c’est-à-dire considéré comme lui-même journaliste qui l’a dit. Il y a deux manières de citer : ‘’en substance’’ (qui consiste à résumer en donnant l’essentiel tout en restant absolument fidèle à l’idée de l’auteur) et citer ‘’textus’’ (textuellement, si vous voulez) consistant à reproduire les propos tels que tenus par leur auteur.
Le policier Racine Diène, en mission de stabilisation sous la bannière des Nations unies en Centrafrique, est-il mort tué par des rebelles que certains journalistes dakarois crient à l’‘’assassinat’’. N’est-il pas plus prudent de laisser la qualification des faits à un expert ? En effet, pour qu’on puisse parler d’assassinat, il faut qu’il y ait eu préméditation. La personne exclusive de la victime a-t-elle été visée par les meurtriers ? Le journaliste de la Rfm aura été plus circonspect en soulignant qu’il n’y a ‘’aucune information sur les circonstances de ce décès’’.
Le site www.d roit-finances.net explique qu’il y a une différence entre un meurtre et un assassinat : ‘’Le meurtre et l’assassinat sont deux notions juridiques souvent confondues. Mais meurtrier n’est pas synonyme d’assassin d’un strict point de vue pénal. Si ces deux infractions sont bien des crimes constitués par un homicide intentionnel (l’auteur de l’acte a l’intention de tuer la victime dans les deux cas), l’assassinat est considéré comme plus grave que le meurtre car il est commis avec une circonstance aggravante : la préméditation. Contrairement au meurtrier, l’assassin doit avoir le dessein mûri et réfléchi de tuer la victime avant d’accomplir son acte. Exemple : l’arme a été préparée à l’avance par le tueur, il a surveillé les allées et venues de la victime plusieurs jours avant, etc.‘’
Si les situations avaient été inversées et que la Sénégalaise Mbayang Diop, accusée du meurtre de sa patronne en Arabie Saoudite, ait été tuée des mains de son employeuse, la presse de son pays aurait (là encore) crié à l’assassinat comme c’est le cas à chaque fois qu’un ou une compatriote est tué à l’étranger. Attention aux mots ! Ils ne sont pas tous neutres.
Le site www.dernièreminute.sn annonce la mort du maire de Thiamène, commune rurale aux environs de Louga, et illustre son texte par un couteau ensanglanté au-dessus d’une flaque de sang ! Là non plus, on ne connaît pas les circonstances du décès de l’édile, mais la photo publiée par le site laisse croire que la mort a été violente et même provoquée, soit par un tiers soit par la victime elle-même (suicide). Les photos, elles non plus, ne sont pas neutres.
Post-scriptum : Juste pour vous recommander le débat provoqué par le journaliste Hamadou Tidiane Sy sur sa page facebook au sujet de ces coups de fil de Karim Wade depuis Doha, à des personnalités politiques sénégalaises ; et que certaines organes de presse s’empressent de relayer au point d’en faire un feuilleton, au point qu’un facebooker ironise en parlant de ‘’call center de Doha’’. ‘’A quoi riment ces appels téléphoniques tous azimuts ?’’ s’interroge M. Sy. ‘’Pour prouver qu’on a recouvré la liberté ? Prouver qu’on a un numéro du Qatar qui marche ? Faire savoir qu’on n’est pas si fauché que ça ? Nous faire perdre notre temps ? Et notre, oui notre presse, ah notre presse, quel intérêt vraiment à relayer quotidiennement le compte rendu de ces appels bidon ?’’.
Jean Meissa Diop
enqueteplus.com