Le Sénégalais le plus stupide pourrait tout de même assigner sans risque de se tromper qu’une presse indépendante et engagée, la tenue régulière d’élections transparentes et surtout l’existence d’une opposition légale, sont les gages d’une démocratie réelle.
Et si, de Senghor à Wade, le Sénégal a toujours été hissé au rang des rares pays vitrines de la démocratie, c’est sans doute parce que, sous nos cieux, les fondements de la République sont restés solides. Hélas, depuis quelques temps, l’inquiétude va crescendo quant aux réelles motivations des tenants du pouvoir qui n’ont de cesse de s’acharner sauvagement sur tous ceux qui osent lever un coin du voile sur la gouvernance de «sa majesté». Mais quoi donc ? Les faits, rien que les faits motivent cette appellation.
Pour avoir signé avec les syndicats d’enseignants des «accords réalistes et réalisables» selon le chef du gouvernement, l’Etat s’est royalement dédit après deux longues années de diversion. Au finish, l’arme de la radiation est brandie pour sonner le glas des revendications légitimes des syndicats… Le tout couronné par la bénédiction de l’élite religieuse !
Au même moment, le fameux protocole de Rebeuss est remué pour masquer le récent «protocole de Qatar». Comme quoi, l’ex-premier ministre et chef de file de Rewmi est devenu vraiment gênant. Ses sorties virulentes et pertinentes sur des questions vitales perturbent la quiétude au sommet, et il urge de le liquider. Et à défaut de lui servir une réplique rationnelle par des arguments crédibles, on déterre des dossiers caducs dignes d’une insulte de taille à l’intelligence du peuple.
S’ensuit l’épisode du premier chef de gouvernement de la seconde alternance qui verra son procès verbal de divorce étalé sur la rue publique tout comme on l’avait tu pendant tout le temps qu’il courbait docilement la nuque pour magnifier la grandeur de sa «majesté».
Et pour finir, les innombrables dossiers et actuelles malversations financières rendus publics par la présidente de l’Ofnac seront auréolés tout bonnement par un limogeage hâtif et suspect. C’est sans doute fort de cette kyrielle de contradictions que sa Majesté a éprouvé le besoin de tancer encore une fois le peuple qu’il met en garde de «réveiller le lion qui dort», oubliant du coup que c’est un peuple brusquement éveillé de son long sommeil qui lui avait ouvert les portes du palais de l’avenue Roume.
Pouvoir, quand tu nous tiens ! Pourtant, il y a tout juste 4 ans, une alliance d’hommes qui se disaient épris d’un Etat de droit, de justice et de prospérité ont su décrocher l’adhésion totale d’un peuple mature et nostalgique d’une gouvernance saine et vertueuse. Le peuple souverain, indigné jusque dans sa chair, fatigué d’être ballotté dans des eaux troubles par le navire libéral, s’était décidé, pour une seconde fois depuis l’indépendance, à se libérer de l’emprise de tout un régime politique. Et chose curieuse, du sang humain fut versé pour témoigner de la volonté ardente des sénégalais à veiller désormais au grain à leur destinée. Gouvernement pléthorique, tripatouillages constitutionnels, ambitions dynastiques et pillage des deniers de la République sont, entre autres, les péchés capitaux qui ont éconduit le président Wade et son équipe.
Aujourd’hui encore, l’actualité quotidienne vient de porter à notre connaissance que le mal est toujours dans le fruit et qu’on joue toujours aux dés au sommet de l’Etat. En vérité, nul besoin d’être pseudo-analyste ou expert en politique, pour comprendre avec justesse que des slogans creux et vides de sens ont jusque-là servi à nourrir un peuple affamé de concret. Et pour cause, la soi-disant alliance pour la république cache sous ses draps une désunion profonde que vient de traduire l’implosion du parti socialiste.
La grogne des magistrats qui réclament l’autonomie, la suspension d’un inspecteur du trésor pour «devoir de réserve» et la raclée servie à madame la présidente de l’Ofnac, prouvent à suffisance qu’une nouvelle «alliance pour la dictature» est en passe d’être légitimée. Et gare à celui qui s’aventure à rouspéter, il faut plutôt obtempérer, annihiler toute forme de réflexion et vénérer, en silence, la volonté du maître. Le maître ?
Si le terme a perdu sa saveur sous d’autres cieux, chez nous, elle jouit encore de la plénitude de son sens. A telle enseigne que le citoyen le moins informé est en mesure de bomber le torse avec fierté et vociférer à tue-tête l’éternel refrain «le chef de l’Etat a l’exclusive prérogative de nommer aux postes civils et militaires». Est-ce là une raison suffisante pour justifier l’instabilité institutionnelle et le tohu-bohu politique qui gangrène encore notre triste Sénégal, un demi-siècle durant ?
Nous ne croyons pas que, chez nous, l’essence de ce «pouvoir de nomination» soit assez bien compris par tous. Ailleurs, où la souveraineté et le bien-être du peuple est un réel sacerdoce, ce pouvoir de nommer n’est point synonyme d’une épée de Damoclès que le chef a la prérogative de brandir à son gré pour couper des têtes. C’est plutôt un pouvoir que le peuple lui confie pour choisir parmi ses dignes fils, ceux qui sont enclins à disposer leur savoir et leur savoir-faire pour le bien-être de tous.
Si le peuple sénégalais est aussi mature qu’il le clame au-delà des frontières, il devrait alors, sans peine, comprendre que «nommer» laisse entendre un choix rationnel et judicieux avec comme préalable des critères bien définis tels que les compétences professionnelles, l’intégrité morale et l’élan patriotique de celui ou celle à qui le chef de l’Etat confie un poste de responsabilité quelconque dans son gouvernement. Evidemment, un tel choix ne peut s’accompagner de limogeages à la hâte à chaque crépuscule.
Hélas, il convient de signaler avec regret que chez nous, le peuple n’est toujours pas souverain. Et c’est pourquoi il a toujours des « maîtres-d’Etat » et non des chefs. Il obéit aux lois tout en se soumettant à des hommes qui manipulent sa destinée au gré de leurs appétits pouvoiristes. Une fois élus, nos chefs d’Etat s’assignent d’abord comme objectif d’étendre l’espace de leur subconscient où doivent s’ensevelir toutes les promesses tenues au peuple (la grosse bête). Et du coup, la vertu politique, principe fondamental de la démocratie, cède la place au principe révolu du droit divin : le droit de gouverner nous appartient à nous et à nous seuls ! L’on comprend alors pourquoi, en Afrique, un premier mandat est tout juste un machin pour désherber le chemin qui mène au second !
El Bachir Thiam