L’interdiction du port du voile dans une école catholique a soulevé, il y a quelques jours, des commentaires acerbes voire incendiaires de certains médias et organisations. Précisons à l’entame de cette réflexion qu’aucun règlement d’école catholique au Sénégal n’interdit le port du voile et qu’il s’agit, si interdiction il y a, de décisions individuelles, prises dans des circonstances particulières et en général, vite révoquées. En effet, l’Eglise et l’enseignement catholiques ne s’opposent pas au port du voile, d’ailleurs le pape François vient de le confirmer récemment en soulignant que chacun doit être libre de porter le foulard, le voile ou la croix, quand il veut et où il veut.
Nous allons tenter d’analyser les raisons qui poussent un directeur d’école à interdire le voile et les réactions démesurées des médias et associations.
Quelle est la situation de départ ? Une note adressée aux parents d’une école catholique à St-Louis, interdisant le port du voile à partir de la prochaine rentrée. Cette note a soulevé l’ire des parents des élèves concernées, ils ont immédiatement alerté la presse et attiré l’attention sur ce qu’on a titré : «Terrorisme vestimentaire» (sic). La décision de l’école serait un danger pour la cohésion nationale et pour la cohabitation paisible entre les religions au Sénégal. Pas moins que cela.
L’amplification de la situation par la presse trahit une attitude dangereuse : Au lieu d’aller à la source de l’information, chercher à interroger toutes les parties, dans un esprit d’équilibre et d’équité, les journalistes ont condamné l’action d’une école catholique, sans chercher à savoir pourquoi cette mesure a été prise.
De même, les concernés ont alerté immédiatement la presse et certaines organisations, sans avoir cherché à parler au directeur de l’école. Le manque de communication peut-il expliquer des réactions aussi démesurées reportées dans les articles de presse ? D’abord, la tenue d’une assemblée extraordinaire de 50 parents d’élèves soutenus par une association de défense des consommateurs pour manifester contre cette décision, avec implication de conseillers juridiques, et ensuite l’appel de l’organisation Jamra à un mouvement de protestation avec brassards rouges.
Ce que je trouve inquiétant et grave dans cela, c’est le fait de reprocher à une école catholique, et par ricochet, sous-entendu, à la communauté catholique, de ne pas jouer le rôle du vivre ensemble, de semer les germes de confrontation. Cela dénote une instrumentalisation de l’incident, avec des buts peut-être inavoués. Permettez-moi, dans ce contexte, de souligner qu’il est surprenant que dans un pays à une majorité musulmane de 95%, on accuse les catholiques de stigmatiser les musulmans.
Réfléchissons aussi un tout petit peu sur la cause qui a déclenché l’incident. Le problème n’est pas nouveau dans les écoles catholiques. En effet, certaines filles voilées refusent de s’intégrer dans la communauté scolaire, elles refusent de participer au projet éducatif de l’école. Elles s’auto-excluent, ne participent pas aux cours de sports, ne donnent pas la main, parmi d’autres. Bien entendu, ce ne sont pas toutes les filles voilées qui refusent de s’intégrer, mais comment faire la part des choses ? Ainsi, il arrive des situations où le projet éducatif de l’école et le vivre ensemble, l’harmonie de la communauté scolaire sont en jeu, et cela peut pousser un directeur d’établissement à une réaction pareille.
Heureusement, grâce à la vigilance et à la sollicitude de plusieurs intellectuels musulmans sur place, on a pu informer les autorités de l’enseignement catholique et elles ont attiré l’attention du directeur sur le règlement qui ne prévoit pas d’interdiction de port de voile. Ainsi, le problème a été résolu rapidement, dans le calme et la sérénité.
Cependant, le problème n’est pas encore réglé dans le fond, il persiste tant qu’il y aura des élèves qui se singularisent et des parents d’élèves qui n’estiment pas nécessaire que les enfants s’intègrent dans le projet éducatif d’une école.
L’éducation dans les écoles catholiques, qui suivent les curricula et l’organisation des écoles publiques, est particulièrement basée sur des valeurs de fraternité, de communauté, de solidarité et de vivre ensemble. Elle est sous-tendue par les valeurs du respect de l’autre, de responsabilité, de l’acceptation de l’autre dans sa différence. C’est certainement aussi une des raisons qui font l’attractivité et la réussite de l’école catholique. Peut-être certains ne savent pas que plus de 90% des effectifs des écoles catholiques sont composés d’élèves musulmans.
Les parents, en inscrivant leur enfant, signent le règlement de l’école, et du moment où un parent signe ce document, il doit préparer son enfant à le respecter. Les directeurs des écoles catholiques n’ont pas l’intention d’exclure ou de stigmatiser des enfants, au contraire, mais ils ne peuvent pas accepter certaines attitudes au sein de leurs établissements qui vont à l’encontre du règlement, des valeurs et du projet éducatif de leur école.
Les réactions des parents d’élèves, de la presse et des organisations mentionnées dénotent une attitude peu coopérative, voire hautaine et menaçante. Ils accusent l’école catholique, mais je pense que cette polémique autour du port du voile vient d’ailleurs. En effet, au Sénégal, nous avons le bonheur d’une cohabitation exemplaire entre les religions, magnifiée par tous les Sénégalais et les observateurs. Le Sénégal est un modèle, une vitrine de la coexistence constructive, de la cohabitation paisible, du dialogue interreligieux. Demandez aux citoyens sénégalais, et la plupart vont nous confirmer qu’ils sont fiers, heureux et jaloux de cette belle et longue cohabitation. Pour rien au monde, ils ne voudraient se passer de ce dialogue permanent, de ce vivre ensemble, dans des moments de joie et de douleur. Le Sénégal a toujours ressemblé à une grande et harmonieuse famille où il faisait bon vivre, toutes les religions, ethnies, communautés confondues.
Cependant, depuis quelques années, nous constatons un certain changement, un resserrement de la situation, probablement en réaction à l’embrasement de plusieurs pays musulmans, au terrorisme qui instrumentalise de manière ouverte ou sournoise la religion, et à l’islamophobie montante en France et en Europe. Dans ce contexte mondial tendu, on a l’impression qu’on fait, au Sénégal, le recoupement de certaines situations vécues en France, comme l’interdiction du port du voile perçue comme une stigmatisation des musulmans. Cela est très regrettable, mais peut-être compréhensible, dans le contexte mondial.
Au vu de toutes ces évolutions dans le monde, nous ne devrions pas accepter l’instrumentalisation d’incidents comme celui qui vient de se passer pour susciter des ressentiments contre les chrétiens ou autres communautés. Nous avons eu récemment les propos incendiaires de personnalités du monde public, et puis voilà, une simple mesure certes malencontreuse d’une école catholique est présentée comme un affront global contre les musulmans. Cela est grave, et c’est triste, vu le long passé si harmonieux et paisible de la cohabitation entre les religions. Il faut que nous soyons vigilants vis-à-vis des pyromanes.
Avant de finir, je voudrais souligner quelques éléments qui prouvent qu’il existe aussi des obstacles et des difficultés du dialogue interreligieux au Sénégal. Je donne à titre d’exemple, sans citer de noms et de lieux, la difficile réalité de chrétiens privés d’un lieu de culte dans plusieurs localités du Sénégal. Dans certaines écoles, toutes les filles, aussi les filles chrétiennes, sont obligées de porter le voile. Quand il s’agit de mariage, sans que cela soit une obligation religieuse, beaucoup de filles chrétiennes abandonnent leur foi pour adopter celle de leur époux, souvent sous la pression. Il existe également des cas où des jeunes ont abandonné leur foi pour trouver un travail ou un lopin de terre à cultiver. Dans certains villages, on a refusé la sépulture à des catholiques décédés, ainsi les parents sont obligés d’aller loin dans d’autres villages et trouver un endroit pour enterrer leurs morts.
Ce sont juste quelques exemples reflétant des réalités qui existent au Sénégal et dont la presse ne fait pas cas. Et les concernés non plus. La cohabitation religieuse est un permanent défi. Tous les membres des différentes communautés doivent jouer leur partition.
Le Sénégal n’a pas besoin d’une «guerre des civilisations», et dans ce contexte, je voudrais souligner et magnifier le rôle extrêmement important que jouent les confréries sénégalaises dans l’entente et la concorde entre les communautés. Elles sont un garant puissant pour le maintien de la paix sociale et du dialogue entre toutes les parties de la société.
Je voudrais saluer au plus haut point toutes les initiatives qui visent à œuvrer pour une meilleure connaissance de sa propre religion et de la religion de l’autre, qui œuvrent pour l’esprit d’ouverture, de tolérance, de compréhension et de coopération.
Marie NDIAYE
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