L’Afrique, à l’image des autres continents, présente une histoire très riche et propre à elle. Considérée comme le berceau de l’humanité, notre continent se glorifie avec ce qui s’est passé en Egypte avec ces pyramides qui constituent aujourd’hui des vestiges intéressant tous les archéologues. Cependant, notre histoire récente a connu la traite négrière et la colonisation dont les conséquences sont le brassage culturelle et le développement technique, technologique et scientifique entre autres. Le départ du colon appelé communément la décolonisation a laissé en place de jeunes Etats avec des systèmes peu organisés et limités aux seules métropoles créées par l’envahisseur. Les guerres civiles, les coups d’Etat répétitifs, les dictatures, la boulimie du pouvoir, l’accaparement des richesses par l’élite politique ont ralenti le développement économique et social du continent. L’éducation, le socle irréfutable du développement humain durable, est également à la base de la démocratisation des systèmes de gouvernance.
Cinquante années après les indépendances, la démocratie est devenue un modèle de gouvernance et de gestion des affaires publiques. Cette situation a permis l’accentuation des mouvements syndicaux qui ont pris de l’ampleur dans les entreprises et les administrations publiques. Les mouvements de grève des élèves et des étudiants ont accompagné le processus de formation et ont toujours occasionné des pertes énormes en matière d’heures d’apprentissage.
Le Sénégal, considéré comme un modèle de stabilité sociale et de démocratie, a facilité la mise en place d’un mouvement syndical très diversifié qui a enregistré, il faut le reconnaître, d’importants acquis sociaux. Ce parcours, jalonné bien sûr par des grèves de toutes sortes, ne s’est pas réalisé sans conséquences aussi bien sur les travailleurs que sur les entreprises.
Pourtant, le mot grève revêt toute une histoire. En interrogeant justement l’histoire, nous nous rendons compte que les premières manifestations sous cette forme datent du règne du souverain Ramsès III où les ouvriers protestaient contre le retard de ravitaillement.
Cependant, il faut noter que c’est à partir de 1789 avec la Déclaration universelle des droits de l’Homme et du Citoyen que les travailleurs français ont commencé à s’organiser réellement.
Aujourd’hui, le travailleur a choisi entre plusieurs formes de grève même si certaines sont jugées contraires à la législation (grève de zèle, grève sauvage, grève générale, grève de la faim, etc.). La marche est également un moyen que les travailleurs utilisent parfois d’une manière spontanée pour manifester leur désaccord par rapport à une situation donnée sans respecter les formalités d’usage. Toutes ces formes montrent que la grève demeure un bras de fer entre le travailleur et l’employeur.
Au Japon, par exemple, les travailleurs en grève s’expriment par le port de brassards pendant les heures de travail. C’est cette forme que l’ancien président Me Abdoulaye WADE avait suggérée afin de réduire les grèves répétitives dans la Fonction publique. Cependant, il faut noter que cette forme n’altère en rien la productivité. Le législateur sénégalais, comme ailleurs dans beaucoup d’autres pays, a cherché à légitimer certaines formes de grève sous condition d’une procédure parfois contraignante aux yeux du travailleur.
Notre loi fondamentale, dans sa partie réservée aux droits et devoirs du citoyen, a dégagé les contours du droit syndical. Nous vous proposons le texte tel qu’il est énoncé à l’article 25.
« Le travailleur peut adhérer à un syndicat et défendre ses droits par l’action syndicale.
Toute discrimination entre l’homme et la femme devant l’emploi, le salaire et l’impôt est interdite. La liberté de créer des associations syndicales ou professionnelles est reconnue à tous les travailleurs.
Le droit de grève est reconnu. Il s’exerce dans le cadre des lois qui le régissent. Il ne peut en aucun cas ni porter atteinte à la liberté de travail, ni mettre l’entreprise en péril. Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination des conditions de travail dans l’entreprise. L’Etat veille aux conditions sanitaires et humaines dans les lieux de travail.
Des lois particulières fixent les conditions d’assistance et de protection que l’Etat et l’entreprise accordent aux travailleurs ».
Le Code du travail et le Statut général de la Fonction publique (Loi 61-33 du 15 juin 1961) constituent également des références pour la gestion des personnels du secteur privé et de l’administration publique. C’est pourquoi nous ne pouvons pas parler de grève sans faire référence à ces deux textes.
Selon le Code du travail et plus précisément en son article L. 70, le contrat est suspendu pendant la grève si celle-ci est déclenchée dans le respect de la procédure de règlement des conflits collectifs de travail. Dans ce cas précis, le code n’a pas précisé si l’employé a droit au traitement salarial ou non pendant ces moments de grève. Ces questions sont certainement traitées par les conventions collectives.
Les agents de l’Etat fonctionnaires sont soumis au Statut général de la Fonction publique (Loi 61-33 du 15 juin 1961).
Conformément aux dispositions de l’article 25 de la Constitution et sous réserve de l’article 99 du Statut général de la Fonction publique, le droit de grève est reconnu aux fonctionnaires.
Toutefois, les fonctionnaires ne peuvent cesser collectivement le travail qu’après expiration du délai d’un mois suivant la date de la notification, à l’autorité administrative compétente, par la ou les organisations syndicales représentatives, d’un préavis écrit énonçant les motifs et la durée de la grève envisagée. Celle-ci ne peut intervenir ou se poursuivre lorsque l’ordre de grève est rapporté par la ou les organisations qui ont notifié le préavis.
Ceux qui cessent le travail en violation des dispositions de l’alinéa précédent peuvent immédiatement subir toutes sanctions disciplinaires, sans bénéficier des garanties prévues par les articles 46 et 51 du Statut général de la Fonction publique. Voilà en quelque sorte ce que dit le législateur sénégalais sur la grève des fonctionnaires (Article 7).
D’une manière voilée, d’autres dispositions viennent déroger ce droit de grève aux fonctionnaires. Dans ce même article 7, la loi dit ceci : « L’autorité administrative compétente peut, à tout moment, procéder à la réquisition des fonctionnaires qui occupent des fonctions indispensables à la continuité des services publics ou à la satisfaction des besoins essentiels de la Nation ».
Récemment, nous avons appris par la presse que des syndicats ont envisagé de porter plainte contre l’Etat du Sénégal auprès du Bit. Sachant que les conventions internationales ratifiées par Monsieur le Président de la République sont autorisées par le Parlement après vérification de leurs conformités avec notre législation, nous nous posons des questions sur une telle opportunité.
Le Sénégal a ratifié la convention n° 98 de l’Oit le 28 juillet 1961. En son article premier, il est dit que :
« 1. Les travailleurs doivent bénéficier d’une protection adéquate contre tous actes de discrimination tendant à porter atteinte à la liberté syndicale en matière d’emploi.
2. Une telle protection doit notamment s’appliquer en ce qui concerne les actes ayant pour but de :
• subordonner l’emploi d’un travailleur à la condition qu’il ne s’affilie pas à un syndicat ou cesse de faire partie d’un syndicat ;
• congédier un travailleur ou lui porter préjudice par tous autres moyens, en raison de son affiliation syndicale ou de sa participation à des activités syndicales en dehors des heures de travail[1] ou, avec le consentement de l’employeur, durant les heures de travail ».
D’ailleurs les fonctionnaires sont exclus de la convention 98 de l’Oit. L’article 6 stipule que : « La présente Convention ne traite pas de la situation des fonctionnaires publics et ne pourra, en aucune manière, être interprétée comme portant préjudice à leurs droits ou à leur statut ».
Ce sont les fonctionnaires de l’Etat qui assurent la surveillance du territoire national, la santé, l’éducation et l’offre de service au profit des citoyens sénégalais. L’éducation et les soins de santé étant des besoins essentiels pour la survie d’un Etat, personne ne peut refuser à un gouvernement de recourir à cette pratique légalement consacrée pour la continuité du service publique. Aucune organisation internationale ne peut en aucun cas condamner l’Etat du Sénégal d’avoir usé du droit pour assurer la continuité du service public.
Maintenant que les enseignants et les élèves vont en vacances pour deux mois, c’est donc le moment de mener ensemble la réflexion afin de trouver une solution durable pour une éradication des grèves répétitives dans la Fonction publique notamment dans le secteur de la santé et de l’éducation.
En attendant la mise en œuvre d’un véritable cadre pour de réelles négociations dans le respect des lois et règlements de ce pays, nous serons obligés de donner notre avis par rapport aux conséquences désastreuses de la grève.
Il y a quelques semaines, la presse a fait écho d’une étude publiée lors d’un séminaire du ministère de l’Education nationale. Selon l’étude, un élève qui vient de décrocher son baccalauréat a perdu au moins quatre années d’études. Ce constat est amer mais sa véracité est sans équivoque.
Les conséquences des grèves sont connues de tous : pouvoirs publics, élèves, parents d’élèves et partenaires sociaux.
Pour illustration, nous allons nous référer à deux exemples : les résultats scolaires au Prytanée militaire de Saint-Louis et à la Maison d’Education Mariama Bâ de Gorée. Le Prytanée encadre les élèves dans un système militaire et les enseignants sont sélectionnés et obligés à suivre le rythme militarisé. Les élèves ne perdent pas de temps et les programmes sont bouclés chaque année. C’est presque le même cas à Mariama Bâ.
L’autre exemple concerne un fait qui nous paraît très important. Il s’agit du concours d’entrée à l’école Mariama Bâ de Gorée.
En effet, un communiqué relatif au concours d’entrée paru dans le quotidien L’Observateur du jeudi 05 novembre 2015 et signé par le directeur des Examens et Concours illustre clairement la situation de l’école publique. Le communiqué renseigne que sur les 32 admises 25 élèves proviennent des écoles privées contre 7 pour le Public.
Nous ne saurions terminer cette réflexion sans proposer des solutions qui, à notre avis, seront durables. C’est pourquoi nous citons quelques pistes pouvant aboutir à un règlement ne serait- ce que partiel de la récurrence des grèves dans la Fonction publique.
En ce qui concerne la grève des enseignants, auteurs des principales revendications dans la Fonction publique, l’Etat a du mal à faire respecter le droit pour ce qui concerne la grève. Les autorités sont incapables de faire cesser les mouvements des différents syndicats d’enseignants au détriment des élèves qui peuvent aussi revendiquer leur droit à l’éducation. Tout le monde sait également qu’une grève constitue toujours un rapport de force dans lequel l’employeur préfère fermer les yeux quand les travailleurs franchissent la limite du droit et cela pour éviter d’amplifier le mouvement.
En France, toute grève de fonctionnaires était illégale. C’est avec la constitution de 1946 que le droit de grève est accordé aux fonctionnaires français avec bien sûr un prélèvement par jour ou portions de jour non travaillés.
Cependant, toute journée de grève, quelle que soit la durée du service non effectué, donne lieu à une retenue de 1/30ème de la rémunération mensuelle pour les agents de l’Etat français.
Le principe du service rendu et le fait qu’il n’existe pas de gratuité dans l’administration, nous obligent à dire que le service non effectué ne doit être rémunéré.
A propos d’éventuelles retenues, le législateur sénégalais est plus généreux, lui qui reste muet sur les sanctions pécuniaires. Il n’est pas prévu dans le Statut général de la Fonction publique, du moins d’une manière catégorique, des prélèvements salariaux en cas de grève. La loi n’a pas non plus précisé si le fonctionnaire a droit à son salaire. Par contre, il a prévu des sanctions disciplinaires en cas de grève illicite ou d’absences irrégulières.
La loi étant un moyen de régulation sociale, il urge de revoir le principe même de la grève, sa procédure et son application afin d’éviter les préjudices infligés à d’innocents citoyens bénéficiaires du service public.
La recrudescence des grèves et la recherche de moyens additionnels poussent nos collègues à des pratiques qui peuvent être jugées exigées. Aujourd’hui, quel que soit son niveau de légitimité, la grève des enseignants a posé un problème de conscience morale et d’éthique. Face aux nombreux défis de l’école tels que les classes pléthoriques, la déperdition scolaire, la scolarisation universelle, le retard technologique à l’école, (etc.), il est inconcevable que les revendications se limitent souvent à l’amélioration du traitement salarial de l’enseignant.
Par ailleurs, que dire des enseignants qui ont boycotté les cours publics pour lesquels ils ont été formés, recrutés et payés à la fin de chaque mois et qui ont continué à dispenser des cours dans les établissements privés, privilégiant ainsi des élèves qui ont peut-être échoué à l’école publique ? Que dire des enseignants qui continuent de réclamer, à la fin de chaque mois les cotisations des élèves pour des cours de renforcement effectués de manière irrégulière ?
Tout le monde sait que des enseignants ont ouvert des écoles privées à côté de leurs établissements d’affectation afin d’y recevoir les exclus du système. D’autres enseignants qui n’ont pas pu ouvrir des écoles privées dispensent des cours dans ces établissements privés parallèlement à leur emploi de temps du public. Ces pratiques obliquent mes collègues à négocier avec les chefs d’établissements des emplois de temps bien aménagés afin de leur permettre de pouvoir prendre le maximum d’heures dans la « forêt ».
Dans le secteur de la santé, beaucoup, en plus de l’emploi de temps programmé par son établissement, s’adonnent à un service de vacation dans d’autres établissements de santé ou cliniques. Les professeurs d’université qui donnent des cours dans le privé continuent d’enseigner, en période de grève, leurs élèves des Ecoles privées pendant que les étudiants quittent les facs.
Aujourd’hui, l’heure est à la remise en cause de tout un système dans lequel les élèves, les parents d’élèves et les partenaires sociaux éprouvent des difficultés à suivre le rythme.
En fermant les yeux devant une situation pareille, les autorités savent pourtant que ces pratiques sont illégales (Article 09 du Statut général de la Fonction publique).
Dans toute entreprise, les agents dont les actions ont contribuées à l’accroissement de la productivité de l’entreprise méritent une sanction positive. Par contre, les agents dont le but est de bloquer l’outil de production méritent des sanctions négatives.
Au Sénégal, le droit du travail a rapidement évolué en prenant forme à partir du droit français hérité de la colonisation. Pourtant, vu dans sa globalité, le droit sénégalais du travail est moins contraignant. Il faut s’en glorifier mais c’est au Sénégal que les fonctionnaires peuvent aller en grève pendant plus d’une année sans aucune conséquence sur le traitement salarial. Le droit de grève, certes reconnu par la constitution, peut être exercé par tout travailleur. Cependant, personne ne peut s’arroger le droit de rester à la maison et gagner de l’argent à la fin de chaque mois. En Europe, ce sont les syndicats qui prennent en charge les travailleurs grévistes jusqu’à la fin de leurs mouvements.
Le système éducatif sénégalais a tellement souffert des grèves cycliques des enseignants et/ou des élèves. D’importantes réflexions allant dans le sens de l’amélioration des conditions de travail et d’études à l’école ont été menées. Nous pouvons prendre comme exemple les Etats généraux de l’éducation dont les conclusions sont aujourd’hui caduques dans la mesure où le contexte dans lequel ces assises ont été tenues a changé. Faut-il continuer à utiliser les mêmes méthodes et les mêmes comportements dans un monde en perpétuelles mutations ? A l’heure du numérique, enseigner devrait être plus facile quand on sait que la science et la technologie ont tellement évolué. Elles nous permettent de raccourcir le temps et les distances au grand bénéfice de l’homme de plus en plus insatiable.
Avec les nouvelles techniques, un professeur de mathématiques a la possibilité de dispenser simultanément un cours dans toutes les universités du Sénégal. Cela veut également dire qu’il est possible pour un professeur de dispenser au même moment un cours dans plusieurs établissements d’enseignements moyens ou secondaires.
Aujourd’hui, l’enseignement privé a connu une évolution fulgurante avec une opinion publique très favorable. Car, un bon nombre de parents d’élèves pensent que la qualité est du côté des établissements privés qui se multiplient dans les quartiers à un rythme effréné donnant ainsi aux enseignants du public la possibilité de revoir sensiblement à la hausse leurs crédits horaires hebdomadaires. Le principe des cours de renforcement payés à la fin du mois par les élèves est en train d’être généralisé. Si les enseignants et les directeurs d’établissement se réjouissent de l’instauration de ces cours, les parents ne cessent de se plaindre surtout quand leurs enfants sont renvoyés pour faute de non-paiement alors qu’il n’existe pas de contrat entre les parties. Les enseignants, en procédant à des cours de renforcement payés à la fin de chaque mois, donnent le point de départ d’une privatisation de l’école sénégalaise.
La mise en place d’un véritable cadre de décentralisation pourrait permettre à l’Etat de se désengager au profit des académies locales qui, indépendamment, assureront la gestion de leur personnel et le fonctionnement des écoles se trouvant dans leurs domaines de compétences.
Il ne s’agira pas d’une quelconque privatisation d’un quelconque segment du domaine de l’école mais plutôt d’un partage des taches pour l’amélioration de la gestion de ce segment qui appartiendra de fait aux collectivités locales. Il s’agira du renforcement de la décentralisation en accordant plus de pouvoirs aux autorités locales dans la gestion de l’école avec la possibilité pour chaque région et chaque Académie de disposer de manière autonome d’un personnel compétent et motivé et d’un budget suffisant.
C’est sur ces mots que nous allons limiter notre réflexion en invitant les lecteurs, surtout les parents d’élèves et les enseignants, à méditer sur les conséquences immédiates et lointaines des grèves sur les élèves qui ne sont ni employés ni employeurs et à agir pour une école de développement, une école d’avenir pour des produits encore appréciés à travers le monde.
Malick FALL
Professeur de Construction Mécanique
Responsable Politique à Diourbel
Email : fallmalik@yahoo.fr